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20/10/1998 | FRANCE | N°97-81893

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 20 octobre 1998, 97-81893


REJET du pourvoi formé par :
- X...,
- Y...,
- Z..., civilement responsable,
contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, 11e chambre, en date du 6 mars 1997, qui, pour offense envers un chef d'Etat étranger et complicité, a condamné les 2 premiers à une amende de 5 000 francs chacun, a prononcé sur les intérêts civils, et a déclaré la dernière civilement responsable.
LA COUR,
Vu les mémoires produits en demande, en défense et en réplique ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation du préambule de la Constitution du 4 octobre 1958, des artic

les 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libert...

REJET du pourvoi formé par :
- X...,
- Y...,
- Z..., civilement responsable,
contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, 11e chambre, en date du 6 mars 1997, qui, pour offense envers un chef d'Etat étranger et complicité, a condamné les 2 premiers à une amende de 5 000 francs chacun, a prononcé sur les intérêts civils, et a déclaré la dernière civilement responsable.
LA COUR,
Vu les mémoires produits en demande, en défense et en réplique ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation du préambule de la Constitution du 4 octobre 1958, des articles 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 36 de la loi du 29 juillet 1881, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré établi le délit d'offense publique envers un chef d'Etat étranger ;
" aux motifs que A... est personnellement et directement visé en ce que la volonté qu'il a exprimée à l'automne 1992 d'engager la guerre contre la drogue ne constituerait que des effets d'annonce destinés à maintenir l'image du pays, cette citation extraite du rapport de l'Office géopolitique des drogues étant commentée et appuyée par la rédaction du "Z..." selon laquelle "cette étude met en doute la volonté des autorités chérifiennes de mettre un terme à ce trafic ; qu'il s'agit donc véritablement d'une accusation de duplicité, d'artifice, d'hypocrisie, constitutive d'une offense à chef d'Etat étranger ; que si la défense allègue que l'imputation concernerait les actes et non pas la personne, que les propos incriminés s'apparenteraient à la constatation qui pourrait être faite de l'inaccomplissement par des autorités politiques élues de leurs promesses électorales et que des critiques de cette nature procèdent du libre débat démocratique, il s'avère, cependant, que l'absence de réalisation de promesses électorales n'implique pas qu'elles aient été formulées sans la volonté de les mettre en oeuvre ; qu'en l'espèce, le caractère offensant du propos tient à la suspicion de la sincérité de la volonté même et à l'imputation de discours pernicieux, les effets d'annonce étant présentés comme n'ayant d'autre but que de "maintenir l'image du pays" ; que le droit de critique et de libre discussion des orientations ou des actes politiques trouve ses limites dans l'atteinte à la dignité de la personne ; que le seuil est franchi en l'espèce lorsqu'il ne s'agit plus de dénoncer l'inefficacité d'une politique ou une carence de mise en oeuvre, mais l'hypocrisie d'un discours ;
" alors que, d'une part, la valeur, la portée et les résultats des orientations politiques proclamées par un chef d'Etat étranger relèvent de l'exercice des droits fondamentaux que sont la liberté d'expression et d'information garanties tant par le Préambule de la constitution du 4 octobre 1958 que par l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés individuelles sans qu'il puisse être considéré qu'une appréciation négative portée sur l'attitude politique du chef d'Etat en cause soit constitutive d'offense commise à son encontre, l'article 36 de la loi du 29 juillet 1881, s'il a pour finalité d'assurer le respect dû à la fonction de chef d'Etat, ne pouvant, en revanche, interdire dans un Etat démocratique la libre critique de sa politique ; qu'en considérant, dès lors, que, dans le cadre d'un article consacré à une étude approfondie menée par un organisme indépendant et réputé pour son sérieux, le doute émis sur la volonté réelle du roi du Maroc de combattre le trafic de cannabis se développant à partir de cet Etat malgré ses proclamations présentées comme étant des effets d'annonce constituait envers ce chef d'Etat une offense, la Cour a violé l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en incriminant ce qui n'était qu'une appréciation portée sur l'attitude politique d'un chef d'Etat étranger dans un domaine donné ;
" et alors que, d'autre part, la Cour, qui a considéré que le caractère offensant des propos, résultait de ce qu'en mettant en doute la volonté de A... de mettre un terme au trafic de cannabis dont les déclarations en ce sens s'apparenteraient à des effets d'annonce, le roi du Maroc se trouvait ainsi accusé de duplicité et d'hypocrisie, a, par cette interprétation tout à fait arbitraire de la signification de l'écrit en cause, dénaturé les termes de celui-ci et n'a donc pas, en l'état de ses énonciations entachées d'insuffisance, caractérisé l'existence d'une offense faite à la personne du roi " ;
Et sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 121-3 du nouveau Code pénal, 36 de la loi du 29 juillet 1881, 591 et 593 du Code de procédure pénale, renversement de la charge de la preuve, défaut de motifs et manque de base légale :
" en ce que l'arrêt infirmatif a déclaré X... et Y... coupables respectivement d'offense publique envers un chef d'Etat étranger et complicité de ce délit ;
" aux motifs que l'information réitérée au public par la presse sur un sujet tel que le trafic international de la drogue constitue d'évidence un but légitime ; qu'en l'espèce, cette réitération ayant toutefois pour objet principal de mettre en exergue la responsabilité directe du pouvoir marocain, par référence à un document mettant nommément en cause des membres de la famille royale, alors même que ce document avait été édulcoré à cet égard à la demande de son destinataire, l'Union Européenne, ce que "Z..." n'ignorait pas, apparaît empreinte d'intention malveillante ; que la volonté d'appeler l'attention du lecteur sur la personne même du roi ressort de la mention faite par 2 fois que sa volonté politique semble se limiter à des effets d'annonce ; qu'il s'agit manifestement du point central de l'information ; que l'insistance sur "la bienveillance des autorités" se comprend nécessairement comme une tolérance de la part du roi ; que, dans ces conditions, l'offense faite au roi du Maroc. par l'imputation de duplicité qui lui est faite dans la même publication, n'est pas exempte d'animosité ; qu'en présentant l'Observatoire Géopolitique des Drogues comme "un organisme de recherche indépendant", le journaliste Y... entend manifestement souligner le caractère irréfutable de la teneur du rapport dont il cite et commente des extraits ; que, cependant, la fiabilité d'une source d'information ne saurait dispenser le journaliste de son devoir d'objectivité ; que, dès lors qu'il se faisait le porte-parole d'une thèse comportant de graves accusations, le journaliste ne pouvait, de bonne foi, s'en tenir à la version unilatérale de l'organisme accusateur et ce, précisément, d'autant moins qu'il ne laissait planer aucun doute sur le sérieux de la source d'information ; qu'il n'est pas établi ni même allégué qu'Y... ait cherché à contrôler l'exactitude du commentaire de l'OGD, auquel il s'en tient et selon lequel les conclusions de l'étude de 1994 restent d'actualité ; qu'il ne justifie d'aucune démarche faite auprès de personnalités, de responsables, d'Administrations ou de services marocains aux fins de recueillir des explications sur l'absence de concordance entre les discours et les faits, voire simplement des observations sur la teneur du rapport de l'OGD ; qu'il n'évoque pas même l'existence d'un livre blanc, publié en novembre 1994, relatif à la "politique générale du Maroc en matière de lutte contre le trafic de stupéfiants et pour le développement énconomique des provinces du Nord", brochure qui comporte certains développements sur les moyens de lutte mis en oeuvre, les obstacles rencontrés et un programme de reconversion de la culture du Kif dans le cadre d'un projet de développement économique rural du Rif occidental ;
" alors que, d'une part, la circonstance que l'Union Européenne, commanditaire de l'enquête effectuée par l'Observatoire Géopolitique des Drogues ait, pour des raisons qui lui sont propres, considéré qu'il lui était nécessaire d'obtenir de cet organisme une seconde version plus édulcorée en ce qui concerne l'implication de certains membres de l'entourage royal dans le trafic de cannabis ne saurait pour autant entraîner à la charge d'un organe de presse entré régulièrement en possession de la première version du rapport une quelconque obligation de non publication ; que, dès lors, en prétendant déduire de cette circonstance une malveillance de la part du directeur de publication du "Z..." ainsi que de l'auteur de l'article, la Cour a ainsi entaché sa décision d'insuffisance ;
" alors que, d'autre part, la volonté d'attirer l'attention du public sur l'ambiguïté de l'attitude d'un chef d'Etat face à la lutte contre le trafic de cannabis se développant à partir de son pays relève du droit d'informer et d'être informé et, dès lors qu'il n'est pas allégué que l'information soit inexacte ou encore ait été dénaturée, répond à un objectif légitime excluant, là encore, que puisse être déduite une prétendue intention de nuire du simple fait de cette mise en cause de l'attitude d'un chef d'Etat étranger ;
" alors, qu'enfin, en matière d'offense à l'encontre d'un chef d'état, la mauvaise fois n'étant aucunement présumée et la charge de la preuve incombant aux parties poursuivantes, la Cour, qui, sans relever le moindre élément de nature à mettre en doute l'exactitude du rapport dressé par l'Observatoire Géopolitique des Drogues, prétend déduire la mauvaise foi du journaliste de ce qu'il se serait abstenu de contrôler l'exactitude du commentaire de l'OGD, n'a pas davantage en l'état de ses énonciations entachées d'insuffisance, car procédant d'un renversement de la charge de la preuve, justifié sa décision retenant la mauvaise fois du journaliste " ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu que, pour déclarer caractérisé le délit d'offense envers un chef d'Etat étranger, la cour d'appel, après avoir énoncé que le droit de critique et de libre discussion des orientations ou des actes politiques trouve ses limites dans l'atteinte à la dignité de la personne, retient notamment que " le caractère offensant du propos tient à la suspicion de la sincérité de la volonté même du roi du Maroc de mettre un terme aux trafics de drogues dans son pays, et à l'imputation de discours pernicieux, les effets d'annonce étant présentés comme n'ayant d'autre but que de maintenir l'image du pays " ; qu'elle relève que cette imputation de duplicité est répétée à 2 reprises, dans les mêmes termes et constate que, dans le contexte de l'article présentant le Maroc comme le premier exportateur mondial de haschich et mettant en cause la responsabilité directe du pouvoir marocain et de membres de la famille royale, cette insistance à attirer l'attention du lecteur sur la personne du roi est empreinte de malveillance ;
Attendu qu'en cet état, la cour d'appel a justifié sa décision sans encourir les griefs allégués ;
D'où il suit que les moyens ne sauraient être accueillis ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 97-81893
Date de la décision : 20/10/1998
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Criminelle

Analyses

PRESSE - Offense à chef d'Etat étranger - Libre discussion des actes politiques - Limites.

Le droit de critique et de libre discussion des orientations ou des actes politiques d'un chef d'Etat étranger trouve ses limites dans l'atteinte à la dignité de la personne. (1).


Références :

Loi du 29 juillet 1881 art. 36

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 06 mars 1997

CONFER : (1°). (1) Cf. Chambre criminelle, 1965-05-31, Bulletin criminel 1965, n° 146, p. 325 (cassation) ;

Chambre criminelle, 1966-12-21, Bulletin criminel 1966, n° 300, p. 699 (rejet) ;

Chambre criminelle, 1966-12-21, Bulletin criminel 1966, n° 301, p. 704 (rejet).


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 20 oct. 1998, pourvoi n°97-81893, Bull. crim. criminel 1998 N° 267 p. 772
Publié au bulletin des arrêts de la chambre criminelle criminel 1998 N° 267 p. 772

Composition du Tribunal
Président : Président : M. Gomez
Avocat général : Avocat général : M. Le Foyer de Costil.
Rapporteur ?: Rapporteur : Mme Simon.
Avocat(s) : Avocats : la SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez, M. Foussard.

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:1998:97.81893
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