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15/10/1998 | FRANCE | N°96-42638

France | France, Cour de cassation, Chambre sociale, 15 octobre 1998, 96-42638


AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le pourvoi formé par la société OTS Staff, société anonyme, dont le siège est ...,

en cassation d'un arrêt rendu le 19 mars 1996 par la cour d'appel de Versailles (5ème chambre sociale, section A), au profit de M. Thierry X..., demeurant ...,

défendeur à la cassation ;

LA COUR, en l'audience publique du 17 juin 1998, où étaient présents : M. Desjardins, conseiller le plus ancien, faisant fonctions de président, M. Boinot, conseiller référendaire rap

porteur, MM. Texier, Lanquetin, conseillers, M. Lyon-Caen, avocat général, Mlle Lambert, greff...

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le pourvoi formé par la société OTS Staff, société anonyme, dont le siège est ...,

en cassation d'un arrêt rendu le 19 mars 1996 par la cour d'appel de Versailles (5ème chambre sociale, section A), au profit de M. Thierry X..., demeurant ...,

défendeur à la cassation ;

LA COUR, en l'audience publique du 17 juin 1998, où étaient présents : M. Desjardins, conseiller le plus ancien, faisant fonctions de président, M. Boinot, conseiller référendaire rapporteur, MM. Texier, Lanquetin, conseillers, M. Lyon-Caen, avocat général, Mlle Lambert, greffier de chambre ;

Sur le rapport de M. Boinot, conseiller référendaire, les observations de Me Blondel, avocat de la société OTS Staff, les conclusions de M. Lyon-Caen, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Attendu que M. X... a été engagé le 21 octobre 1991 en qualité de staffeur par la société OTS Staff (société OTS), sans contrat de travail écrit ; que la société OTS l'a convoqué le 17 novembre 1992 pour un entretien préalable à son licenciement qui s'est déroulé le 23 novembre, et lui a adressé une lettre de licenciement énonçant plusieurs griefs relatifs à sa mauvaise volonté évidente et à son manque de conscience professionnelle, le préavis expirant le 31 janvier 1993 ; qu'à compter du 1er décembre 1992, elle l'a affecté à un travail en atelier lui faisant perdre la prime de chantier ; que, M. X... ayant réfuté les critiques qu'elle avait formulées à son encontre, elle a reporté sa décision de licenciement, ce que M. X... a accepté ; que celui-ci a démissionné par lettre du 19 février 1993, et a écrit ultérieurement à son employeur qu'il avait été contraint de démissionner ; qu'il a saisi la juridiction prud'homale d'une demande en paiement d'un rappel de prime de chantier pour la période du 1er décembre 1992 au 5 mars 1993, d'une indemnité compensatrice de congés payés et de dommages-intérêts pour rupture imputable à l'employeur ;

Sur le premier moyen :

Attendu que la société OTS fait grief à l'arrêt attaqué (Versailles, 19 mars 1996), de l'avoir condamnée à payer à M. X... une indemnité pour licenciement abusif, alors, selon le moyen, que, d'une part, il ne résulte d'aucune règle de droit, fut-ce de principe, que le refus par un salarié d'accepter une modification substantielle de son contrat de travail doive s'analyser, dès ladite modification, en un licenciement devant émaner de l'employeur ; qu'en effet, rien n'interdit au salarié de continuer à travailler après la modification selon les nouvelles conditions imposées par l'employeur sans que sa volonté non équivoque d'accepter cette modification puisse être déduite de la seule poursuite de ce travail ; qu'en l'espèce, et alors que M. X... a travaillé en atelier avec une rémunération moindre qu'auparavant puisqu'il n'a plus perçu de prime de chantier du 1er décembre 1992 au 5 mars 1993, c'est à tort que la cour d'appel a décidé que la rupture du contrat de travail avait eu lieu au début décembre 1992, de sorte que "la lettre de démission du salarié du 19 février 1993, n'a pu rompre des relations contractuelles qui n'existaient plus à la date à laquelle elle a été envoyée" ; que bien au contraire la cour d'appel, en l'état du contrat de travail qui perdurait, se devait de prendre en considération cette démission et rechercher si la volonté de démissionner de M. X... était, ou non, équivoque ; qu'en infirmant le jugement entrepris sur le fondement de motifs erronés, la cour d'appel ne justifie pas légalement son arrêt au regard des articles L. 122-4, L. 122-14-3 et L. 122-14-5 du Code du travail ; que, d'autre part, et en toute hypothèse, à supposer qu'il ne se soit agi d'un licenciement et que celui-ci ait eu pour cause, selon les juges du fond, le refus par M. X... d'accepter la modification substantielle de son contrat de travail, cette cause de rupture était réelle et sérieuse si la modification avait été décidée dans l'intérêt de l'entreprise ; que par suite, la condamnation de la société OTS au paiement de dommages-intérêts pour rupture abusive n'est pas légalement justifiée au regard de l'article L. 122-14-3 du Code du travail, la cour d'appel ayant déduit l'absence de caractère réel et sérieux du licenciement du seul refus par le salarié de la modification substantielle du contrat de travail, sans rechercher si cette modification avait été décidée, ou non, dans l'intêrêt de l'entreprise et alors qu'elle a elle-même reconnu que "la société OTS n'a pas renoncé à son pouvoir d'affecter le salarié aussi bien sur un chantier qu'en atelier, selon les nécessités de son activité et dans l'intérêt de l'entreprise" ; et qu'enfin, au surplus, en reconnaissant précisément que "la société OTS n'a pas renoncé à son pouvoir d'affecter le salarié aussi bien sur un chantier qu'en atelier, selon les nécessités de son activité et dans l'intérêt de l'entreprise", la cour d'appel admet implicitement, mais nécessairement que, comme le soutenait la société OTS dans ses conclusions, le contrat de travail de M. X... permettait à l'employeur de le faire travailler alternativement et successivement sur des chantiers (avec prime de chantier) ou en atelier (sans cette prime), de sorte que le changement d'affectation du salarié au début décembre 1992, non seulement ne constituait pas une modification

substantielle de son contrat de travail, mais encore ne réalisait aucune modification de celui-ci s'inscrivant dans sa ligne ; qu'en estimant que l'affectation de M. X... au travail en atelier, avec suppression de la prime de chantier non discutée en elle-même, constituait une modification substantielle du contrat que l'intéressé était en droit de refuser, de sorte que son licenciement en raison de ce refus était abusif, la cour d'appel, qui confond modification de rémunération (permise par le contrat selon l'affectation du salarié) et modification du contrat lui-même, ne justifie pas davantage son arrêt au regard des articles L. 122-14-3 du Code du travail et 1134 du Code civil ;

Mais attendu, d'abord, que le salarié auquel avait été notifiée la modification de son contrat et qui ne l'avait pas acceptée, pouvait dès lors se considérer comme licencié et le fait qu'il ait poursuivi l'exécution de ce contrat ne peut le contraindre à accepter la proposition de l'employeur de revenir sur cette rupture acquise et de reprendre son emploi, ni l'empêcher d'invoquer ultérieurement la rupture de ce contrat à l'initiative de l'employeur ;

Et attendu, ensuite, que, la société n'ayant invoqué aucune cause pour justifier la modification du contrat, la cour d'appel a justement décidé que le licenciement était sans cause réelle et sérieuse ;

D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Sur le second moyen :

Attendu la société OTS fait grief à l'arrêt de l'avoir condamnée à payer à M. X... une indemnité pour licenciement abusif, alors, selon le moyen, que, d'une part, aux termes de l'article L. 122-14-5 du Code du travail applicable en la cause, le salarié "peut prétendre, en cas de licenciement abusif, à une indemnité calculée en fonction du préjudice subi" ; que ce préjudice peut résulter aussi bien de l'irrégularité du licenciement pour vice de forme que de fond, de sorte que le juge doit réparer tant le préjudice découlant de l'inobservation de la procédure de licenciement que celui résultant du licenciement lui-même ; qu'en l'espèce, cependant l'indemnité de 45 000 francs allouée à M. X... ne concerne la réparation ni de l'un ni de l'autre de ces deux préjudices ; qu'en effet la cour d'appel ne relève pas d'irrégularité de forme et constate même que le salarié n'a subi aucun préjudice du fait du licenciement dès lors qu'il a retrouvé immédiatement un emploi équivalent ; qu'ainsi il appert de l'arrêt que la cour d'appel a entendu réparer, par l'allocation de l'indemnité de 45 000 francs, uniquement le préjudice résultant pour M. X... de "la modification d'un élément substantiel du contrat de travail et de ses conséquences de tous ordres" ; que si elle était en droit de réparer un tel préjudice, celui-ci était distinct de celui résultant du licenciement lui-même qui n'existait pas ; qu'en allouant à l'intéressé la somme de 45 000 francs "à titre d'indemnité pour licenciement abusif", l'arrêt n'est pas légalement justifié au regard de l'article L. 122-14-5, alinéa 2, du Code du travail ; que, d'autre part, la cour d'appel ne s'explique pas sur ce qu'elle entend par les "conséquences de tous ordres" de la modification substantielle du contrat de travail de M. X... ; que la seule

conséquence qu'elle a constatée tout au long de son arrêt est la perte de la prime de chantier pendant la période du 1er décembre 1992 (date à laquelle il a été affecté à un travail en atelier) au 5 mars 1993 (date d'expiration du préavis donné dans sa lettre de démission du 19 février 1993) ; qu'ainsi, perte justifiée en l'état des conditions d'exécution du contrat de travail, l'arrêt est entaché d'un défaut de motifs, d'où une méconnaissance des exigences de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; et qu'enfin la cour d'appel décide que l'ancien salarié "ne peut prétendre au paiement d'un rappel de primes de chantier pour la période de décembre 1992 à mars 1993, dès lors qu'il a accompli son travail en atelier durant toute cette période", mais lui accorde cependant une indemnité de 45 000 francs en réparation du préjudice résultant de la privation de cette prime ; que si la cour d'appel a voulu dire qu'en vertu du contrat lui-même (qui n'aurait dès lors subi aucune modification), l'employeur pouvait le faire travailler en atelier sans prime de chantier, il n'avait droit dans ce cas ni au rappel de prime, ni à une indemnité réparatrice d'un prétendu préjudice résultant de la privation de la prime ; que si la cour d'appel a entendu au contraire maintenir sa thèse selon laquelle le travail en atelier, sans prime de chantier, constituait une modification substantielle du contrat de travail refusée par M. X..., celui-ci pouvait avoir droit, dans ce cas, à un rappel de prime, même s'il avait travaillé pendant trois mois dans les nouvelles conditions imposées par l'employeur, ce travail n'impliquant pas à lui seul son acceptation de la modification ; que dès lors il ne pouvait bénéficier d'une indemnité réparatrice du préjudice découlant de la privation de la prime ; qu'ainsi donc, dans les deux hypothèses susvisées, l'octroi de cette indemnité s'avère injustifiée en droit d'où une violation des articles 1134 du Code civil et L. 122-14-5 du Code du travail ;

Mais attendu, d'abord, que l'arrêt relève que M. X..., qui comptait une ancienneté inférieure à deux années au service d'une entreprise occupant habituellement plus de dix salariés peut prétendre, par application de l'article L. 122-14-5 du Code du travail à une indemnité calculée en fonction du préjudice causé par l'irrégularité tant de forme que de fond de son licenciement ;

Et attendu, ensuite, que la seule constatation de l'absence de cause réelle et sérieuse de licenciement et de l'irrégularité de la procédure de licenciement doit entraîner la condamnation de l'employeur à réparer le préjudice dont il appartient au juge d'apprécier l'étendue ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société OTS Staff aux dépens ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre sociale, et prononcé par M. Texier, conseiller le plus ancien ayant participé au délibéré en remplacement de M. le président Desjardins, empêché, en son audience publique du quinze octobre mil neuf cent quatre-vingt-dix-huit.


Synthèse
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 96-42638
Date de la décision : 15/10/1998
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Sociale

Analyses

CONTRAT DE TRAVAIL - RUPTURE - Imputabilité - Modification du contrat par l'employeur - Poursuite de l'exécution.

CONTRAT DE TRAVAIL - RUPTURE - Licenciement - Indemnités - Entreprise occupant plus de dix salariés.


Références :

Code civil 1134
Code du travail L122-14-3 et L122-14-5

Décision attaquée : Cour d'appel de Versailles (5ème chambre sociale, section A), 19 mars 1996


Publications
Proposition de citation : Cass. Soc., 15 oct. 1998, pourvoi n°96-42638


Composition du Tribunal
Président : Président : M. DESJARDINS conseiller

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:1998:96.42638
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