AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par la société Brico-Chant, société anonyme, dont le siège est ...,
en cassation d'un arrêt rendu le 3 mai 1996 par la cour d'appel de Besançon (chambre sociale), au profit de M. Michel X..., demeurant ...,
défendeur à la cassation ;
LA COUR, en l'audience publique du 1er juillet 1998, où étaient présents : M. Waquet, conseiller doyen faisant fonctions de président, M. Soury, conseiller référendaire rapporteur, M. Lanquetin, Mme Lemoine-Jeanjean, conseillers, M. Boinot, conseiller référendaire, M. Lyon-Caen, avocat général, Mme Marcadeux, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. Soury, conseiller référendaire, les observations de Me de Nervo, avocat de la société Brico-Chant, les conclusions de M. Lyon-Caen, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu que M. X... s'est vu confier par son employeur, la société Brico-Chant, la responsabilité d'un magasin à compter du 1er octobre 1991 ; que, par lettre recommandée reçue par son employeur le 24 octobre 1991, il a donné sa démission ; que soutenant qu'il avait été contraint par son employeur de rédiger cette lettre de démission, il a saisi la juridiction prud'homale pour obtenir paiement de rappels de salaires et de congés payés ainsi que d'une indemnité de préavis et de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et sans respect de la procédure ;
Sur le premier moyen :
Attendu que la société Brico-Chant fait grief à l'arrêt attaqué (Besançon, 3 mai 1996) de l'avoir condamnée à payer à M. X... des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse alors, selon le moyen, qu'il appartient au salarié qui a établi une lettre de démission et qui prétend avoir été licencié d'en apporter la preuve ; qu'en énonçant que, faute de connaître avec certitude la date d'établissement de la lettre de démission écrite par le salarié, qui en avait remis en cause le contenu devant l'inspecteur du travail, il n'était nullement démontré que M. X... avait volontairement mis fin à son contrat de travail, et que la rupture était donc imputable à l'employeur, la cour d'appel a renversé la charge de la preuve et a violé l'article 1315 du Code civil ; que le caractère équivoque d'une lettre de démission doit s'apprécier au vu de l'analyse des termes de ce courrier, qu'une rétractation ne peut suffire à priver de portée ; qu'en se bornant à affirmer que les éléments caractérisant l'absence d'équivoque de la lettre de démission faisaient singulièrement défaut, la cour d'appel, qui n'a pas analysé, comme l'y invitaient les conclusions d'appel, les termes mêmes de cette lettre ainsi rédigée "par la présente, je vous prie de bien vouloir prendre note de ma démission à dater de ce jour", n'a pas justifié sa décision au regard des articles L. 122-4 et L. 122-14-3 du Code du travail ; qu'il appartient aux juges du fond, qui constatent que la démission d'un salarié est équivoque et
a été donnée sous la contrainte, de caractériser ces éléments par l'analyse des circonstances dans lesquelles la lettre de démission a été établie ; qu'en se bornant à relever que l'on ignorait la date à laquelle la lettre avait été rédigée et que la démission avait été dénoncée auprès de l'inspecteur du travail par le salarié, sans s'expliquer sur les circonstances de cette démission, et notamment sur le fait que le salarié, ancien président directeur général de l'entreprise, n'avait pas remis en cause les termes de son courrier auprès de l'employeur, et qu'il ne justifiait pas avoir été empêché de travailler, la cour d'appel n'a caractérisé ni l'équivoque, ni la contrainte dont M. X... se prévalait et a ainsi privé sa décision de base légale au regard des articles L. 122-14-3 et L. 122-4 du Code du travail ;
Mais attendu qu'ayant constaté que M. X... avait saisi l'inspection du travail, avant même que sa lettre de démission ne parvienne à son employeur, en soutenant que cette lettre avait été obtenue de lui sous la contrainte, la cour d'appel a pu décider que la volonté non équivoque de démissionner n'était pas caractérisée ;
Et attendu que la cour d'appel, qui a constaté que l'employeur s'était prévalu de la démission du salarié au retour du congé maladie de celui-ci, a exactement décidé que la prise d'acte d'une démission, qui n'était pas réelle et qui n'était pas autrement motivée, s'analysait en un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
Que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le second moyen :
Attendu que la société Brico-Chant fait grief à l'arrêt de l'avoir condamnée à payer à M. X... des sommes au titre du préavis et des congés payés y afférents alors, selon le moyen, que les juges du fond ne peuvent condamner un employeur à payer une indemnité de préavis sans préciser sur quelles dispositions ils se fondent pour en fixer la durée ; qu'en condamnant la société Brico-Chant à payer à M. X... une indemnité de préavis de deux mois et les congés payés y afférents, sans préciser sur quelles dispositions elle se fondait pour fixer la durée du préavis, la cour d'appel n'a pas mis la Cour de Cassation en mesure d'exercer son contrôle et a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu que la cour d'appel a fait ressortir que le salarié totalisait dans l'entreprise une ancienneté lui permettant de prétendre à un préavis de deux mois en application de l'article L. 122-6 du Code du travail ; que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Brico-Chant aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, condamne la société Brico-Chant à payer à M. X... la somme de 5 000 francs ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-huit octobre mil neuf cent quatre-vingt-dix-huit.