AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par :
1 / la société Sefibi, société anonyme dont le siège est ...,
2 / M. Hubert Lafont, agissant ès qualités de liquidateur amiable de la société Sefibi, demeurant ...,
en cassation d'un arrêt rendu le 12 janvier 1996 par la cour d'appel de Versailles (14e Chambre), au profit de la société Fidal, dont le siège est ...,
défenderesse à la cassation ;
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
LA COUR, composée selon l'article L. 131-6, alinéa 2, du Code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 8 décembre 1998, où étaient présents : M. Bézard, président, Mme Vigneron, conseiller rapporteur, M. Grimaldi, conseiller, M. Jobard, avocat général, Mme Moratille, greffier de chambre ;
Sur le rapport de Mme Vigneron, conseiller, les observations de Me Boullez, avocat de la société Sefibi et de M. Lafont, ès qualités, de Me Baraduc-Benabent, avocat de la société Fidal, les conclusions de M. Jobard, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Versailles, 12 janvier 1996), qu'antérieurement à l'année 1992, la société Fidal, qui exerçait alors une activité de conseil juridique, a adressé des factures de rétrocessions d'honoraires à la société Sefibi qui les a payées ; que celle-ci, représentée par M. Lafont, son liquidateur amiable, a assigné la société Fidal en répétition de ces paiements prétendument non causés ou représentant des commissionnements illicites ;
Sur le premier moyen :
Attendu que la société Sefibi et M. Lafont, agissant en qualité de liquidateur amiable de cette société, font grief à l'arrêt d'avoir rejeté la demande, alors, selon le pourvoi, que la motivation alternative est censurée lorsque les diverses hypothèses envisagées par l'arrêt conduisent à des solutions juridiques différentes ; qu'en l'espèce, la cour d'appel, qui a envisagé l'hypothèse de l'absence d'illicéité de la mesure de l'obligation de rétrocession d'honoraires, puis l'hypothèse où une telle illicéité serait établie, a statué par des motifs alternatifs et a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu que la cour d'appel ayant retenu, par des motifs dénués de tout caractère hypothétique, que M. Lafont n'apportait pas la preuve, qui lui incombait, du caractère illicite de la rétrocession d'honoraires, il importe peu que, dans un motif surabondant, elle ait émis ensuite l'hypothèse du caractère illicite de cette rétrocession d'honoraires ; que le moyen ne peut donc être accueilli ;
Sur le second moyen, pris en ses trois branches :
Attendu que le même reproche est encore fait à l'arrêt, alors, selon le pourvoi, d'une part, que les conseils juridiques ne peuvent exercer aucune activité commerciale ni recevoir des "commissions" chiffrées arithmétiquement sur l'apport de clientèle au profit d'une société gestionnaire de fonds ; qu'en l'espèce, la cour d'appel, qui a constaté que la société Fidal, société de conseils juridiques, avait apporté des clients à la société Sefibi, et que cette activité avait fait l'objet de rétrocessions d'honoraires en coïncidence avec un chiffrage arithmétique, activité prohibée par la loi pour les conseils juridiques, n'a pas, en déboutant M. Lafont de son action en restitution des sommes versées par les sociétés Sefibi conformément à des obligations dont la cause était illicite, déduit de ses constatations les conséquences légales au regard des articles 1131 et 1133 du Code civil ; alors, d'autre part, que la cause illicite d'une obligation ne fait pas obstacle à l'action en répétition ; qu'en l'espèce, l'absence de caractère fictif des prestations exécutées par la société Fidal est inopérante pour rejeter l'action en restitution de sommes versées en exécution de prestations illicites ; que la cour d'appel, qui s'est fondée sur l'absence de caractère fictif des prestations alléguées par la société Fidal pour rejeter l'action en répétition des sommes versées en contrepartie de prestations illicites, a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile et l'article 56 de la loi du 31 décembre 1971 ; et alors, enfin, qu'en tout état de cause, la règle "nemo auditur propriam turpitudinem allegans" n'empêche pas le cocontractant de se prévaloir du caractère illicite de la convention et la cause illicite d'une obligation ne fait pas obstacle à l'action en répétition ; qu'en l'espèce, la cour d'appel, qui a considéré que si une telle illicéité de la cause était établie, le liquidateur ne pourrait l'invoquer sauf à se prévaloir d'une turpitude propre à la société Sefibi, a violé l'article 1131 du Code civil ;
Mais attendu, en premier lieu, que la cour d'appel a constaté que la société Fidal avait apporté des clients à la société Sefibi, mais n'a pas relevé que cette clientèle avait fait l'objet des factures litigieuses ;
que le grief manque en fait ;
Attendu, en second lieu, qu'après avoir relevé qu'aux termes d'un accord de partenariat conclu entre la société Fidal et la société Sefibi, les prestations de conseil juridique de la première et les prestations de conseil de gestion de patrimoine de la seconde au profit de leurs clients communs sont facturées par la société Sefibi, à charge pour celle-ci de restituer à la société Fidal la part d'honoraires correspondant au conseil juridique, l'arrêt retient que le liquidateur de la société Sefibi ne prouve pas que les factures litigieuses de rétrocession d'honoraires, qui ont été payées, sont dépourvues de cause ou reposent sur une cause illicite ; que, par ces constatations et appréciations, la cour d'appel a légalement justifié sa décision, abstraction faite du motif surabondant critiqué par la troisième branche ;
D'où il suit que le moyen ne peut être accueilli en aucune de ses branches ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Sefibi et M. Lafont, ès qualités, aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, condamne la société Sefibi et M. Lafont, ès qualités, à payer à la société Fidal la somme de 12 000 francs ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du deux février mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf.