AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le trois novembre mil neuf cent quatre-vingt-dix-huit, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire KARSENTY, les observations de la société civile professionnelle WAQUET, FARGE et HAZAN, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général AMIEL ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
- X... Brigitte veuve B..., agissant tant en son nom qu'au nom de son fils mineur B... Mathieu,
- B... Maurice,
- Z... Marie-Louise, épouse B...,
- B... Yvette, épouse Y...,
contre l'arrêt de la cour d'appel de GRENOBLE, chambre correctionnelle, en date du 7 novembre 1996, qui, dans la procédure suivie contre Jean C... des chefs d'homicide involontaire, infraction à la règlementation relative à l'hygiène et la sécurité des travailleurs et travail clandestin, a débouté les parties civiles de leurs demandes ;
Vu le mémoire produit commun aux demandeurs ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué, que le 3 août 1993, Michel B..., occupé à élaguer, à l'aide de sa tronçonneuse, à une hauteur de huit mètres et sans aucune protection, les branches d'un peuplier dans l'enceinte de l'hôtel exploité par Jean C..., a fait une chute mortelle ; que, ce dernier a été cité devant le tribunal correctionnel pour homicide involontaire, travail clandestin par dissimulation de salarié et infraction aux articles 5 et 17 du décret du 8 janvier 1965 ; que, sur appel du prévenu et appel incident des parties civiles, la cour d'appel, infirmant le jugement de condamnation, a relaxé le prévenu des chefs d'homicide involontaire et infraction à la réglementation sur l'hygiène et la sécurité des travailleurs, l'a condamné pour infraction à l'article L. 324-9 du Code du travail, après avoir requalifié les faits, et a débouté les parties civiles de leurs demandes ;
En cet état,
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 221-6 du Code pénal, 319 ancien du Code pénal, 5 et 17 du décret du 8 janvier 1965, L. 263-2, L. 320, L. 324-9, L. 324-10 et suivants du Code du travail, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a relaxé Jean C... des fins de la poursuite pour homicide involontaire et défaut de protection d'un salarié contre les risques de chute, disqualifiant l'infraction d'exécution d'un travail clandestin en celle de recours au service d'un travailleur clandestin ;
"aux motifs que "Michel B... a effectué au sein de l'hôtel Europa pour le compte de Jean C... différentes prestations de service en utilisant un outillage et du matériel de professionnel (...) ; si la réalité d'un travail clandestin effectué par Michel B... pour le compte de Jean C... est établie, il n'est pas pour autant démontré que les prestations de service accomplies par Michel B... pour le compte de Jean C... l'avaient été dans le cadre d'un contrat de travail ; il apparaît en effet des pièces de la procédure que les prestations accomplies par Michel B... pour le compte de Jean C... l'étaient dans le cadre de l'exercice de la profession pour laquelle il avait été inscrit au répertoire des métiers et présentaient un caractère artisanal (...) ;
la preuve d'un lien de subordination entre lui-même et Jean C... n'est pas rapportée (...) ; Jean C... ne peut ainsi être tenu pour responsable de la mort accidentelle de Michel B... (...)" ;
"alors d'une part, que la cour d'appel constate que Michel B... qui avait exercé la profession d'installateur chauffagiste, plombier, zingueur, avait été radié du répertoire des métiers le 27 mai 1987, qu'il effectuait depuis lors différentes prestations de service à l'hôtel Europa pour le compte de Jean C..., que ce dernier laissait à sa disposition dans l'enceinte de l'hôtel un local pour entreposer son matériel ; qu'ainsi, les travaux d'élagage à l'origine de l'accident étaient étrangers à son ancienne profession ; qu'il résulte au contraire de l'arrêt attaqué que la victime effectuait toutes sortes de prestations de nature diverse au sein de l'hôtel Europa, à la demande de Jean C... et dans le cadre du service organisé par celui-ci dans lequel Michel B... était intégré à la demande de l'employeur ; qu'ainsi, un lien de subordination liait Michel B... à Jean C..., que la relative liberté laissée au préposé pour l'exécution de sa mission n'était pas de nature à exclure ;
"alors, d'autre part, que, indépendamment même de tout rapport de préposition, le fait pour Jean C... de laisser Michel B... prendre des risques inconsidérés en effectuant pour son compte, sans protection aucune, des travaux d'élagage à une hauteur de huit mètres, dans sa propriété, sans intervenir et l'inciter à plus de prudence, constitue une faute en lien de causalité avec l'accident mortel survenu à la victime, de nature à caractériser l'infraction d'homicide involontaire ;
"alors, qu'enfin, qu'en se bornant à exclure tout homicide involontaire, infraction dont elle était saisie, du seul fait de la prétendue absence de lien de subordination entre Michel B... et Jean C..., la cour d'appel a privé sa décision de tout fondement légal" ;
Sur le moyen pris en sa première branche ;
Attendu, qu'analysant les conditions d'exécution des tâches accomplies par Michel B..., la cour d'appel énonce que le jour de l'accident, l'hôtelier lui a indiqué une fuite probable dans la canalisation des douches ; qu'après avoir procédé à des vérifications sur place, en compagnie de Jean-Marc A..., l'intéressé est allé cherché un compresseur et, dans le même temps, a apporté une tronçonneuse ; que les deux hommes ont alors décidé de procéder à l'élagage d'un arbre dont les feuilles bouchaient les canalisations de l'hôtel ; que les juges observent que les relations entre Jean C... et la victime s'inscrivaient dans le cadre de l'exercice de la profession de chauffagiste, plombier, zingueur, pour laquelle l'intéressé avait été inscrit, puis radié du répertoire des métiers ; qu'ils relèvent que l'importance des travaux effectués avec un matériel de professionnel appartenant à la victime établissent le caractère lucratif des prestations ; qu'ils retiennent que celles-ci, fournies selon les commandes de Jean C..., avec du matériel que se procurait la victime, selon un emploi du temps que celle-ci organisait librement, entrent dans le cadre d'un contrat d'entreprise ;
Attendu qu'en l'état de ces motifs relevant de son pouvoir souverain d'appréciation, et dépourvus d'insuffisance comme de contradiction, la cour d'appel a justifié sa décision ;
Et sur le moyen pris en sa deuxième et sa troisième branches ;
Attendu que, pour relaxer Jean C... du chef d'homicide involontaire, les juges énoncent qu'en sa qualité de travailleur indépendant, il appartenait à Michel B... d'assurer sa sécurité lors de l'exécution de son travail, et que le prévenu ne peut ainsi être tenu pour responsable de sa mort accidentelle ;
Attendu qu'en prononçant ainsi, la cour d'appel a justifié sa décision tant au regard de l'article 319 ancien que de l'article 221-6 du Code pénal ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Milleville conseiller doyen, faisant fonctions de président en remplacement du président empêché, Mme Karsenty conseiller rapporteur, MM. Pinsseau, Joly, Mmes Simon, Anzani conseillers de la chambre, Mme Batut, M. Desportes conseillers référendaires ;
Avocat général : M. Amiel ;
Greffier de chambre : Mme Nicolas ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;