AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le neuf novembre mil neuf cent quatre-vingt-dix-huit, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller référendaire DESPORTES, les observations de la société civile professionnelle COUTARD et MAYER, de la société civile professionnelle BORE et XAVIER, de la société civile professionnelle DEFRENOIS et LEVIS et de Me BALAT, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général LUCAS ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
- Z... Monique, veuve X...,
- X... Vincent, parties civiles,
contre l'arrêt de la cour d'appel de PARIS, 11ème chambre, en date du 27 juin 1997, qui, après avoir relaxé Robert Y... et Guy A... du chef d'homicide involontaire, a débouté les parties civiles de leurs demandes ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 319 ancien et 221 nouveau du Code pénal, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a renvoyé Guy A... et Robert Y... des fins de la poursuite ;
"aux motifs que "Jacques X..., pour examiner de plus près le fonctionnement de la presse, a pris l'initiative de s'enfermer à l'intérieur de l'enceinte grillagée et de demander à un subordonné, situé à l'extérieur, d'actionner la commande de mise en marche ; que si Jacques X... a fait preuve d'une grande conscience professionnelle en voulant rechercher lui-même la cause de la fuite, il a délibérément rendu inefficace le dispositif de sécurité ; que cette initiative courageuse mais très dangereuse est la cause directe de l'accident ; qu'il n'apparaît pas que l'absence de notice d'utilisation et d'entretien ait joué un rôle dans la réalisation de l'accident ; que le principe même du dispositif de sécurité avait pour objet d'interdire une intervention sur la presse en fonctionnement ; que Jacques X..., technicien expérimenté, n'avait pas besoin de cette notice pour comprendre le principe et le fonctionnement du dispositif de sécurité ; que le non-respect de l'article R. 233-105 du Code du travail imputable à Guy A..., pour critiquable qu'il soit, n'a pas de lien de causalité avec l'accident ; que le jugement sera donc infirmé en ce qu'il a retenu la culpabilité de Guy A..." ;
"alors, d'une part, que l'homicide involontaire n'exige pas que la faute du prévenu ait été la cause exclusive directe et immédiate de l'accident ; qu'en l'espèce, il ressort des propres constatations de l'arrêt attaqué qu'en l'absence d'une notice détaillée précisant les procédures d'intervention sur la presse en cas de panne fournie lors de l'installation de la machine, Vincent X... avait pris l'initiative de remédier lui-même à la défectuosité constatée ; que l'arrêt ne pouvait déclarer qu'il n'apparaissait pas que l'absence de notice d'utilisation et d'entretien avait joué un rôle dans la réalisation de l'accident, alors que l'existence d'une notice d'utilisation aurait évité à la victime de rechercher elle-même la cause de la panne ;
"alors, d'autre part, que la compétence et l'expérience de la victime, ne sauraient exonérer son employeur de l'obligation qui lui incombe de veiller à la sécurité de son personnel et au respect par celui-ci des règlements en vigueur, non plus que le fabricant de la machine d'en fournir la notice ; que, pour écarter tout lien de causalité entre la faute des prévenus et l'accident, la cour d'appel ne pouvait déclarer que Jacques X..., technicien expérimenté, n'avait pas besoin de la notice pour comprendre le principe et le fonctionnement du dispositif de sécurité ; qu'il appartenait au constructeur de la presse d'en fournir la notice, et à l'employeur de mettre celle-ci à la disposition du salarié" ;
Vu l'article 593 du Code de procédure pénale ;
Attendu que tout jugement ou arrêt doit être motivé et répondre aux conclusions des parties ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué qu'alors qu'il était occupé à vérifier le bon fonctionnement d'une presse dans laquelle il avait décelé une fuite de vapeur, un salarié de la société Isoplac a été mortellement heurté par la partie mobile de la machine ; que Robert Y..., supérieur hiérarchique de la victime, et Guy A..., ancien gérant de l'entreprise Empa, constructeur de la presse, ont été poursuivis pour homicide involontaire et déclarés coupables de ce chef par le tribunal correctionnel ;
Attendu que, pour relaxer les prévenus et débouter les parties civiles, la cour d'appel énonce qu'afin d'intervenir sur la presse, la victime a délibérément rendu inefficace le système de sécurité en s'enfermant à l'intérieur de l'enceinte grillagée qui protégeait la machine et en demandant à un subordonné, situé à l'extérieur, de mettre en marche celle-ci ; que les juges estiment que cette initiative "courageuse mais très dangereuse", est la cause directe de l'accident ;
Qu'ils ajoutent que, pour critiquable qu'elle soit, la négligence des prévenus, qui avaient omis, en méconnaissance de l'article R. 233-105 ancien du Code du travail, de fournir ou de réclamer une notice d'utilisation et d'entretien de la machine, n'a pas eu de rôle causal dans la réalisation de l'accident ;
Qu'ils relèvent que le salarié, technicien expérimenté ayant la qualification de régleur sur presse, avait suivi un stage de formation dans l'entreprise Empa et qu'il avait lui-même en charge la sécurité au sein de l'usine où il était affecté ; que les juges en déduisent qu'il n'avait pas besoin de la notice d'utilisation "pour comprendre le principe et le fonctionnement du dispositif de sécurité" conçu pour empêcher toute intervention sur la presse en mouvement ;
Mais attendu qu'en prononçant ainsi sans rechercher, comme l'y invitaient les parties civiles, si la victime n'avait pas été amenée à intervenir sur la presse dans des conditions dangereuses, faute d'une notice d'instruction qui lui aurait permis notamment d'analyser les causes de la fuite de vapeur constatée et de connaître la procédure à suivre, le cas échéant, pour y remédier, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
D'où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs,
CASSE et ANNULE, mais uniquement en ce qu'il a prononcé sur l'action civile, l'arrêt de la cour d'appel de Paris, en date du 27 juin 1997, et pour qu'il soit jugé à nouveau, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Paris, sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Milleville conseiller doyen, faisant fonctions de président en remplacement du président empêché, M. Desportes conseiller rapporteur, MM. Pinsseau, Joly, Mmes Simon, Anzani conseillers de la chambre, Mmes Batut, Karsenty conseillers référendaires ;
Avocat général : M. Lucas ;
Greffier de chambre : Mme Krawiec ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;