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14/10/1998 | FRANCE | N°98-83377

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 14 octobre 1998, 98-83377


REJET du pourvoi formé par :
- X...,
contre l'arrêt de la chambre d'accusation de la cour d'appel de Paris, en date du 22 mai 1998, qui, dans l'information suivie contre lui pour complicité et recel d'abus de biens sociaux, a confirmé l'ordonnance des juges d'instruction le plaçant sous contrôle judiciaire.
LA COUR,
Vu le mémoire produit ;
Attendu que, selon l'arrêt attaqué, Y..., amie de X..., aurait bénéficié entre 1989 et 1993, de la part de sociétés du groupe Elf, de salaires et autres avantages d'un montant total de 66 000 000 francs, sans avoir exercé pour

elles aucune activité effective ; qu'à ses dires, elle assurait une mission d...

REJET du pourvoi formé par :
- X...,
contre l'arrêt de la chambre d'accusation de la cour d'appel de Paris, en date du 22 mai 1998, qui, dans l'information suivie contre lui pour complicité et recel d'abus de biens sociaux, a confirmé l'ordonnance des juges d'instruction le plaçant sous contrôle judiciaire.
LA COUR,
Vu le mémoire produit ;
Attendu que, selon l'arrêt attaqué, Y..., amie de X..., aurait bénéficié entre 1989 et 1993, de la part de sociétés du groupe Elf, de salaires et autres avantages d'un montant total de 66 000 000 francs, sans avoir exercé pour elles aucune activité effective ; qu'à ses dires, elle assurait une mission de relations publiques consistant principalement à remettre à X... des enveloppes dont elle ignorait le contenu ; qu'une partie des sommes reçues par elle aurait été déposée sur des comptes bancaires ouverts sous des pseudonymes à l'étranger, puis retirée en espèces ;
Que, pendant cette même période, les comptes bancaires du demandeur et de plusieurs de ses proches auraient été crédités de sommes en numéraire d'un montant global de plus de 10 000 000 francs, apportées par des coursiers ou gardes du corps de X... à son cabinet d'avocat avant d'être déposées à la banque par une de ses collaboratrices ;
Que les juges d'instruction du tribunal de grande instance de Paris chargés d'une information contre Y... et plusieurs autres des chefs d'abus de biens sociaux, complicité et recel, s'étant transportés le 29 avril 1998 au lieu de séjour de X..., ont procédé à l'interrogatoire de première comparution du demandeur et l'ont placé sous contrôle judiciaire avec les obligations de répondre à leurs convocations, de s'abstenir de rencontrer diverses personnes, de ne pas se rendre dans certains pays et de fournir un cautionnement de 5 000 000 francs garantissant à hauteur de 1 000 000 francs sa représentation à tous les actes de la procédure ainsi que l'exécution du jugement et de 4 000 000 francs la réparation des dommages causés par l'infraction, les restitutions et les amendes ;
En cet état :
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 81, 92, 93, 137, 138, 139, 206 et 207 du Code de procédure pénale :
" en ce que l'ordonnance de placement sous contrôle judiciaire, confirmée par la chambre d'accusation, ne comporte aucune mention de l'assistance du greffier, ni aucune signature de celui-ci ; que l'arrêt attaqué, qui confirme ainsi une ordonnance nulle, est lui-même entaché de nullité " ;
Attendu qu'il ne résulte ni de l'arrêt, ni du mémoire soumis à la chambre d'accusation, que le demandeur ait invoqué devant cette juridiction le moyen pris du prétendu défaut d'assistance du greffier et de l'absence de sa signature sur l'ordonnance entreprise ;
Que, dès lors, le moyen, nouveau, est irrecevable ;
Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 81, 92, 93, 137, 138, 139, 206 et 207 du Code de procédure pénale, L. 7-10-1-1 du Code de l'organisation judiciaire, excès de pouvoir, incompétence :
" en ce que l'arrêt attaqué a confirmé une ordonnance de mise sous contrôle judiciaire, rendue par 2 juges d'instruction du tribunal de grande instance de Paris, prononcée à Saint-Selve en Gironde ;
" alors, d'une part, qu'un juge d'instruction ne peut prendre des décisions juridictionnelles en dehors du siège de sa juridiction ; qu'en confirmant une décision entachée d'excès de pouvoir et d'incompétence, la chambre d'accusation a elle-même entaché son arrêt d'un vice d'incompétence qui entraîne sa nullité ;
" alors, d'autre part, que, à supposer que, lors d'un transport sur les lieux hors du ressort de sa compétence, le juge d'instruction puisse prendre une décision juridictionnelle, c'est à la condition que son extension de compétence soit justifiée par une procédure de transport conforme aux règles de l'article 93 du Code de procédure pénale, c'est-à-dire motivée et avec l'assistance du greffier ; que faute de pièce au dossier justifiant de la régularité de cette extension de compétence, et de tout procès-verbal répondant aux conditions de l'article 93 précité, le vice d'incompétence dont est entaché l'ordonnance confirmée ne pouvait être couvert ;
" alors, enfin, qu'en cas d'ordonnance juridictionnelle rendue par le juge d'instruction en dehors de son cabinet et de son ressort, une telle ordonnance ne peut être considérée comme rendue par un juge compétent qu'en présence et avec la signature du greffier ; qu'ainsi, l'ordonnance entreprise et l'arrêt confirmatif attaqué sont en toute hypothèse nuls " ;
Attendu qu'il ressort des pièces de la procédure, soumises au contrôle de la Cour de Cassation, que les juges d'instruction chargés de l'information ont décidé, par ordonnance du 27 avril 1998, de se transporter au domicile de X... à Saint-Selve (Gironde), "aux fins de mise en examen" ; qu'avis en a été donné le jour même au procureur de la République de Paris, qui a visé l'ordonnance, et au procureur de la République de Bordeaux, ainsi que le constate une mention signée par le greffier ;
Que les magistrats instructeurs ont procédé le 29 avril 1998 à Saint-Selve, avec l'assistance du greffier, à l'interrogatoire de première comparution de X..., puis ont prononcé son placement sous contrôle judiciaire ;
Attendu qu'en cet état, la Cour de Cassation est en mesure de s'assurer qu'il a été satisfait aux prescriptions de l'article 93 du Code de procédure pénale ;
Qu'en effet, la décision du juge d'instruction de se transporter en dehors du ressort de son tribunal, portée à la connaissance des magistrats du ministère public des 2 juridictions concernées, lui donne compétence non seulement pour procéder aux actes d'information qui y sont spécifiés, mais aussi pour prendre, comme en l'espèce, toutes mesures qui en sont la suite nécessaire ;
D'où il suit que le moyen, inopérant en ce qu'il allègue l'inexistence d'un procès-verbal de transport, ne peut être accueilli ;
Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 137, 138, 139 du Code de procédure pénale, 5 et 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, défaut de motifs, manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué a confirmé une ordonnance de mise sous contrôle judiciaire du mis en examen ;
" aux motifs que "X... est plusieurs fois cité" dans un dossier d'instruction où il apparaîtrait que Y... et certains responsables du groupe Elf se seraient rendus coupables d'abus de biens sociaux ; que des présomptions sérieuses de culpabilité existent à l'encontre de X..., qui se serait rendu, par instructions données, complice de tels faits et aurait bénéficié par là, d'avantages relevant de la vie privée ; que ce mis en examen, si les faits qui lui sont imputés s'avèrent exacts, est susceptible d'encourir une peine d'emprisonnement correctionnel ; qu'ainsi, la mesure de contrôle judiciaire ordonnée est indispensable tant en raison de la nécessité de l'instruction, X... devant être entendu prochainement, qu'à titre de mesure de sûreté ;
" alors que l'existence de charges contre le mis en examen, préalable nécessaire à cette mesure même, et la peine éventuellement encourue en cas de conviction de l'infraction, conditions préalables à un contrôle judiciaire, ne se confondent pas avec les nécessités de l'instruction ou la nécessité de la prise d'une mesure de sûreté, nécessités dont l'existence ne peut résulter ni de la mise en examen ni de la peine encourue ; que c'est de façon concrète et explicite que la juridiction d'instruction doit caractériser les raisons qui rendent nécessaire une mesure de sûreté ; qu'en déduisant la prétendue nécessité du contrôle judiciaire de la seule existence des conditions légales préalables à la mise en oeuvre d'un tel contrôle, la chambre d'accusation a violé les textes précités " ;
Sur le quatrième moyen de cassation, pris de la violation des articles 137, 138, 139 du Code de procédure pénale, 5 et 6 de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales, défaut de motifs, manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué a confirmé une ordonnance de mise sous contrôle judiciaire ayant imposé notamment au mis en examen de ne pas se rendre dans certains pays nommément désignés ;
" aux motifs que Y..., qui entretenait avec lui des relations étroites, se serait rendue à plusieurs reprises dans les pays cités ;
" alors, d'une part, qu'en statuant ainsi par motifs dubitatifs, la chambre d'accusation a privé sa décision de tout fondement légal ;
" alors, d'autre part, que, faute de constater le moindre comportement personnel du mis en examen, ni le moindre lien entre les faits qui lui sont reprochés et les voyages imputés à Y..., susceptibles de justifier son éloignement de certaines contrées, la chambre d'accusation a encore privé sa décision de tout fondement légal ;
" alors, enfin, qu'en s'abstenant de répondre au mémoire du mis en examen, qui soulignait l'absence totale d'explication ou de nécessité de cette mesure arbitraire et l'absence de tout lien de connexité entre sa personne et les pays en cause, les juges du fond, qui ont maintenu une mesure arbitraire et excessive de privation de la liberté d'aller et venir sans motif et sans justification, ont directement méconnu les dispositions de l'article 5 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales " ;
Sur le cinquième moyen de cassation, pris de la violation des articles 137, 138, 139 du Code de procédure pénale, 5 et 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, défaut de motifs, manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué a confirmé une ordonnance de mise sous contrôle judiciaire ayant imposé notamment au mis en examen le versement d'un cautionnement de 5 000 000 de francs ;
" alors, d'une part, que faute d'expliquer, comme le lui demandait le mis en examen dans son mémoire, en quoi ce dernier risquait de ne pas présenter toute garantie de représentation, de par son passé d'ancien ministre et ses actuelles fonctions de président du Conseil Constitutionnel, la chambre d'accusation n'a pas donné de fondement légal à sa décision d'affecter une partie du cautionnement à des garanties de représentation inutiles ;
" alors, d'autre part, que la chambre d'accusation ne pouvait, sans contradiction de motifs, affirmer que la seconde partie du cautionnement était destinée à garantir le paiement des amendes, tout en confirmant une ordonnance assignant d'abord à cette partie de cautionnement une fonction de garantie des dommages causés par l'infraction et des restitutions ;
" alors, enfin, que, dès lors qu'elle reconnaissait que seul le paiement des éventuelles amendes devait être garanti, la chambre d'accusation devait réexaminer en fait et de façon concrète le montant de cette garantie " ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu que, pour confirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance entreprise, les juges du second degré, après avoir observé que le demandeur ne remet en cause, dans son mémoire, que l'interdiction de se rendre dans certains pays et l'obligation de verser un cautionnement, relèvent les relations étroites que l'intéressé entretenait avec Y... et l'existence de sérieuses présomptions selon lesquelles il se serait, par instructions données, rendu complice des abus de biens sociaux et en aurait bénéficié ; qu'ils retiennent que la mesure de contrôle judiciaire est indispensable tant en raison des nécessités de l'instruction, X... n'ayant pas encore été entendu au fond, qu'à titre de mesure de sûreté ;
Attendu qu'en prononçant ainsi, et dès lors que, lorsqu'un cautionnement est décidé, l'article 142 du Code de procédure pénale impose l'affectation d'une partie de son montant à la garantie de la représentation de la personne mise en examen, la chambre d'accusation, qui n'était pas tenue de motiver chacune des modalités du contrôle judiciaire, a justifié sa décision sans encourir les griefs allégués ;
Qu'ainsi, les moyens doivent être écartés ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 98-83377
Date de la décision : 14/10/1998
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Criminelle

Analyses

1° INSTRUCTION - Transport sur les lieux - Transport dans l'étendue du territoire national - Transport en dehors du ressort territorial du juge d'instruction - Extension de compétence - Conditions.

1° PROCES-VERBAL - Instruction - Transport sur les lieux - Transport en dehors du ressort territorial du juge d'instruction - Extension de compétence - Conditions.

1° La décision du juge d'instruction de se transporter en dehors du ressort de son tribunal, portée à la connaissance des magistrats du ministère public des 2 juridictions concernées, lui donne compétence non seulement pour procéder aux actes d'information qui y sont spécifiés, mais aussi pour prendre toutes mesures, telles qu'une ordonnance de placement sous contrôle judiciaire, qui en sont la suite nécessaire, sans que la rédaction d'un procès-verbal de transport soit une condition de validité des actes accomplis au cours du déplacement du magistrat instructeur(1)(1).

2° CONTROLE JUDICIAIRE - Chambre d'accusation - Arrêt confirmant le placement sous contrôle judiciaire - Contrôle judiciaire comportant un cautionnement - Finalités - Garantie de la représentation en justice de la personne mise en examen - Motivation - Nécessité (non).

2° CHAMBRE D'ACCUSATION - Arrêts - Arrêt statuant sur le contrôle judiciaire - Arrêt confirmant le placement sous contrôle judiciaire - Contrôle judiciaire comportant un cautionnement - Finalités - Garantie de la représentation en justice de la personne mise en examen - Motivation - Nécessité (non).

2° Si, par application de l'article 137 du Code de procédure pénale, le placement sous contrôle judiciaire ne peut être prononcé que si cette mesure est justifiée, compte tenu des circonstances de l'espèce, en raison des nécessités de l'instruction ou à titre de mesure de sûreté, les juges ne sont, en revanche, pas tenus de motiver chacune des modalités du contrôle judiciaire autres que celle prévue à l'article 138, alinéa 2.12°, du Code de procédure pénale. Lorsqu'un cautionnement est décidé, les juges n'ont pas à s'expliquer spécialement sur l'affectation d'une partie de son montant à la garantie de la représentation de la personne mise en examen à tous les actes de la procédure et pour l'exécution du jugement, qui est de droit en vertu de l'article 142 du même Code(3).


Références :

1° :
2° :
Code de procédure pénale 137, 138, al2, 12°, 142
Code de procédure pénale 81, 92, 93, 137, 138, 139, 206, 207

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris (chambre d'accusation), 22 mai 1998

CONFER : (1°). (1) Cf. Chambre criminelle, 1984-12-11, Bulletin criminel 1984, n° 397, p. 1068 (rejet) ;

Chambre criminelle, 1995-02-22, Bulletin criminel 1995, n° 78, p. 186 (cassation). CONFER : (1°). (1) A comparer: Chambre criminelle, 1985-06-11, Bulletin criminel 1985, n° 226, p. 578 (rejet) ;

Chambre criminelle, 1988-03-14, Bulletin criminel 1988, n° 124, p. 311 (rejet). CONFER : (2°). (3) Cf. Chambre criminelle, 1995-08-08, Bulletin criminel 1995, n° 264, p. 741 (cassation) ;

Chambre criminelle, 1995-09-26, Bulletin criminel 1995, n° 281, p. 782 (rejet), et les arrêts cités.


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 14 oct. 1998, pourvoi n°98-83377, Bull. crim. criminel 1998 N° 261 p. 755
Publié au bulletin des arrêts de la chambre criminelle criminel 1998 N° 261 p. 755

Composition du Tribunal
Président : Président : M. Gomez
Avocat général : Avocat général : M. Géronimi.
Rapporteur ?: Rapporteur : M. Roman.
Avocat(s) : Avocat : la SCP Waquet, Farge et Hazan.

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:1998:98.83377
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