AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le neuf novembre mil neuf cent quatre-vingt-dix-huit, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller PINSSEAU, les observations de la société civile professionnelle DELAPORTE et BRIARD, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général LUCAS ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
- EL MOUEDDEN Hamid,
contre l'arrêt de la cour d'appel de ROUEN, chambre correctionnelle, en date du 22 octobre 1997, qui, pour recel de vols, l'a condamné à 15 mois d'emprisonnement dont 5 mois avec sursis ainsi qu'à 60 000 francs d'amende ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 311-1, 321-1, 321-2, 321-3, 321-9, 321-10, 131-26, 131-27, 131-31 et 131-35 du Code pénal, 427, 485, 512, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a déclaré Hamid X... coupable de recel commis de façon habituelle ;
"aux motifs qu'il y a lieu d'adopter les motifs des premiers juges, à l'exception de l'attendu faisant état de l'aveu du prévenu de sa connaissance de la provenance frauduleuse du matériel installé à son domicile ; qu'en effet, cet aveu ne résulte pas des notes d'audience ; que, par contre, les notes d'audience font clairement état du fait que le père a été mis au courant de l'origine frauduleuse des objets par son fils dès son retour de vacances en Algérie : "mon père a vu ces objets à son retour. Je me suis fait engueuler car j'avais acheté tout ça alors que c'était volé" ; que les perquisitions opérées au domicile de Hamid X... mettent en évidence l'importance du matériel détenu, manifestement sans rapport avec l'activité du commerce ni celle du fils dépourvu de toutes ressources propres officielles ; que ces mêmes perquisitions font aussi apparaître que du matériel hi-fi avait été approprié par le père et se trouvait non seulement dans la chambre du fils mais dans celle des filles, dans la salle de séjour, la salle à manger et encore dans un buffet ; que Hamid X... a tenté de couvrir son fils en déclarant avoir été l'acheteur de ces objets dans des foires à tout et en Espagne ; qu'il résulte des déclarations de Hamid X... à la police qu'il connaissait Matthieu Y... en tant que voleur lui ayant proposé à plusieurs reprises des objets volés, "une platine", "un camescope" ; que, lors de son audition à la police, Matthieu Y... a clairement mis en cause "le boucher" pour lui passer habituellement commande d'objets volés et les lui payer ;
que, devant le juge d'instruction, Matthieu Y... a déclaré "je suis formel, le père m'a bien acheté du matériel à partir de mi-juin 1995 jusqu'à son départ au Maroc en juillet 1995..., une caméra vidéo Grundig, c'est du matériel professionnel..., trois magnétoscopes, deux camescopes Sony, deux télés, un boîtier pour antenne parabolique. Tous ces objets lui ont été payés en espèce et j'ai même été invité deux fois le dimanche à manger le couscous. Son nom m'avait été donné par un ami. Je pense qu'il en revend une partie au Maroc et une autre partie sur la Grand-Mare. A partir de début juillet, j'ai toujours eu affaire à son fils..." ; que ces dires précis sont corroborés par les perquisitions opérées chez le prévenu, rappelées plus haut, qui ont bien démontré que le père s'était totalement approprié le matériel volé ; que le recel pratiqué ainsi à titre professionnel constitue une véritable incitation au vol pour des jeunes comme Matthieu Y... (arrêt, pages 3 et 4) ;
"alors que n'est pas punissable pour recel celui qui continue à détenir une chose après en avoir appris l'origine frauduleuse, s'il était de bonne foi lors de son entrée en possession ;
"qu'en l'espèce, pour estimer que dès son entrée en possession, le demandeur avait connaissance de l'origine frauduleuse des produits litigieux, entreposés dans son magasin, la cour d'appel s'est retranchée derrière les déclarations du jeune Matthieu Y..., déclarant que Hamid X... lui avait acheté du matériel volé à partir de la mi-juin 1995 jusqu'à son départ au Maroc en juillet 1995 ;
"qu'en statuant ainsi, tout en relevant, sur la foi des déclarations du fils du demandeur, que ce dernier n'avait découvert l'origine frauduleuse des marchandises litigieuses qu'à son retour de vacances, la cour d'appel, qui se détermine par des motifs contradictoires, n'a pas légalement justifié sa décision" ;
Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué mettent la Cour de Cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel, par des motifs exempts d'insuffisance ou de contradiction, a caractérisé en tous ses éléments constitutifs, tant matériels qu'intentionnel, le délit dont elle a déclaré le prévenu coupable ;
D'où il suit que le moyen, qui se borne à remettre en question l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause contradictoirement débattus, ne saurait être accueilli ;
Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 132-19, 132-24, 311-1, 321-1, 321-2, 321-3, 321-9, 321-10, 131-26, 131-27, 131-31 et 131-35 du Code pénal, 427, 485, 512, 515, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt infirmatif attaqué, qui déclare le demandeur coupable de recel, l'a condamné à 15 mois d'emprisonnement dont 5 mois avec sursis, et à une amende de 60 000 francs ;
"alors que, si sur l'appel du ministère public, la cour d'appel peut aggraver le sort du prévenu et lui infliger une peine supérieure à celle retenue par les premiers juges, elle doit motiver sa décision sur ce point ; qu'ainsi, méconnaît les exigences de l'article 593 du Code de procédure pénale, la cour d'appel qui, après s'être bornée à énoncer qu'il convenait - sur la culpabilité - de confirmer la décision du tribunal, lequel a condamné Hamid X... à 12 mois d'emprisonnement dont 8 mois avec sursis, et 20 000 francs d'amende, décide, sans mieux s'en expliquer, d'infliger au demandeur 15 mois d'emprisonnement dont 5 mois avec sursis, et 60 000 francs d'amende" ;
Attendu qu'en aggravant la sanction prononcée par les premiers juges, la cour d'appel n'a fait qu'user de la faculté discrétionnaire dont elle dispose quant à l'application de la peine, dans les limites fixées par la loi ;
Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 132-19, 132-24, 311-1, 321-1, 321-2, 321-3, 321-9, 321-10, 131-26, 131-27, 131-31 et 131-35 du Code pénal, 427, 485, 512, 515, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt infirmatif attaqué, qui déclare le demandeur coupable de recel, l'a condamné à 15 mois d'emprisonnement dont 5 mois avec sursis ;
"alors qu'en matière correctionnelle, la juridiction ne peut prononcer une peine d'emprisonnement sans sursis qu'après avoir spécialement motivé le choix de cette peine ; qu'ainsi, méconnaît les exigences de l'article 132-19 du Code pénal la cour d'appel qui, réformant le jugement sur la peine, prononce à l'encontre du prévenu une peine d'emprisonnement ferme pour partie, sans avoir spécialement motivé ce choix" ;
Et sur le quatrième moyen de cassation, pris de la violation des articles 132-19, 132-24, 311-1, 321-1, 321-2, 321-3, 321-9, 321-10, 131-26, 131-27, 131-31 et 131-35 du Code pénal, 427, 485, 512, 515, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt infirmatif attaqué, qui déclare le demandeur coupable de recel, l'a condamné à une amende de 60 000 francs ;
"alors que, conformément au principe de la personnalisation judiciaire des peines, consacré par l'article 132-24 du Code pénal, le juge fixe le quantum de la peine d'amende en fonction des circonstances de l'infraction, de la personnalité de son auteur, ainsi que des ressources et des charges de celui-ci ;
qu'ainsi, prive sa décision de toute base légale, la cour d'appel qui, infirmant le jugement ayant infligé une peine de 20 000 francs d'amende à l'encontre du demandeur, condamne celui-ci à 60 000 francs d'amende, sans rechercher si cette somme est compatible avec les ressources et les charges du demandeur" ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu que, pour condamner le prévenu à une peine d'emprisonnement sans sursis, les juges relèvent notamment que "le recel, pratiqué ainsi à titre professionnel, constitue une véritable incitation pour des jeunes" ; que, par ailleurs, ils n'avaient pas à s'expliquer sur le montant de l'amende ;
Qu'ainsi, les moyens ne sauraient être accueillis ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Milleville conseiller doyen, faisant fonctions de président en remplacement du président empêché, M. Pinsseau conseiller rapporteur, M. Joly, Mme Anzani conseillers de la chambre, Mme Batut conseiller référendaire appelé à compléter la chambre, M. Desportes, Mme Karsenty conseillers référendaires ;
Avocat général : M. Lucas ;
Greffier de chambre : Mme Krawiec ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;