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20/10/1998 | FRANCE | N°95-19000

France | France, Cour de cassation, Chambre commerciale, 20 octobre 1998, 95-19000


AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le pourvoi formé par :

1 / la société Z..., société civile immobilière, dont le siège est ...,

2 / la société Clovis, société civile immobilière, dont le siège est ...,

3 / la société Le Noyer, société civile immobilière, dont le siège est ...,

4 / Mme Chantal Y..., épouse Z...,

5 / M. Maurice Z...,

demeurant ensemble ...,

en cassation d'un arrêt rendu le 12 avril 1995 par la cour d'appe

l de Reims (Chambre civile, 1re Section), au profit de la Caisse Hypothécaire Anversoise (ANHYP), dont le siège est B 2600,...

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le pourvoi formé par :

1 / la société Z..., société civile immobilière, dont le siège est ...,

2 / la société Clovis, société civile immobilière, dont le siège est ...,

3 / la société Le Noyer, société civile immobilière, dont le siège est ...,

4 / Mme Chantal Y..., épouse Z...,

5 / M. Maurice Z...,

demeurant ensemble ...,

en cassation d'un arrêt rendu le 12 avril 1995 par la cour d'appel de Reims (Chambre civile, 1re Section), au profit de la Caisse Hypothécaire Anversoise (ANHYP), dont le siège est B 2600, Grote Steenweg 214- Anvers, Belgique,

défenderesse à la cassation ;

Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les cinq moyens de cassation annexés au présent arrêt ;

LA COUR, en l'audience publique du 30 juin 1998, où étaient présents : M. Bézard, président, M. Dumas, conseiller rapporteur, MM. Nicot, Vigneron, Leclercq, Léonnet, Poullain, Métivet, Mmes Garnier, Tric , conseillers, M. Huglo, Mme Mouillard, M. Ponsot, conseillers référendaires, M. Raynaud, avocat général, Mme Arnoux, greffier de chambre ;

Sur le rapport de M. Dumas, conseiller, les observations de Me Garaud, avocat de la société Z..., de la société Clovis, de la société Le Noyer et des époux Z..., de la SCP Guy Lesourd, avocat de la Caisse hypothécaire Anversoise (ANHYP), les conclusions de M. Raynaud, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Attendu, selon l'arrêt confirmatif critiqué, que, par acte sous seings privés en date du 9 mars 1990, réitéré par acte authentique du même jour, établis l'un et l'autre en France, la société de droit belge Caisse Hypothécaire Anversoise (l'ANHYP), a consenti une ouverture de crédit d'un montant déterminé à la SCI Clovis, à la SCI Z..., à la SCI Le Noyer, à M. Maurice A..., à Mme Chantal Y..., épouse Z..., à M. Cédric Z... et à Mme Célia Z..., épouse X... (le groupe Z...) ; que ces emprunteurs, engagés solidairement, ont consenti à l'ANHYP, en garantie, des hypothèques sur divers biens et droits immobiliers leur appartenant ; que, leur reprochant de ne pas respecter leurs engagements, l'ANHYP a dénoncé l'ouverture de crédit et leur a fait délivrer des commandements aux fins de saisie immobilière des biens hypothéqués ; qu'ils ont déposé des dires, demandant, notamment, que soit prononcée la nullité du prêt en vertu duquel la procédure immobilière avait été engagée ;

Sur la recevabilité des moyens, contestée par la défense :

Attendu que l'ANHYP soutient que les moyens sont irrecevables, comme attaquant des motifs inopérants, en ce qu'ils ont pour objet de contester la validité, admise par la cour d'appel, du titre sur le fondement duquel est pratiquée la saisie, alors que la nullité du prêt n'entraînerait pas la suppression des garanties, tant que l'obligation de restitution, consécutive à cette éventuelle nullité, ne serait pas éteinte ;

Mais attendu que la cour d'appel n'a pas prononcé la résolution du contrat de crédit, et qu'avant même l'examen des moyens, il ne peut être préjugé de ce que feraient les emprunteurs, au regard de leur obligation de restitution, si le prêt venait ultérieurement à être annulé ; d'où il suit que les moyens sont recevables ;

Sur le cinquième moyen, pris en ses deux branches :

Attendu que le groupe Z... fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté les demandes des emprunteurs et des cautions en nullité du prêt pour erreur sur la substance du prêt, faute pour la banque d'avoir exécuté son obligation de conseil, alors, selon le pourvoi, d'une part, que le promoteur en matière immobilière qui exerce son activité en France n'est pas de ce seul fait un professionnel de la finance internationale, et de la spéculation sur les devises ; d'où il suit qu'en retenant la qualité de professionnel des emprunteurs pour écarter tout devoir de conseil de la banque, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision ; et alors, d'autre part, que la présence du Cabinet Luce et des notaires au moment de la conclusion du contrat de prêt, ne déchargeait pas pour autant la banque ANHYP de son devoir de conseil et d'information sur l'aspect spéculatif de l'opération ; d'où il suit que la cour d'appel a violé les dispositions des articles 1109 et 1110 du Code civil ;

Mais attendu que l'arrêt retient qu'il résulte des documents produits par les appelants eux-mêmes, que le crédit "roll over multidevises" proposé par l'ANHYP, s'adressait, non à de simples particuliers, mais, comme dans le cas d'espèce, à des promoteurs qui, ayant entrepris de se livrer à des opérations immobilières d'une certaine envergure, doivent être considérés comme des professionnels ; qu'ils étaient donc en mesure d'appréhender les mécanismes de financement proposés, qui incluaient une possibilité de spéculation sur l'évolution des devises choisies, avec tous les aléas que comporte ce choix, dont ils ne prétendent pas qu'ils l'ont effectué par hasard ; qu'en outre, ils ont bénéficié, au moment du choix de leur mode de financement, des conseils de leur mandataire professionnel, le Cabinet Luce, et au moment de la réitération par acte authentique, non seulement du notaire instrumentaire, mais de leur propre notaire qui, ainsi qu'il en a attesté à la demande de Mme Chantal Z..., assistait à la signature de l'acte authentique ; qu'il leur appartenait dès lors, disposant ou pouvant disposer de toutes les informations nécessaires, d'apprécier par eux-mêmes la perspective de rentabilité de l'opération, de sorte qu'ils ne peuvent imputer l'erreur commise dans cette appréciation à la banque, qui était en outre tenue de ne pas s'immiscer dans le choix des investissements effectués par ses clients ; qu'en l'état de ces constatations, c'est à bon droit que la cour d'appel a retenu que le moyen tiré de l'erreur dans les qualités substantielles doit en conséquence être écarté ; d'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Mais sur le quatrième moyen :

Vu les articles 59 du Traité instituant la Communauté européenne et 15 de la loi du 24 janvier 1984 ;

Attendu que, dans un arrêt du 9 juillet 1997, la Cour de Justice des Communautés européennes, statuant sur une demande de la chambre financière et économique de la Cour de Cassation, faite en application de l'article 177 du Traité, a dit pour droit que, pour la période précédant l'entrée en vigueur de la deuxième directive 89/646/CEE du Conseil, du 15 décembre 1989, visant à la coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant l'accès à l'activité des établissements de crédit et son exercice, et modifiant la directive 77/780/CEE, l'article 59 du Traité CEE doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à ce qu'un Etat membre impose à un établissement de crédit, déjà agréé dans un autre Etat membre, d'obtenir un agrément pour pouvoir accorder un prêt hypothécaire à une personne résidant sur son territoire, à moins que cet agrément s'impose à toute personne ou à toute société, exerçant une telle activité sur le territoire de l'Etat membre de destination, soit justifié par des raisons liées à l'intérêt général telles que la protection des consommateurs, et soit objectivement nécessaire pour assurer le respect des règles applicables dans le secteur considéré et pour protéger les intérêts que ces règles ont pour but de sauvegarder, étant entendu que le même résultat ne pourrait pas être obtenu par des règles moins contraignantes ;

Attendu que, pour rejeter la demande du groupe Z..., l'arrêt retient que l'ANHYP n'était pas tenue de solliciter l'agrément prévu par l'article 15 de la loi du 24 janvier 1984, et que le moyen tiré du défaut d'agrément n'est, en conséquence, pas fondé ;

Attendu qu'en statuant ainsi, alors qu'à l'époque du prêt litigieux, l'agrément prévu par l'article 15 de la loi du 24 janvier 1984 était conforme aux trois conditions exigées, pour sa validité, par l'arrêt précité de la Cour de justice des Communautés européennes, notamment en ce qu'il devait être obtenu par toute personne ayant pour activité l'octroi de prêts hypothécaires en France et en ce que, pour l'accorder, le Comité des établissements de crédit devait apprécier l'aptitude de l'entreprise requérante, à réaliser ses objectifs de développement dans des conditions compatibles avec le bon fonctionnement du système bancaire et qui assurent à la clientèle une sécurité satisfaisante, conditions justifiant alors l'implantation de succursales, compte tenu des garanties que celles-ci offraient en l'absence de règles prudentielles suffisamment harmonisées au sein des Etats membres, et de relations précisément organisées et effectivement mises en oeuvre entre les autorités de contrôle des pays concernés, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 12 avril 1995, entre les parties, par la cour d'appel de Reims ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris ;

Condamne la Caisse Hypothécaire Anversoise ANHYP aux dépens ;

Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette la demande de la Caisse Hypothécaire Anversoise ANHYP ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt octobre mil neuf cent quatre-vingt-dix-huit.


Synthèse
Formation : Chambre commerciale
Numéro d'arrêt : 95-19000
Date de la décision : 20/10/1998
Sens de l'arrêt : Cassation
Type d'affaire : Commerciale

Analyses

BANQUE - Ouverture de crédit - Crédit consenti à une entreprise - Professionnel de la promotion immobilière - Erreur de celui-ci (non).

PRET - Prêt d'argent - Organisme de crédit - Prêt hypothécaire - Nécessité d'un agrément - Compatibilité de celui-ci avec le droit communautaire.


Références :

Directive CEE 89-646 du 15 décembre 1989
Loi 84-46 du 24 janvier 1984 art. 15
Traité de Rome du 25 mars 1957 art. 59

Décision attaquée : Cour d'appel de Reims (Chambre civile, 1re Section), 12 avril 1995


Publications
Proposition de citation : Cass. Com., 20 oct. 1998, pourvoi n°95-19000


Composition du Tribunal
Président : Président : M. BEZARD

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:1998:95.19000
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