AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, TROISIEME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par :
1 / Mme Marie-Françoise X..., épouse Y...,
2 / M. Joseph Y...,
3 / M. Jean-François Y...,
4 / Mme Marie-Dominique Y..., épouse Z..., agissant tant en son nom personnel qu'en sa qualité d'administrateur des biens de ses enfants Jessica et Aurélie,
5 / M. Dominique-Pierre Y...,
6 / M. Gérard Y...,
7 / Mme Julia Y..., épouse B...,
8 / M. Frédéric-Pierre B...,
demeurant tous 20220 Santa Reparata di Balagna,
en cassation d'un arrêt rendu le 9 avril 1996 par la cour d'appel de Bastia (chambre civile), au profit :
1 / de l'Office d'équipement hydraulique de la Corse, venant aux droits de la Société pour la mise en valeur agricole de la Corse (SOMIVAC), suivant protocole en date du 5 janvier 1993, dont le siège est ...,
2 / de M. Paul C..., demeurant 20220 Santa Reparata di Balagna,
3 / du directeur des services fiscaux du département de la Haute-Corse, dont le siège est en ses bureaux Direction générale des Impôts, services des domaines, 20200 Bastia, pris en sa qualité de curateur à la succession vacante de Michel A..., décédé,
4 / de la compagnie les Assurances générales de France, société anonyme, dont le siège est ...,
défendeurs à la cassation ;
La compagnie Assurances générales de France a formé, par un mémoire déposé au greffe le 28 août 1997, un pourvoi incident contre le même arrêt ;
Les demandeurs au pourvoi principal invoquent, à l'appui de leur recours, deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
La demanderesse au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, un moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;
LA COUR, en l'audience publique du 23 février 1999, où étaient présents : M. Beauvois, président, M. Martin, conseiller rapporteur, Mlle Fossereau, MM. Villien, Cachelot, Mlle Lardet, conseillers, M. Nivôse, Mme Boulanger, conseillers référendaires, M. Sodini, avocat général, Mlle Jacomy, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. Martin, conseiller, les observations de Me Choucroy, avocat des consorts Y... et de M. B..., de Me Cossa, avocat de l'Office d'équipement hydraulique de la Corse, venant aux droits de la SOMIVAC, de Me Thouin-Palat, avocat du directeur des services fiscaux du département de la Haute-Corse, de Me Vuitton, avocat de la compagnie Assurances générales de France, les conclusions de M. Sodini, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Sur le premier moyen du pourvoi principal :
Vu le principe suivant lequel chacun des responsables d'un même dommage doit être condamné à le réparer en totalité ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Bastia, 9 avril 1996), que M. Joseph Y..., locataire d'une propriété appartenant à son père Antoine, et la société pour la mise en valeur agricole de la Corse (SOMIVAC), assurée par la société les Assurances générales de France (compagnie les AGF), ont entrepris la construction d'un hangar ; que le premier devait réaliser les travaux de maçonnerie, dont il a chargé M. A..., décédé depuis lors, employant M. C..., la seconde, le contrôle de l'exécution et l'installation de la charpente métallique et de la couverture en fibro-ciment ; qu'une tornade ayant endommagé le hangar, dont l'effondrement de deux pans de mur a provoqué la mort de M. Antoine Y..., les consorts Y... ont assigné en réparation M. A... et la SOMIVAC, qui a appelé en garantie la compagnie les AGF ;
Attendu que pour rejeter la demande de condamnation in solidum de la SOMIVAC et de M. A..., l'arrêt retient que leurs responsabilités respectives sont distinctes, qu'elles procèdent de manquements à des obligations qui sont propres à chacun et ne sauraient être confondues ;
Qu'en statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que l'effondrement des pans de mur ayant provoqué le décès de M. Antoine Y... avait pour cause tant les erreurs de conception de la SOMIVAC, tenant à la commande de la charpente métallique, et les manquements à l'obligation de contrôle, à laquelle elle était tenue en vertu de son engagement formel, que la mauvaise qualité du travail de l'entreprise de maçonnerie, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé le principe susvisé ;
Et sur le second moyen du pourvoi principal :
Vu l'article 565 du nouveau Code de procédure civile ;
Attendu que les prétentions en cause d'appel ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge même si leur fondement juridique est différent ;
Attendu que, pour déclarer irrecevable la demande en réparation du préjudice économique de M. Joseph Y..., l'arrêt retient que si la nature de cette demande est bien la même, en revanche les prétentions beaucoup plus importantes et fondées sur des moyens qui n'ont pas été soumis à un débat contradictoire en première instance constituent une demande radicalement différente et par conséquent nouvelle ;
Qu'en statuant ainsi, alors que la prétention de M. Y... à la réparation de son préjudice économique tendait aux mêmes fins que la demande présentée devant le premier juge pour toutes les causes confondues des préjudices relatifs à la construction et à l'exploitation de la bergerie, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
Et sur le moyen unique du pourvoi incident :
Vu l'article 1134 du Code civil, ensemble l'article 4 du nouveau Code de procédure civile ;
Attendu que, pour accueillir la demande d'indemnisation de M. Y... au titre de son préjudice matériel et économique, l'arrêt retient qu'à défaut de contestation sur son montant il échet de confirmer le jugement de ce chef ;
Qu'en statuant ainsi, alors que, dans ses écritures devant la cour d'appel, la compagnie les AGF sollicitait sa mise hors de cause en ce qui concerne ce chef de préjudice et, subsidiairement, se réservait de formuler toutes observations complémentaires lorsque les documents sur lesquels le Tribunal avait pu fonder sa décision lui seraient communiqués, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit que la responsabilité est partagée à raison de deux tiers à la charge de la SOMIVAC (OEHC) et d'un tiers à la charge de M. Michel A..., condamne l'OEHC, venant aux droits de la SOMIVAC, à payer 500 000 francs au titre du préjudice matériel à M. Joseph Y... et déclare irrecevable la demande de celui-ci en réparation de son préjudice économique, l'arrêt rendu le 9 avril 1996, entre les parties, par la cour d'appel de Bastia ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Grenoble ;
Condamne, ensemble, l'Office d'équipement hydraulique de la Corse et la compagnie les AGF aux dépens des pourvois ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette les demandes de l'Office d'équipement hydraulique de la Corse et de la compagnie les AGF ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du trente et un mars mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf.