AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, DEUXIEME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par M. Fernand X..., demeurant ...,
en cassation d'un arrêt rendu le 27 septembre 1996 par la cour d'appel de Paris (15e chambre, section B), au profit :
1 / de la Caisse régionale de Crédit agricole mutuel (CRCAM) de Paris et d'Ile de France, dont le siège est ...,
2 / de M. Jean A..., demeurant ...,
défendeurs à la cassation ;
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;
LA COUR, en l'audience publique du 5 novembre 1998, où étaient présents : M. Laplace, conseiller doyen faisant fonctions de président, M. Dorly, conseiller rapporteur, MM. Guerder, Pierre, de Givry, conseillers, M. Mucchielli, Mme Kermina, conseillers référendaires, M. Monnet, avocat général, Mme Laumône, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. Dorly, conseiller, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. X..., de Me Spinosi, avocat de la CRCAM de Paris et d'Ile de France, les conclusions de M. Monnet, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt confirmatif attaqué (Paris, 27 septembre 1996) et les productions, que M. X..., qui avait fait l'objet d'un redressement fiscal, a été mis en rapport, par l'intermédiaire de M. A..., avec M. Z..., qui s'est targué de pouvoir intervenir en sa faveur auprès des services fiscaux moyennant une commission de 500 000 francs en cas de succès ; qu'il fût convenu qu'un bon de caisse de ce montant émis par le Crédit lyonnais et détenu par M. X... soit déposé comme gage de sa solvabilité à l'agence de la caisse régionale de Crédit agricole mutuel de Paris et de l'Ile de France, dont le directeur était M. Y... ; que celui-ci a encaissé les fonds correspondant à ce bon et les a détournés ; qu'il a été condamné pénalement pour ces faits du chef d'abus de confiance ; que M. X... a été condamné pour trafic d'influence, MM. A... et Z... pour complicité de trafic d'influence ;
que M. X... a demandé à la banque, en sa qualité de commettant de M. Y..., l'indemnisation du préjudice résultant de ce détournement ;
Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté la demande, alors, selon le moyen, de première part, que les motifs du jugement du tribunal correctionnel du 22 juin 1987, selon lesquels M. Y... a agi à l'insu de son patron pour faire des actes qui bien qu'en dehors de ses attributions étaient facilités par sa fonction, ne s'appliquaient pas au détournement du bon de caisse de M.
X...
; qu'en se fondant, pour décider que M. Y... n'avait pas agi dans l'exercice de ses fonctions, sur des motifs du jugement correctionnel qui ne concernaient pas les faits dont elle était saisie dans le cadre de l'action en responsabilité intentée par M. X..., et qui de surcroît n'avaient aucune autorité de chose jugée, la cour d'appel a violé les articles 1351 et 1384, alinéa 5, du Code civil ; de deuxième part, que ne se place pas hors de ses fonctions le préposé d'une banque qui détourne des fonds qui lui avaient été remis dans l'exercice de celles-ci ; que, en l'espèce, comme le faisait valoir M. X... dans ses conclusions d'appel, les décisions pénales constataient expréssément que M. A... avait déposé le bon de caisse de M.
X...
à l'agence de Crédit agricole dirigée par M. Y..., qui lui en avait délivré officiellement récépissé et qui devait, non pas en faire une quelconque utilisation mais le conserver pour le compte de la banque, à charge de le représenter ; qu'il en résulte que, en recevant ce bon pour cette opération de dépôt régulière et officielle, M. Y... était dans l'exercice de ses fonctions et qu'il ne s'est pas placé hors de celles-ci ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé les articles 1351 et 1384, alinéa 5, du Code civil ; de troisième part, que M. Y... n'a été déclaré coupable ni de complicité ni de coaction du délit de trafic d'influence imputé à M. X... ; qu'en énonçant, pour refuser à celui-ci tout droit à réparation du préjudice résultant du détournement de son bon de caisse par M. Y..., que les deux hommes étaient complices ou coauteurs de cette activité délictueuse, la cour d'appel a méconnu l'autorité de la chose jugée au pénal et a violé l'article 1351 du Code civil ; de quatrième part, que la CRCAMIF ne soutenait pas que M. Y... devait participer au trafic d'influence reproché à M. X... ; qu'il résulte au contraire des décisions pénales qu'il n'était aucunement impliqué dans cette activité ; qu'en se bornant à affirmer, pour décider que M. Y... n'avait pas agi dans l'exercice de ses fonctions, qu'il était démontré qu'il avait un rôle à jouer dans l'utilisation frauduleuse du bon de caisse et que l'exposant le savait, sans préciser les éléments dont résultait cette preuve, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1384, alinéa 5, du Code civil ; de cinquième part, que le fait que le bon de caisse de M.
X...
aurait dû servir à rémunérer une activité illicite n'a eu aucune incidence sur le détournement de ce bon par M. Y... à des fins personnelles ;
que, dès lors, le trafic d'influence dont M. X... s'est rendu coupable, qui n'a eu aucun lien de causalité avec le préjudice subi du fait de l'abus de confiance dont il a été victime de la part de M. Y..., ne pouvait le priver de son droit à réparation ; que, en statuant ainsi, la cour d'appel a violé l'article 1384, alinéa 5, du Code civil ; de sixième part, que l'adage, "nemo auditeur" est inapplicable en matière de responsabilité délictuelle ;
qu'en retenant que la CRCAMIF pouvait opposer à M. X... sa propre turpitude, tout en constatant qu'elle était recherchée en tant que civilement responsable de son préposé, la cour d'appel a violé l'article 1384, alinéa 5, du Code civil ;
Mais attendu que l'arrêt retient qu'il résulte de l'étude de la procédure pénale, à savoir des décisions judiciaires du 22 juin 1987 et 9 février 1989, que M. Y... a agi sans le consentement et à l'insu de son patron et relève que la responsabilité de la CRCAMIF ne saurait être engagée du fait de son préposé, étant observé que, même si M. Y... n'a pas rencontré M. X..., celui-ci savait que M. Y... devait jouer un rôle dans l'utilisation frauduleuse du bon ;
Que, de ces constatations et énonciations, la cour d'appel, sans violer le principe de l'autorité absolue de la chose jugée au pénal et justifiant légalement sa décision, a pu rejeter la demande fondée sur l'article 1384, alinéa 5, du Code civil ;
D'où il suit que le moyen, inopérant en sa deuxième branche, n'est pas fondé pour le surplus ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. X... aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette la demande de la CRCAM de Paris et d'Ile de France ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du deux décembre mil neuf cent quatre-vingt-dix-huit.