AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par Mme Maguy X..., demeurant ...,
en cassation d'un arrêt rendu le 10 décembre 1996 par la cour d'appel de Paris (18e chambre, section D), au profit de Mme Z..., Pharmacie Z..., dont le siège est ... et actuellement sans domicile connu,
défenderesse à la cassation ;
LA COUR, en l'audience publique du 9 décembre 1998, où étaient présents : M. Waquet, conseiller doyen faisant fonctions de président, Mme Lemoine Jeanjean, conseiller rapporteur, M. Brissier, conseiller, M. Rouquayrol de Boisse, conseiller référendaire, M. Lyon-Caen, avocat général, Mme Molle-de Hédouville, greffier de chambre ;
Sur le rapport de Mme Lemoine Jeanjean, conseiller, les observations de la SCP Ryziger et Bouzidi, avocat de Mme X..., les conclusions de M. Lyon-Caen, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu que Mme X..., pharmacienne assistante au service de la société Pharmacie Z... depuis le 7 septembre 1990, a été licenciée le 25 juin 1993 pour faute grave ; qu'elle a saisi la juridiction prud'homale d'une demande tendant au paiement d'indemnités de rupture et pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et d'un rappel de salaire pour heures supplémentaires ;
Sur les premier et deuxième moyens :
Attendu que Mme X... reproche à l'arrêt attaqué de l'avoir déboutée de sa demande d'indemnités alors, selon les moyens, d'une part, que la lettre de licenciement détermine les termes du litige, les juges du fond ne pouvant retenir comme constitutifs d'une faute grave à la charge d'un salarié des griefs non mentionnés dans la lettre de licenciement ; qu'en l'état des motifs invoqués dans la lettre de licenciement et tirés de la contestation par Mme X..., le 16 juin 1993, des "nouveaux horaires d'été" définis par l'employeur, Mme Z..., de l'altercation qui s'en est suivie et du bris de la porte vitrée du bureau, la cour d'appel, qui retient l'insubordination de la salariée comme constitutive de la faute grave justifiant son licenciement, a violé l'article L. 122-14-2 du Code du travail, ensemble l'article 1134 du Code civil ; alors, d'autre part, que l'insubordination n'est pas une faute grave quand elle est une simple contestation du salarié en réponse aux propres manquements de l'employeur et notamment une contestation quant aux horaires de travail irrégulièrement instaurés par l'employeur ; que Mme X... faisait valoir dans ses conclusions d'appel, conformes sur ce point aux motifs de la lettre de licenciement, qu'à l'origine de l'incident du 16 juin 1993 était la simple volonté de sa part de contester auprès de son employeur les nouveaux horaires d'été qui avaient été définis unilatéralement, et irrégulièrement par Mme Z..., qui n'a pas accepté d'entendre sa simple argumentation sur ce point ; qu'en l'état de ces faits nullement contestés et d'ailleurs reconnus par l'employeur dans la lettre de licenciement, laquelle précisait que : "le 16 juin 1993, vous avez, et c'est ce qui motive
ma décision, contesté les nouveaux horaires d'été que j'ai défini comme chaque année...", la cour d'appel, qui retient l'insubordination de la salariée comme constitutive d'une faute grave justifiant son licenciement sans se prononcer sur la décision irrégulière de l'employeur, a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 122-6 du Code du travail ; alors que, de troisième part, la faute grave résulte d'un fait ou d'un ensemble de fait imputables au salarié qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise pendant la durée du préavis ;
qu'ayant relevé qu'une altercation avait eu lieu entre Mme X... et Mme Z..., la salariée ayant insisté pour s'entretenir avec cette dernière, que Mme Z... est rentrée dans son bureau et a voulu fermer la porte en la tirant, que Mme X... a tiré la porte de l'autre côté pour l'empêcher de la fermer, puis l'a lâchée, que la porte a alors été claquée brutalement et s'est brisée, la cour d'appel, qui précise que la faute grave résulte d'une part imputable au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien dans l'entreprise pendant la durée du préavis pour décider qu'en l'espèce le comportement de la salariée a manifesté une insubordination à l'égard de son employeur qui permet de dire que le contrat de travail ne pouvait plus être maintenu pendant la durée du préavis de trois mois, sans préciser en quoi, eu égard aux termes de la lettre de licenciement, était caractérisée l'existence d'une faute grave, a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 122-6 du Code du travail ; alors, de quatrième part, que la faute grave résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié, qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise pendant la durée du préavis ; qu'ayant constaté que la faute grave résulte d'une part imputable au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien dans l'entreprise pendant la durée du préavis, la cour d'appel, qui a, par là-même, constaté que la faute, à la supposer établie, nétait pas imputable à la seule salariée, n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et violé l'article L. 122-6 du Code du travail ; alors, enfin, qu'il résulte de la lettre de licenciement qu'ayant contesté les nouveaux horaires d'été définis par l'employeur, une altercation s'en est suivie, que la salariée a occupé le bureau de l'employeur sans y être convoquée et qu'elle aurait harcelé son employeur dans la pharmacie, l'employeur ajoutant "lorsque j'ai voulu me retirer dans mon bureau de nouveau, vous avez retenu la porte vitrée qui s'est brisée, me blessant profondément au mollet droit et à la cheville" ;
qu'en affirmant que la faute grave résulte d'une part imputable au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail, la cour d'appel a, par là-même, retenu qu'elle était imputable pour partie à l'employeur et, partant, en décidant que le comportement de la salariée a manifesté une insubordination à l'égard de son employeur qui permet de dire que le contrat de travail ne pouvait plus être maintenant pendant la durée du préavis de trois mois, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si l'employeur, par sa décision unilatérale de modifier les horaires de travail de la salariée, et ce de façon irrégulière, n'était pas à l'origine des faits retenus, ce qui retirait toute gravité à la faute alléguée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 122-6 du Code du travail ;
Mais attendu que la cour d'appel, ayant constaté que la salariée, au cours d'une altercation avec la pharmacienne qui l'employait, avait tenté d'empêcher celle-ci d'y mettre fin en se retirant dans son bureau, dont elle avait retenu puis laché brutalement la porte qui s'était brisée, a pu décider que ce comportement violent et qui manifestait une insubordination était constitutif d'une faute grave, rendant impossible le maintien dans l'entreprise, fût-ce pendant la durée du préavis ; que les moyens ne sauraient être accueillis ;
Mais sur le troisième moyen :
Vu l'article L. 212-1-1 du Code du travail ;
Attendu que, selon ce texte, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail effectuées, l'employeur doit fournir au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié ; que le juge forme sa conviction au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles ;
Attendu que, pour rejeter la demande de Mme Y... en paiement d'une somme à titre d'heures supplémentaires et de l'indemnité de congés payés afférents, la cour d'appel a énoncé que cette demande n'était étayée que par un décompte établi par la salariée elle-même ;
Qu'en statuant ainsi, alors que la preuve des heures de travail effectuées n'incombe spécialement à aucune des parties et que le juge ne peut se fonder sur la seule insuffisance des preuves apportées par le salarié et doit examiner les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés que l'employeur est tenu de lui fournir, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ses dispositions relatives aux heures supplémentaires et congés payés afférents, l'arrêt rendu le 10 décembre 1996, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;
Laisse à chaque partie la charge respective de ses dépens ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du trois février mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf.