AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, TROISIEME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par le GAEC de l'Eclair, dont le siège est 27292 Authou, représenté par MM. André et Pierre Courrier, domiciliés audit siège,
en cassation d'un arrêt rendu le 10 septembre 1996 par la cour d'appel de Rouen (Chambre sociale, Section paritaire), au profit :
1 / de M. Etienne Y...
A..., demeurant ...,
2 / de M. Jean-Marie Y...
A..., demeurant ...,
3 / de M. Vincent Y...
A..., demeurant ...,
4 / de Mme Jacqueline B..., épouse Y...
A..., demeurant ..., défendeurs à la cassation ;
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les quatre moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
LA COUR, en l'audience publique du 29 septembre 1998, où étaient présents : M. Beauvois, président, M. Peyrat, conseiller rapporteur, Mlle Fossereau, MM. Boscheron, Toitot, Mme Di Marino, MM. Bourrelly, Guerrini, Dupertuys, Philippot, conseillers, M. Pronier, Mme Fossaert-Sabatier, conseillers référendaires, M. Baechlin, avocat général, Mlle Jacomy, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. Peyrat, conseiller, les observations de la SCP Guiguet, Bachellier et Potier de La Varde, avocat du GAEC de l'Eclair, de Me Foussard, avocat des consorts Z..., les conclusions de M. Baechlin, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Sur les premier et deuxième moyens, réunis :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Rouen, 10 septembre 1996), que, par acte du 15 février 1984, les consorts Z..., ont donné à bail à ferme des terres au groupement agricole d'exploitation en commun de l'Eclair (GAEC) constitué par MM. André et Pierre X... ; qu'en 1991, les bailleurs ont assigné le GAEC en résiliation du bail pour non paiement de fermage ; que par arrêt du 9 juin 1994, la cour d'appel de Rouen a prononcé la résiliation et a désigné un expert ;
Attendu que le Gaec fait grief à l'arrêt de dire qu'il ne lui est dû aucune indemnité, alors, selon le moyen, "1 / qu'en vertu de l'article L. 411-77 du Code rural, sont réputées non écrites toutes clauses ou conventions, ayant pour effet de supprimer ou de restreindre les droits conférés au preneur sortant, notamment en raison des améliorations apportées au fonds loué ; qu'en se fondant pour compenser les sommes remises par les bailleurs au cours du bail avec les indemnités de sortie auxquelles les preneurs avaient droit, sur les termes de conventions stipulant que les sommes remises seraient déduites des indemnités auxquelles pourraient éventuellement prétendre les preneurs en fin de bail, ce qui avait pour effet de supprimer ou restreindre les droits du preneur sortant, la cour d'appel a violé ledit article ; 2 / qu'en vertu de l'article 480 du nouveau Code de procédure civile, le jugement qui tranche dans son dispositif tout ou partie du principal a, dès son prononcé, l'autorité de la chose jugée relativement à la contestation qu'il tranche ; que dès lors, en jugeant, pour décider que les preneurs n'avaient droit à aucune indemnité pour les améliorations apportées au fonds que les bailleurs pouvaient leur opposer les sommes de 906 965 francs et 106 882 francs leur restant dues au titre des fermages et taxes foncières bien que son précédent arrêt du 9 juin 1994 ait constaté que les preneurs restaient devoir les sommes de 70 920 francs et 32 904 francs au titre des fermages impayés et des taxes foncières, la cour d'appel a méconnu l'autorité s'attachant à cette précédente décision, et a ainsi violé ledit article et l'article 1351 du Code civil" ;
Mais attendu qu'ayant relevé que le bail n'interdisait pas l'indemnisation éventuelle des preneurs en cas d'amélioration de leur part au moment de la sortie des lieux, que les bailleurs, conscients de l'état de l'exploitation et des travaux qui étaient nécessaires, avaient voulu favoriser les activités des preneurs par des remises de loyers ou de taxes foncières qui devaient s'entendre dans le sens de "report, ajournement, délai", que les conventions précisaient que les sommes dues seraient en tout ou partie déductibles des indemnités pouvant être dues pour améliorations ou du "montant de toutes indemnités auxquelles pouvaient prétendre MM. Courrier à l'expiration du bail, notamment en vertu de l'article L. 411-69 du Code rural", et retenu que le règlement des fermages n'était pas contractuellement prévu pour les échéances 1991, 1992 et 1993, que l'arrêt du 9 juin 1994 avait fixé le montant des fermages impayés, des taxes foncières et des dégrèvements à la date d'octobre 1993 mais que depuis cette date des échéances nouvelles étaient apparues, la cour d'appel qui a, sans violer l'autorité de la chose jugée, constaté que les sommes remises excédaient les indemnités pouvant revenir aux preneurs, a pu en déduire qu'aucune indemnité de sortie n'était due à ces derniers ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le troisième moyen :
Attendu que le Gaec fait grief à l'arrêt de juger qu'il reste redevable d'une certaine somme au titre d'un prêt, alors, selon le moyen, "qu'en vertu de l'article 480 du nouveau Code de procédure civile, le jugement qui tranche dans son dispositif tout ou partie du principal a, dès son prononcé, l'autorité de la chose jugée relativement à la contestation qu'il tranche ; que, dès lors, en se prononçant à nouveau sur la somme due aux bailleurs au titre d'un prêt de 54 000 francs consenti aux preneurs le 6 mai 1986 quant auquel son précédent arrêt en date du 9 juin 1994 avait déjà statué, et à l'égard duquel elle se trouvait de ce fait dessaisie, la cour d'appel a méconnu l'autorité s'attachant à sa précédente décision, et a ainsi violé ledit article, et l'article 1351 du Code civil" ;
Mais attendu que la cour d'appel qui avait par son précédent arrêt du 9 juin 1994, condamné au paiement d'une somme de 27 000 francs, partie exigible à cette date d'un prêt de 54 000 francs consenti par les consorts Z... aux preneurs, a, sans violer l'autorité de la chose jugée, retenu qu'il était encore dû sur ce prêt la somme complémentaire de 27 000 francs ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le quatrième moyen :
Vu l'article 1351 du Code civil ;
Attendu que l'arrêt fixe l'indemnité d'occupation au double du montant du fermage dû jusqu'au départ effectif de MM. Courrier ;
Qu'en statuant ainsi, alors que l'arrêt du 9 juin 1994 avait décidé que cette indemnité serait d'un montant égal à celui du fermage, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a fixé le montant de l'indemnité d'occupation due par MM. Courrier au double du montant du fermage, l'arrêt rendu le 10 septembre 1996, entre les parties, par la cour d'appel de Rouen ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Caen ;
Condamne les consorts Z... aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette la demande des consorts Z... ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatre novembre mil neuf cent quatre-vingt-dix-huit.