AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par M. Lionel Y..., demeurant ...,
en cassation d'un arrêt rendu le 8 novembre 1996 par la cour d'appel de Bordeaux (chambre sociale, section B), au profit de la société Douteau construction métallique, société anonyme, dont le siège est ...,
défenderesse à la cassation ;
LA COUR, en l'audience publique du 9 décembre 1998, où étaient présents : M. Waquet, conseiller doyen, faisant fonctions de président, M. Brissier, conseiller rapporteur, Mme Lemoine Jeanjean, conseiller, M. Rouquayrol de Boisse, conseiller référendaire, M. Lyon-Caen, avocat général, Mme Molle-de Hédouville, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. Brissier, conseiller, les observations de la SCP Boré et Xavier, avocat de M. Y..., les conclusions de M. Lyon-Caen, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu que M. Y..., exerçant les fonctions de cadre conducteur de travaux au service de la société Douteau construction métallique, a signé le 13 juillet 1993 une transaction concernant la rupture de son contrat de travail ; qu'une lettre de licenciement pour motif économique avec dispense d'exécuter le préavis, lui a été notifié le 15 juillet 1993 ; qu'il a saisi le conseil de prud'hommes pour obtenir notamment le paiement d'une indemnité conventionnelle de licenciement et des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ; que la société Douteau construction métallique imputant au salarié une violation de la clause de non-concurrence insérée dans son contrat de travail a formé une demande reconventionnelle en paiement de dommages-intérêts ;
Sur le premier moyen, pris en sa seconde branche :
Vu les articles 2044 du Code civil et L. 122-14 et L. 122-14-7 du Code du travail ;
Attendu que pour déclarer irrecevables les demandes du salarié en se fondant sur la fin de non-recevoir tirée de la transaction soulevée par l'employeur, l'arrêt attaqué énonce que celui-ci démontre en produisant des lettres rédigées par M. Z... et Mme A... que le 23 juin 1993, M. Y..., d'une part, s'est livré à des commentaires sur la vie privée de M. X..., dirigeant de la "société anonyme Douteau construction métallique", et, d'autre part, a lancé la fausse rumeur du licenciement de Mme A..., l'une des employés de l'entreprise ; que ces circonstances jointes au laps de temps qui s'est écoulé entre le moment (11 juin 1993) où M. Y... a proposé les bases d'un règlement amiable et celui (13 juillet 1993) où la transaction litigieuse a été signée, permettent à la cour d'appel de se convaincre de ce que les faits (intention de l'employeur de licencier M. Y... pour une faute grave commise postérieurement à l'envoi de la convocation à l'entretien préalable à un licenciement économique, d'une part), volonté commune des parties de mettre un terme à leur différend, d'autre part, exposés en préambule de la transaction sont bien réels et constituent les raisons qui, après réflexion, ont motivé l'accord amiable des parties ;
Attendu, cependant, qu'une transaction ne peut être valablement conclue qu'une fois la rupture du contrat de travail devenue définitive par la réception, par le salarié, de la lettre de licenciement dans les conditions requises par l'article L. 122-14-4 du Code du travail et ne peut porter sur la cause de la rupture, laquelle conditionne l'existence même de concessions réciproques ;
Et attendu que la cour d'appel a constaté que la transaction du 13 juillet 1993 avait pour objet de mettre fin au contrat de travail et qu'elle avait été conclue avant la notification de la lettre de licenciement ;
Qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
Et sur le second moyen :
Vu l'article 1134 du Code civil, et le principe constitutionnel de la liberté du travail ;
Attendu que pour condamner M. Y... au paiement de dommages-intérêts pour violation de la clause de non-concurrence, l'arrêt se borne à énoncer qu'aux termes de la transaction du 13 juillet 1993, M. Y... s'est engagé à respecter la clause de non-concurrence ainsi stipulée ; que la clause de non-concurrence était précisément limitée dans le temps et dans l'espace aux seules activités développées par la "société anonyme Douteau construction métallique" et ses filiales, activités que M. Y... ne pouvait méconnaître compte tenu de son ancienne qualité de mandataire social de la "société anonyme Douteau construction métallique" ; qu'elle est par voie de conséquence parfaitement valide ;
Qu'en statuant ainsi, sans rechercher si la clause de non-concurrence était nécessaire à la protection des intérêts légitimes de l'entreprise et si elle n'était pas de nature à empêcher le salarié de trouver un autre emploi compte tenu de sa formation et de son expérience professionnelle et si, à défaut de l'une ou l'autre de ces conditions, elle n'était pas nulle, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la première branche du premier moyen,
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 8 novembre 1996, entre les parties, par la cour d'appel de Bordeaux ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Poitiers ;
Condamne la société Douteau construction métallique aux dépens ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du trois février mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf.