AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par la société Daewoo automobile France, société par actions simplifiée, venant aux droits de la société à responsabilité limitée Daewoo France, dont le siège est 33-49, avenue du Bois de la Pie ZAC Paris Nord II, 93290 Tremblay-en-France,
en cassation d'un arrêt rendu le 10 septembre 1997 par la cour d'appel de Paris (5e chambre, section A), au profit :
1 / de la Compagnie générale d'électromécanismes (COGEM), société anonyme, dont le siège est ...,
2 / de M. Georges X..., domicilié ..., pris en sa qualité de liquidateur amiable de la société anonyme, Compagnie générale d'électromécanismes (COGEM),
défendeurs à la cassation ;
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
LA COUR, en l'audience publique du 7 juillet 1998, où étaient présents : M. Bézard, président, Mme Tric, conseiller rapporteur, MM. Grimaldi, Apollis, Tricot, Badi, Mme Aubert, conseillers, Mme Geerssen, M. Rémery, Mme Graff, conseillers référendaires, M. Lafortune, avocat général, Mme Moratille, greffier de chambre ;
Sur le rapport de Mme Tric, conseiller, les observations de la SCP Célice, Blancpain et Soltner, avocat de la société Daewoo automobile France, les conclusions de M. Lafortune, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 10 septembre 1997), que la société Daewoo France, qui avait concédé, par un premier contrat, à la société Compagnie générale d'électromécanismes (société COGEM) la distribution exclusive en France d'appareils autoradios et accessoires importés de Corée du Sud ou fabriqués par elle et qui, par un second contrat, l'avait autorisée à développer une activité d'assemblage d'autoradios en pièces détachées, a dénoncé ces conventions en invoquant le défaut de paiement des échéances par la société COGEM et le non-respect par elle des quotas d'approvisionnement ; que sur assignations respectives de la société COGEM et de la société Daewoo France, le tribunal de commerce, s'estimant insuffisamment informé sur les responsabilités des contractants dans la rupture de leurs relations, a ordonné, avant-dire droit, une expertise ;que, postérieurement, la société COGEM a été mise en redressement judiciaire ; qu'un plan de cession de l'entreprise a été arrêté le 22 mai 1990, M. Chavaux étant nommé commissaire à l'exécution du plan pour un an ; qu'ayant été dissoute le 1er décembre 1990, la société COGEM a été radiée du registre du commerce le 8 mars 1994 ; que, par jugement du 18 septembre 1995, le Tribunal a accueilli partiellement, après dépôt du rapport d'expertise, la demande de la société COGEM, représentée par M. Baudy, liquidateur amiable ;
Sur le premier moyen :
Attendu que la société Daewoo France fait grief à l'arrêt d'une contradiction irréductible existant entre les mentions, contestables, selon lesquelles Mme Vigneron, président, aurait tenu seule l'audience en l'absence d'opposition des parties et rendu compte à la cour d'appel, dans son délibéré, et les mentions, également contestables, du registre d'audience, qui font foi jusqu'à inscription de faux, selon lesquelles la cour d'appel était composée de trois magistrats, Mme Vigneron, Mme Z... et Mme A..., lors de l'audience des débats et prétend qu'en cet état, la Cour de Cassation n'est pas en mesure de savoir s'il a effectivement été fait application des dispositions de l'article 786 du nouveau Code de procédure civile et, partant, si dans l'affirmative, les exigences de ce texte ont été respectées ;
Mais attendu que selon l'article 457 du nouveau Code de procédure civile, le jugement a la force probante d'un acte authentique ; qu'il résulte des énonciations de l'arrêt que Mme Vigneron, président, a entendu les plaidoiries, les avocats ne s'y étant pas opposés, et qu'elle en a rendu compte dans son délibéré ; d'où il résulte que les exigences de l'article 786 du nouveau Code de procédure civile ont été respectées ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le deuxième moyen, pris en ses trois branches :
Attendu que la société Daewoo France fait encore grief à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande tendant à ce que soit constatée la nullité du jugement rendu au profit de la société COGEM, alors, selon le pourvoi, d'une part, qu'est nul le jugement rendu à la demande d'une personne morale non régulièrement représentée, sans que cette situation puisse être régularisée en cause d'appel ; qu'en l'espèce, le Tribunal ayant, après dépôt du rapport d'expertise, été saisi par voie de conclusions déposées au nom de "la société COGEM représentée par M. Chavaux", dont l'arrêt constate qu'il n'avait plus qualité pour représenter cette société dissoute, le jugement rendu au profit de cette société était entaché de nullité sans que cette situation puisse être régularisée par l'intervention pour la première fois en cause d'appel du prétendu liquidateur amiable de cette société, M. Baudy ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a violé les articles 31, 32, 117 et 121 du nouveau Code de procédure civile ; alors, d'autre part, et subsidiairement, qu'en estimant que M. Baudy, qualifié de "liquidateur amiable" était apte à représenter la société prétendument en liquidation, sans s'expliquer aucunement sur le point de savoir si la cession des activités de la société COGEM à une société tierce avait été totale ou partielle ou si, comme paraît l'admettre la cour d'appel, une partie de l'actif consistant en la créance litigieuse avait été distraite, et sans contrôler, en conséquence, si les organes judiciaires avaient été valablement dessaisis et avaient pu laisser place au liquidateur amiable susvisé , la cour d'appel, qui admet que l'action ait pu se poursuivre par le truchement de ce dernier, prive sa décision de base légale au regard des articles 31 du nouveau Code de procédure civile et 81 de la loi du 25 janvier 1985 ; et alors, enfin, qu'aux termes de l'article 90 du décret du 27 décembre 1985, après cession de l'entreprise, les instances, qui ne sont pas terminées lorsque la mission du commissaire à l'exécution a pris fin, sont poursuivies
par un mandataire ad hoc désigné par le Tribunal devant lequel s'est déroulée la procédure de redressement ; qu'en admettant que M. Baudy, liquidateur amiable, avait régulièrement repris l'instance à la suite de la cessation des fonctions de M. Chavaux, sans contrôler la régularité de la mise en liquidation "amiable" de la société COGEM et de la désignation de M. Baudy pour la représenter, la cour d'appel a pirvé sa décision de base légale au regard de l'article 90 du décret du 27 décembre 1985 et des textes susvisés ;
Mais attendu que la société Daewoo France, dans ses conclusions d'appel, soutenait que l'instance aurait dû être reprise par le liquidateur amiable ; qu'elle ne peut dès lors soutenir devant la Cour de Cassation, fût-elle de pur droit et d'ordre public, une argumentation incompatible avec la position qu'elle avait prise devant les juges du second degré ; qu'il s'ensuit que le moyen est irrecevable ;
Et sur le troisième moyen, pris en ses trois branches :
Attendu que la société Daewoo automobile France fait enfin grief à l'arrêt d'avoir constaté la résiliation du contrat de concession à ses torts exclusifs et de l'avoir, en conséquence, condamnée à payer à M. Y..., ès qualités de liquidateur amiable de la société COGEM, la somme de 9 589 000 francs à titre de dommages-intérêts, alors, selon le pourvoi, d'une part, qu'en laissant sans réponse le moyen des écritures de la société Daewoo France qui faisait valoir que la clause reconnaissant à la société COGEM "l'exclusiviité de distribution des autoradios, fabriqués ou importés par Daewoo" devait s'entendre eu égard à l'objet du contrat, qui était la concession à la société COGEM de la licence de la marque Daytron, et qu'aucune vente sous cette marque à des entreprises tiers au contrat de concession n'avait été constatée à l'encontre du concédant, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; alors, d'autre part, qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a également privé sa décision de base légale au regard des articles 1134 et 1147 du Code civil ; et alors, en outre, que l'exception d'inexécution doit être exercée de bonne foi ; qu'elle ne peut utilement justifier le refus d'exécuter de celui qui l'invoque que si ce refus a pour cause l'inexécution par son cocontractant de ses propres obligations et pour but de contraindre ce dernier à les exécuter ; qu'en l'espèce, il est constant (v. rapport d'expertise p. 22) que c'est seulement le 19 septembre 1988, soit après qu'elle ait pris la décision de ne plus exécuter son contrat, que la société COGEM s'est plainte pour la première fois de ce que la société Daewoo commercialisait des autoradios sur le territoire français ; que, par ailleurs, la société faisait valoir qu'il résultait d'un courrier du 28 juin 1985 que la société COGEM avait toujours connu l'existence de telles ventes et admis qu'elles ne constituaient pas une violation de la clause d'exclusivité ; qu'en ne tenant aucun compte de ces circonsances de fait, d'où il se déduisait que le refus de la société COGEM d'exécuter son contrat n'avait ni pour cause, ni même pour mobile une prétendue violation par la société Daewoo de ses obligations, ce qui excluait que la société COGEM pût se prévaloir après coup de "l'exception d'inexécution" pour tenter de s'exonérer des fautes qu'elle avait commises, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du Code
civil ;
Mais attendu, en premier lieu, qu'ayant, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'interprétation des conventions soumises à son appréciation, retenu que, par le premier acte sous seing privé du 24 juin 1985, la société Daewoo France avait accordé à la société COGEM l'exclusivité totale de distribution en France des autoradios et accessoires fabriqués par la société Daewoo Co limited ou importés de Corée du Sud et que, par le second acte sous seing privé du 12 juillet 1985, elle s'était engagée à fournir à la société COGEM des éléments d'autoradios destinés à être assemblés pour être distribués par cette société sous la marque Daytron, ce dont il résulte que le premier contrat ne limitait pas l'exclusivité à cette marque, la cour d'appel a répondu aux conclusions prétendument délaissées et légalement justifié sa décision ;
Attendu, en second lieu, que, dès le 28 juin 1985, la société COGEM a dénoncé, par le courrier cité, les manquements graves de la société Daewoo à la clause d'exclusivité, la menaçant de prendre les mesures qui s'imposaient pour sauvegarder ses intérêts ;
D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Daewoo automobile France aux dépens ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-sept octobre mil neuf cent quatre-vingt-dix-huit.