AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, TROISIEME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par :
1 / M. Jean Y...,
2 / Mme Anne-Marie Y...,
demeurant ensemble ...,
en cassation d'un arrêt rendu le 11 octobre 1996 par la cour d'appel de Paris (6e Chambre, Section B), au profit de Mme Denise X..., demeurant ...,
défenderesse à la cassation ;
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
LA COUR, en l'audience publique du 10 novembre 1998, où étaient présents : M. Beauvois, président, M. Dupertuys, conseiller rapporteur, Mlle Fossereau, MM. Boscheron, Toitot, Mmes Di Marino, Stéphan, MM. Peyrat, Guerrini, Philippot, conseillers, M. Pronier, Mme Fossaert-Sabatier, conseillers référendaires, M. Sodini, avocat général, Mme Berdeaux, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. Dupertuys, conseiller, les observations de la SCP Vier et Barthélémy, avocat des époux Y..., de Me Copper-Royer, avocat de Mme X..., les conclusions de M. Sodini, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Sur le premier moyen :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 11 octobre 1996), que Mme Denise X..., propriétaire de plusieurs appartements situés dans le même immeuble, a fait délivrer, le 11 juillet 1990 pour le 15 janvier 1991, d'une part, un congé au visa de l'article 18 de la loi du 1er septembre 1948 à M. Z... avec proposition de relogement dans les lieux loués aux époux Y..., au bénéfice de sa fille Béatrice X..., d'autre part, un congé au visa de l'article 15 de la loi du 6 juillet 1989 pour motif légitime et sérieux et, à titre subsidiaire, pour reprise au bénéfice de Béatrice X..., aux époux Y... ; que la cour d'appel de Paris a, par arrêt du 25 mars 1992, annulé le congé délivré à M. Z... et, par arrêt du 30 novembre 1992, déclaré valable celui délivré aux époux Y... ; qu'après le départ de ceux-ci, le 4 mai 1993, Mme Denise X... a signifié un nouveau congé, au visa de l'article 18 de la loi du 1er septembre 1948, à M. Z..., qui a accepté, selon un "protocole d'accord" du 23 mars 1994, de quitter son appartement pour habiter dans celui précédemment occupé par les époux Y... ; que ceux-ci ont assigné Mme X... pour faire constater la violation des dispositions de l'arrêt du 30 novembre 1992, la nullité du congé qui leur a été délivré, la faute commise par leur propriétaire et obtenir sa condamnation à réparer leur préjudice ;
Attendu que les époux Y... font grief à l'arrêt de les débouter de leurs demandes, alors, selon le moyen, "1 / qu'aux termes des dispositions d'ordre public de l'article 15-I de la loi du 6 juillet 1989, relative au congé-reprise pour habiter, "le bénéficiaire de la reprise ne peut être que le bailleur, son conjoint, son concubin notoire" ; que toute fraude aux droits du preneur doit être a posteriori sanctionnée ; qu'en l'espèce, il résulte de l'arrêt attaqué que le congé litigieux n'a été validé, aux termes d'un jugement du 20 septembre 1991, confirmé le 30 novembre 1992, qu'au seul profit de Béatrice X..., fille de la bailleresse, laquelle "ne s'est pas effectivement installée" dans le logement libéré ; qu'en refusant, nonobstant ces constatations, de sanctionner la fraude manifeste ainsi commise aux droits des preneurs, la cour d'appel a violé les dispositions susvisées ; 2 / que l'autorité de la chose jugée s'impose aux parties ; qu'en l'état de l'arrêt rendu le 30 novembre 1992 par la cour d'appel de Paris, passé en force de chose jugée, validant le congé délivré aux époux Y... en cela seul qu'il avait pour objet la reprise de leur appartement au bénéfice de Mme Béatrice X... et ses enfants, la cour d'appel n'a pu, sans violer l'article 1351 du Code civil, considérer que la libération effective des lieux loués autorisait la bailleresse à substituer à sa fille un autre bénéficiaire de la reprise ;
3 / que les conventions n'ont d'effet qu'entre les parties ; elles ne nuisent point aux tiers ; qu'il en résulte que le protocole d'accord transactionnel intervenu le 23 mars 1994 entre Mme veuve X..., bailleresse, et M. Z..., locataire, en vertu duquel celui-ci acceptait de quitter son appartement du 6e étage et d'être relogé dans l'appartement du 5e étage libéré par les époux Y..., ne pouvait, en tout état de cause, priver ces derniers du droit d'exiger que la reprise soit effectuée au profit de Mme Béatrice X... et ses enfants, seuls bénéficiaires désignés par l'arrêt du 30 novembre 1992 passé en force de chose jugée ; qu'à cet égard, l'arrêt attaqué, en retenant néanmoins que cette transaction justifiait le transfert effectué, a violé, ensemble, les articles 1165, 2044, 2052, 2053 et 951 du Code civil ; 4 / qu'en l'état des constatations inopérantes tirées par la cour d'appel de la libération de l'appartement des époux Y... et de la transaction intervenue entre Mme veuve X... et M. Z..., l'arrêt attaqué est dépourvu de toute base légale au regard de l'article 15-1 de la loi du 6 juillet 1989, ensemble les dispositions précitées ; 5 / que l'obligation des époux Y... de quitter les lieux loués n'existant qu'aux fins de reprise par Mme Béatrice X..., seule bénéficiaire, avec ses enfants, du congé-reprise délivré, n'était pas en elle-même de nature à exclure tout préjudice, tant matériel que moral, nécessairement lié à la reprise effective par un tiers ; qu'en l'état de ces motifs inopérants, l'arrêt attaqué est dépourvu de toute base légale au regard de l'article 15-1 de la loi du 6 juillet 1989 et de l'article 1147 du Code civil" ;
Mais attendu qu'ayant relevé que Mme Denise X... avait fait délivrer aux époux Y... un congé dans lequel elle indiquait que la bénéficiaire, Béatrice X..., était susceptible de reprendre en priorité l'appartement loué à M. Z... et, à titre subsidiaire, celui qu'eux-mêmes occupaient, que Béatrice X... n'avait pu s'installer, à la suite de l'arrêt rendu le 30 novembre 1992, dans le logement des époux Y..., celui-ci n'ayant été libéré que le 4 mai 1993, que le "protocole d'accord" conclu le 23 mars 1994, destiné à mettre fin à la procédure de déclaration de validité du congé du 28 juin 1993, ne faisait que confirmer la volonté originelle de Mme Denise X... telle que formalisée dans le congé du 11 juillet 1990 et que les difficultés rencontrées par cette dernière pour permettre à sa fille d'occuper l'appartement de M. Z... avaient pour origine, de sa part, un excès de confiance dans la bonne volonté des parties aux contrats de location, la cour d'appel a pu en déduire, sans violer les dispositions de l'article 1351 du Code civil, ni être tenue de procéder à une recherche qui ne lui était pas demandée, que la preuve de l'existence d'une fraude ou d'une faute à la charge de Mme Denise X... n'était pas rapportée, et a légalement justifié sa décision de ce chef ;
Mais sur le second moyen :
Vu l'article 1382 du Code civil ;
Attendu que pour condamner les époux Y... au paiement de dommages-intérêts pour procédure abusive, l'arrêt retient que ceux-ci, en soutenant, par des moyens de droit manifestement dépourvus de base, une procédure fondée sur la fraude et sur la faute, ont abusé du droit d'ester en justice et ont occasionné à Denise X... un préjudice certain résultant de ce que cette dernière a vu son droit de reprise des locaux lui appartenant contesté sans motif sérieux ;
Qu'en statuant ainsi, par des motifs qui ne caractérisent pas l'existence d'une faute commise par les époux Y... dans l'exercice de leur droit d'agir en justice, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a condamné M. et Mme Y... à payer à Mme Denise X... des dommages-intérêts pour procédure abusive, l'arrêt rendu le 11 octobre 1996, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles ;
Condamne Mme X... aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette la demande de Mme X... ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Troisième chambre civile, prononcé et signé par Mlle Fossereau, conseiller doyen, conformément aux dispositions des articles 452 et 456 du nouveau Code de procédure civile, en l'audience publique du seize décembre mil neuf cent quatre-vingt-dix-huit.