AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, TROISIEME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par M. Olivier B..., demeurant ...,
en cassation d'un arrêt rendu le 29 mars 1996 par la cour d'appel de Versailles (4e Chambre civile), au profit :
1 / de M. Wolfgang Y..., demeurant ...,
2 / de M. Jacques X..., demeurant ..., pris en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société à responsabilité limitée LCTI, dont le siège est ...,
3 / de M. Charles Henri Z..., demeurant ..., pris en sa qualité d'administrateur judiciaire de la société Vibert,
4 / de M. Yannick A..., demeurant ..., pris en sa qualité de représentant des créanciers de la société Vibert et de liquidateur de la société Vibert,
5 / de la société Vibert, société à responsabilité limitée dont le siège est ...,
6 / de la compagnie Mutuelle assurance artisanale de France (MAAF), dont le siège est 79180 Chaban de Chauray,
7 / de la compagnie Winterthur, dont le siège est ... La Défense,
défendeurs à la cassation ;
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
LA COUR, en l'audience publique du 6 janvier 1999, où étaient présents : M. Beauvois, président, M. Guerrini, conseiller rapporteur, Mlle Fossereau, MM. Boscheron, Toitot, Mmes Di Marino, Stéphan, MM. Peyrat, Dupertuys, Philippot, conseillers, M. Pronier, Mme Fossaert-Sabatier, conseillers référendaires, M. Baechlin, avocat général, Mlle Jacomy, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. Guerrini, conseiller, les observations de la SCP Boré et Xavier, avocat de M. B..., de la SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez, avocat de M. Y..., de la SCP de Chaisemartin et Courjon, avocat de M. A..., ès qualités, de Me Roger, avocat de la compagnie Winterthur, les conclusions de M. Baechlin, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Met hors de cause M. A..., ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Vibert ;
Sur le premier moyen :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Versailles, 29 mars 1996), que M. Y... a confié la construction de sa maison à la société LCTI, constructeur de maisons individuelles remplissant les fonctions d'entrepreneur général et de maître d'oeuvre et assurée auprès de la compagnie Winterthur ; que cette société a sous-traité les travaux à la société Vibert ; qu'après expertise ordonnée en référé, M. B..., propriétaire du fonds voisin, invoquant des désordres occasionnés à sa propriété par les constructeurs, a assigné ceux-ci ainsi que M. Y... pour obtenir réparation ; que la société LCTI a été, depuis, mise en redressement, puis en liquidation judiciaire, avec M. X... comme liquidateur ;
Attendu que M. B... fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande contre M. Y..., alors, selon le moyen, "1 / que le droit de construire inhérent à la qualité de propriétaire doit s'exercer dans des conditions ne nuisant pas à autrui ; qu'abuse donc de ce droit le maître de l'ouvrage qui, dûment averti des risques, fait construire un immeuble dans des conditions dommageables pour le fonds voisin, sans que l'exonère de cette responsabilité la faute des entreprises agissant pour son compte ;
qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé, par refus d'application, l'article 1382 du Code civil ; 2 / que le propriétaire d'un fonds enclavé est en droit de réclamer sur le fonds d'autrui un passage nécessaire à la réalisation d'opérations de construction à charge d'une indemnité proportionnée au dommage qu'il peut occasionner ; que le passage des entreprises de construction sur le fonds voisin sans qu'une autorisation ait été réclamée au propriétaire ni offerte l'indemnité correspondante constitue l'exercice illégal, par ces entreprises, pour le compte du maître de l'ouvrage, de cette servitude et, partant, une voie de fait engendrant sa responsabilité ; qu'en exonérant cependant ce maître de l'ouvrage de toute responsabilité ou indemnité du fait des dommages ainsi occasionnés, la cour d'appel a violé les articles 682 et 1382 du Code civil ; 3 / subsidiairement, que le juge doit trancher le litige conformément aux règles de droit applicables ; que la cour d'appel, qui constatait que les travaux réalisés sur le terrain de M. Y... à sa demande pour y édifier un immeuble avaient causé des dommages au fonds voisin, ne pouvait débouter le propriétaire de ce fonds au seul motif d'une absence de faute de M. Y... sans rechercher si l'intervention des entreprises pour son compte n'avait pas été la source de nuisances excédant les inconvénients normaux du voisinage ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a, ensemble, violé l'article 12 du nouveau Code de procédure civile et privé sa décision de base légale au
regard du principe de responsabilité pour troubles anormaux de voisinage" ;
Mais attendu, d'une part, que M. B... n'ayant pas invoqué, dans ses conclusions, la violation par M. Y... d'obligations découlant d'un état d'enclave de son fonds, le moyen, mélangé de fait et de droit, est, de ce chef, nouveau et, partant, irrecevable ;
Attendu, d'autre part, qu'ayant relevé que M. Y... avait payé au constructeur, qu'il avait chargé de l'ensemble des opérations de construction, un surcoût pour approvisionnement difficile et qu'il n'était pas prétendu que les entreprises eussent sollicité de celui-ci qu'il demandât à son voisin, M. B..., l'autorisation d'approvisionner le chantier en passant par son terrain et qu'il eût négligé de le faire, la cour d'appel, qui a pu retenir l'absence de faute du maître de l'ouvrage et qui n'était pas tenue de procéder à une recherche qui ne lui était pas demandée, a légalement justifié sa décision de ce chef ;
Mais sur le second moyen :
Vu l'article 48 de la loi du 25 janvier 1985 ;
Attendu que, sous réserve des dispositions relatives aux instances devant la juridiction prud'homale, les instances en cours à la date du jugement d'ouverture du redressement judiciaire sont suspendues jusqu'à ce que le créancier poursuivant ait procédé à la déclaration de sa créance ; qu'elles sont alors reprises de plein droit, le représentant des créanciers et, le cas échéant, l'administrateur dûment appelés, mais tendent uniquement à la constatation des créances et à la fixation de leur montant ;
Attendu que pour débouter M. B... de ses demandes à l'encontre de la société LCTI, l'arrêt retient qu'il s'agit d'une demande de condamnation, qu'en application de l'article 47 de la loi du 25 janvier 1985, aucune condamnation ne peut intervenir contre cette société, la créance alléguée par M. B... étant antérieure à la procédure collective dont elle a été l'objet, et qu'il n'y a pas lieu de rechercher la responsabilité de ce constructeur en l'absence de demande de fixation de créance et d'action directe formée contre l'assureur ;
Qu'en statuant ainsi, alors qu'ayant constaté que le liquidateur judiciaire de la société LCTI était dans la cause, il lui appartenait, après vérification, au besoin d'office, que M. B... avait régulièrement procédé à la déclaration de sa créance, de constater, le cas échéant, celle-ci et d'en fixer le montant, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a débouté M. B... de ses demandes à l'encontre de la société LCTI, l'arrêt rendu le 29 mars 1996, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;
remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris ;
Condamne M. X..., ès qualités, aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, condamne M. B... à payer à M. Y... la somme de 9 000 francs et à M. A..., ès qualités, celle de 4 000 francs ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix février mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf.