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20/10/1998 | FRANCE | N°96-18680

France | France, Cour de cassation, Chambre commerciale, 20 octobre 1998, 96-18680


AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le pourvoi formé par la société Roussel Minoterie, dont le siège est ...,

en cassation d'un jugement rendu le 26 mars 1996 par le tribunal de grande instance de Nantes (1re chambre), au profit du directeur général des Douanes et des Droits Indirects, dont le bureau central est ...Université, 75007 Paris, venant aux droits du directeur des Services Fiscaux, domicilié centre des Impôts de Nantes, centre administratif Cambronne, ...,

©fendeur à la cassation ;

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les ...

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le pourvoi formé par la société Roussel Minoterie, dont le siège est ...,

en cassation d'un jugement rendu le 26 mars 1996 par le tribunal de grande instance de Nantes (1re chambre), au profit du directeur général des Douanes et des Droits Indirects, dont le bureau central est ...Université, 75007 Paris, venant aux droits du directeur des Services Fiscaux, domicilié centre des Impôts de Nantes, centre administratif Cambronne, ...,

défendeur à la cassation ;

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les quatre moyens de cassation annexés au présent arrêt ;

LA COUR, composée selon l'article L. 131-6, alinéa 2, du Code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 30 juin 1998, où étaient présents : M. Bézard, président, M. Poullain, conseiller rapporteur, M. Nicot, conseiller, M. Raynaud, avocat général, Mme Arnoux, greffier de chambre ;

Sur le rapport de M. Poullain, conseiller, les observations de Me Baraduc-Benabent, avocat de la société Roussel Minoterie, de Me Foussard, avocat du directeur général des Douanes et Droits Indirects, les conclusions de M. Raynaud, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Attendu, selon le jugement attaqué, que la société Roussel Minoterie (la société Roussel) a assigné le directeur des Services Fiscaux de Nantes pour obtenir remboursement des sommes qu'elle avait payées au titre de la taxe parafiscale de stockage des céréales entre le 1er juillet 1986 et le 31 mai 1988 ;

Sur le premier moyen, pris en ses deux branches :

Attendu que la société Roussel fait grief au jugement d'avoir dit que la taxe de stockage qu'elle a acquittée n'était pas contraire au droit communautaire et notamment à la politique agricole commune, alors, selon le pourvoi, d'une part, que le dispositif des arrêts de la Cour de justice des Communautés européennes précise qu'il suffit que la taxe ait eu potentiellement, et non nécessairement de manière effective, pour incidence d'inciter les opérateurs économiques à modifier la structure de leur production ou de leur commercialisation ; qu'il convient d'apprécier cet effet à partir du taux de la taxe, de son incidence en pourcentage sur le prix des produits taxés, de la comparaison de l'évolution de la production et de la consommation des céréales taxées, des autres céréales et des divers produits de substitution, en France et dans des pays voisins ; que la mesure de l'incidence économique de la taxe conduit à rechercher son effet réel ou potentiel de sorte que l'impact de la taxe est susceptible de s'inscrire parmi d'autres facteurs explicatifs des fluctuations comportementales des intéressés qu'en relevant que ni le diagramme établi le 30 janvier 1991 par le SNIA, ni le rapport Tardito, ni les tableaux d'évolution de la production de pois ne sont de nature à permettre de mesurer en quoi la taxe de stockage aurait effectivement incité les opérateurs économiques à

modifier la structure de leur production ou consommation sans rechercher l'effet potentiel de la taxe, alors même que le Tribunal constate que les multiples taxes rigidifient les prix et aggravent les contraintes de revenus qui s'imposent aux agriculteurs, l'effet réel ou potentiel de la taxe pouvant être cumulé avec d'autres facteurs, le Tribunal a entaché sa décision d'un défaut de base légale au regard du règlement CEE n° 2 727/75 du Conseil des Communautés européennes en date du 29 octobre 1975 portant organisation commune des marchés dans le secteur des céréales ; et alors, d'autre part, que dans ses conclusions signifiées le 29 janvier 1996, elle invoquait, pièces à l'appui, une évolution de la composition moyenne des aliments composés et du taux d'incorporation moyen des céréales en France et établissait que la part des produits de substitution en céréales, et notamment des pois, avait augmenté beaucoup plus rapidement en France que dans les autres pays de l'Union européenne ; qu'en se fondant uniquement sur les tableaux concernant la surface cultivée et le rendement en ce qui concerne la production de pois sans répondre aux conclusions démontrant, pièces à l'appui, que le pois avait vu son taux d'incorporation passer de 0,4 % en 1973 à 7,6 % en 1988 et que ce taux avait progressé plus rapidement en France que dans les autres pays de l'Union européenne, le Tribunal a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu, d'une part, que, dans l'arrêt X... Morvan (19 novembre 1991), la Cour de justice des Communautés européennes (la CJCE) ayant rappelé (point 11) que, selon l'arrêt du 10 mars 1981 (Irish creamry), les buts de l'organisation commune des marchés pourraient être compromis par des mesures nationales qui "ont une influence sensible sur les prix du marché" et qu'ainsi une taxe qui "incite les producteurs à remplacer partiellement les produits imposés par des produits non imposés risque d'engendrer des distorsions sur plusieurs marchés", a dit pour droit que les mécanismes de la politique agricole commune "s'opposent à la perception d'une taxe, par un Etat membre, frappant un nombre restreint de produits agricoles pendant une longue période dès lors que cette taxe est susceptible d'inciter les opérateurs économiques à modifier la structure de leur production ou de leur consommation" et que "il appartient à la juridiction nationale d'apprécier si la taxe sur laquelle porte un litige dont elle est saisie a eu de tels effets" ; qu'il suit de là que la mission du juge national, chargé d'apprécier la compatibilité d'une taxe de la nature de celle examinée avec le droit communautaire, consiste à vérifier si elle a, dans la réalité, produit les effets de perturbation des marchés qu'elle recelait en puissance ; que le moyen n'est pas fondé ;

Attendu, d'autre part, que le jugement relève que les éléments produits par la société Roussel sont parcellaires et ne facilitent pas les comparaisons entre l'emploi de céréales taxées et d'autres produits ; qu'il en résulte, la société requérante ne soutenant pas avoir produit l'ensemble des éléments de fait, montant de la taxe, incidence de celle-ci en pourcentage sur le prix des produits taxés, données permettant de comparer l'évolution de la production et de la consommation des céréales taxées, des autres céréales et des divers produits de substitution, tant en France que dans des pays voisins, mettant le juge en mesure, par une appréciation concrète de la situation, de se prononcer sur le bien-fondé de l'allégation d'incompatibilité de la taxe avec le règlement du Conseil du 29 octobre 1975, que le Tribunal n'avait pas à procéder à une recherche inopérante ;

Que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le deuxième moyen, pris en ses trois branches :

Attendu que la société Roussel reproche au jugement d'avoir rejeté sa demande en retenant que la preuve du caractère de taxe d'effet équivalent à un droit de douane ou d'imposition intérieure discriminatoire n'était pas rapportée alors, selon le pourvoi, d'une part, qu'il résulte de l'article 2 du décret du 17 août 1987 que tous les produits dérivés transformés sont soumis à la taxe de stockage à l'importation sans y être en tant que tels lorsqu'ils relèvent de la production nationale ; qu'il est ainsi établi que les produits dérivés nationaux ne supportent pas une taxation exactement identique à celle des produits importés et qu'en écartant la qualification de taxe d'effet équivalent à un droit de douane, le Tribunal a violé les articles 9 et 12 du Traité CEE ; alors, d'autre part, que constitue une taxe d'effet équivalent celle destinée à financer des activités qui profitent spécifiquement au produit national dès lors que la taxe se traduit, pour ce produit national, par une charge compensée par les avantages reçus, que, pour considérer que les ressources provenant du produit de la taxe avaient permis de financer la charge des emprunts contractés par les organismes nationaux d'intervention sur les céréales, sans rechercher si ces avantages profitaient de façon identique aux produits nationaux et aux produits importés ni déterminer la partie de la taxe affectée aux seules dépenses nationales (article 1er du décret de 1987), le Tribunal a entaché sa décision d'un défaut de base légale au regard des articles 9 et 12 du traité de Rome ; et alors, enfin, que, dès lors que celui qui s'oppose à la perception de la taxe démontre que le produit de celle-ci est destiné à financer des aides en faveur du produit national imposé et notamment des mesures d'intervention en faveur de l'écoulement des seuls produits nationaux, il incombe à l'Etat de prouver exactement la mesure dans laquelle les aides ont compensé la charge fiscale grevant le produit national ; qu'ainsi en mettant cette preuve à la charge de celui qui supporte la taxe, le Tribunal a violé ensemble l'article 1315 du Code civil et 95 du Traité CEE ;

Mais attendu, en premier lieu, que la société Roussel minoterie qui n'a jamais allégué que tout ou partie des taxes dont elle réclame la restitution a été payé au titre de l'importation de produits dérivés, sa critique d'une décision qui ne saurait lui faire grief est inopérante ;

Attendu, en second lieu, que le jugement constate que le produit de la taxe permet de financer la charge des emprunts contractés par les organismes nationaux d'intervention sur les céréales, et retient sans qu'il lui soit opposé un défaut de réponse à un élément de preuve contraire, qu'il n'est pas établi que les actions de ces organismes sur le marché national bénéficient exclusivement, ou de façon préférentielle, aux productions nationales, que le Tribunal, qui a légalement justifié sa décision, a pu statuer comme il a fait ;

D'où il suit que le moyen, inopérant en sa première branche et non fondé en les deux autres, ne peut être accueilli ;

Sur le troisième moyen, pris en ses deux branches :

Attendu que la société Roussel reproche au jugement d'avoir rejeté sa demande en écartant les moyens tirés de la méconnaissance des dispositions de l'article 93, paragraphe 3, dernière phrase du traité de Rome, alors, selon le pourvoi, d'une part, qu'il appartient aux juridictions nationales de sauvegarder les droits des justiciables face à une éventuelle méconnaissance, de la part des autorités nationales, de l'interdiction de mise à exécution des aides visée à l'article 93, paragraphe 3 dernière phrase du Traité et qui a un effet direct ; que le justiciable peut invoquer une telle méconnaissance nonobstant l'absence d'ouverture de la procédure de contrôle d'aide publique par la Commission de sorte qu'en écartant sa demande au motif qu'elle ne justifie d'aucune décision de la Commission, alors qu'il appartient au juge national de rechercher si l'aide dont la validité est contestée constitue une aide nouvelle ou modifiée et si sa mise en oeuvre ne devait pas être retardée après la procédure prévue par l'article 93, le Tribunal a violé par fausse application l'article 93, paragraphe 3 dernière phrase du Traité ; et alors, d'autre part, que dans ses conclusions signifiées le 9 novembre 1994 (p. 6) elle demandait au tribunal de constater la méconnaissance, par l'Etat français, de l'interdiction de mise à exécution immédiate des aides visée à l'article 93, paragraphe 3 et motivait ainsi sa demande en restitution de la taxe ; qu'une telle demande adressée à la juridiction nationale n'impose nullement à celle-ci de se prononcer sur la compatibilité des mesures d'aide avec le marché commun, appréciation relevant de la compétence exclusive de la Commission ; que pour avoir rejeté une telle demande en relevant qu'elle était fondée sur l'article 52 (sic), le Tribunal a dénaturé les conclusions dont il était saisi en violation de l'article 4 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu qu'il ne résulte pas des conclusions de la société Roussel qu'elle a exposé en quoi la taxe de stockage perçue durant les campagnes 1986-87 et 1987-88 constitue une "aide nouvelle" par rapport à la taxe qui était perçue depuis 1953 ; que n'ayant pas justifié que l'article 93, paragraphe 3, du traité de Rome lui soit applicable, elle n'est pas fondée à reprocher au Tribunal de ne pas avoir retenu des griefs tirés de sa méconnaissance ; d'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses deux branches ;

Et sur le quatrième moyen, soulevé d'office, après avoir donné avis aux parties :

Vu l'article 2 du Code civil ;

Attendu qu'en déclarant régulière la taxe litigieuse, alors que le décret du 17 août 1987 et son arrêté d'application du 14 mars 1988 organisant sa perception pour la campagne 1987-1988 et pris alors qu'elle avait déjà commencé étaient illégaux en ce que, s'appliquant à des faits générateurs d'impôt antérieurs à leur entrée en vigueur, ils étaient rétroactifs, le Tribunal a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a rejeté la demande de la société Roussel en remboursement de sommes versées au titre d'opérations antérieures à l'entrée en vigueur des textes organisant la campagne céréalière 1987-1988, le jugement rendu le 26 mars 1996 sous le n° 3742/95, entre les parties, par le tribunal de grande instance de Nantes ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit jugement et, pour être fait droit, les renvoie devant le tribunal de grande instance de Toulouse ;

Condamne le directeur général des Douanes et Droits Indirects aux dépens ;

Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette sa demande ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite du jugement partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt octobre mil neuf cent quatre-vingt-dix-huit.


Synthèse
Formation : Chambre commerciale
Numéro d'arrêt : 96-18680
Date de la décision : 20/10/1998
Sens de l'arrêt : Cassation partielle
Type d'affaire : Commerciale

Références :

Décision attaquée : Tribunal de grande instance de Nantes (1re chambre), 26 mars 1996


Publications
Proposition de citation : Cass. Com., 20 oct. 1998, pourvoi n°96-18680


Composition du Tribunal
Président : Président : M. BEZARD

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:1998:96.18680
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