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06/10/1998 | FRANCE | N°95-19874

France | France, Cour de cassation, Chambre commerciale, 06 octobre 1998, 95-19874


AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le pourvoi formé par la Compagnie monégasque de banque, dont le siège est ... 167, 98003 Monaco Cedex (Principauté de Monaco),

en cassation d'un arrêt rendu le 4 juillet 1995 par la cour d'appel de Bastia (chambre civile), au profit :

1 / de M. Joseph Y..., pris tant en qualité de représentant des créanciers que de commissaire à l'exécution du plan de M. Jean-Noël X..., domicilié ...,

2 / de M. Jean-Noël X..., demeurant Le

s Marines de Porticcio, Grosseto-Prugna, 20166 Porticcio,

3 / de M. Joseph Marie A...,

4 ...

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le pourvoi formé par la Compagnie monégasque de banque, dont le siège est ... 167, 98003 Monaco Cedex (Principauté de Monaco),

en cassation d'un arrêt rendu le 4 juillet 1995 par la cour d'appel de Bastia (chambre civile), au profit :

1 / de M. Joseph Y..., pris tant en qualité de représentant des créanciers que de commissaire à l'exécution du plan de M. Jean-Noël X..., domicilié ...,

2 / de M. Jean-Noël X..., demeurant Les Marines de Porticcio, Grosseto-Prugna, 20166 Porticcio,

3 / de M. Joseph Marie A...,

4 / de Mme Paulette Z... épouse A...,

demeurant ensemble résidence du Premier Consul, bât. B, ...,

défendeurs à la cassation ;

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;

LA COUR, composée selon l'article L. 131-6, alinéa 2, du Code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 3 juin 1998, où étaient présents : M. Bézard, président, M. Leclercq, conseiller rapporteur, M. Nicot, conseiller, M. Lafortune, avocat général, Mme Arnoux, greffier de chambre ;

Sur le rapport de M. Leclercq, conseiller, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la Compagnie monégasque de banque, de la SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez, avocat de M. Y..., ès qualités et des époux A..., les conclusions de M. Lafortune, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Bastia, 4 juillet 1995), que le représentant des créanciers du redressement judiciaire de M. X... a demandé que soit judiciairement reconnue la responsabilité de la Compagnie monégasque de banque (la CMB), pour l'avoir soutenu abusivement par ses crédits et garanties dans ses activités de promotion immobilière ;

Sur le premier moyen, pris en ses cinq branches :

Attendu que la banque fait grief à l'arrêt de la reconnaissance de sa responsabilité envers les créanciers de M. X... , alors, selon le pourvoi, d'une part, que la Compagnie monégasque de banque n'a, le 15 mars 1985, conclu qu'un acte unique de prêt d'un montant de 5 500 000 francs pour une durée de huit ans ; que cet acte disposait expressément que les fonds prêtés étaient destinés au réaménagement de la dette de M. X... et de son épouse ; qu'en énonçant que la CMB avait procédé par deux actes du 15 mars 1985, le premier ayant pour objet le réaménagement de la dette des débiteurs dans le cadre d'un prêt de 4 500 000 francs consenti sur 12 ans et le second ayant pour objet un nouveau prêt d'un montant de 550 000 francs sur huit ans, la cour d'appel a dénaturé l'acte notarié du 15 mars 1985, en violation de l'article 1134 du Code civil ; alors , d'autre part, qu'en se fondant, pour décider de la responsabilité de la banque sur la circonstance inexacte que celle-ci aurait, en 1985, augmenté ses concours au débiteur, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ; alors, en outre, que la faute, condition première et nécessaire, pour que la responsabilité du banquier puisse être engagée au titre d'un soutien abusif par l'octroi de crédit, suppose que celui-ci ait, volontairement ou par négligence, apporté à un débiteur soumis à de très graves difficultés un concours lui permettant de poursuivre une activité déficitaire alors même que sa situation serait compromise et qu'il n'y aurait pas de perspective raisonnable de redressement ; que la détermination du caractère fautif ou non de l'octroi de crédit impose ainsi l'examen et la recherche préalable tant de la composition du patrimoine du débiteur, à l'époque de l'octroi des crédits litigieux, que des perspectives de remboursement et de redressement de sa situation ; qu'en déduisant la faute de la banque du seul constat de l'existence de dettes non honorées à cette date par M. X... et de nombreuses hypothèques sans avoir recherché si, eu égard à la teneur du patrimoine du débiteur et à ses capacités de remboursement et de redressement, le soutien du banquier ne se justifiait pas, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ; alors, encore, que dans ses conclusions devant la cour d'appel, la Compagnie monégasque de banque, faisait valoir, se fondant sur une note technique et un rapport d'expertise produit aux débats, que la restructuration de la dette du débiteur en 1985 était parfaitement justifiée au regard de l'importance de l'actif patrimonial du débiteur, excédant largement ses dettes et au regard du montant des loyers que M. X... devait percevoir du centre commercial édifié à l'aide des prêts ; qu'elle indiquait encore, afin d'établir le caractère justifié de la restructuration des prêts litigieux que M. X... avait, après sa mise en redressement judiciaire, bénéficié d'un plan dé

redressement prévoyant le remboursement des loyers à provenir du centre commercial ce qui caractérisait a fortiori l'existence d'une perspective sérieuse de redressement en 1985 ; qu'en s'abstenant de répondre aux conclusions de la banque, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; et alors, enfin, que la responsabilité du banquier du fait d'un soutien abusif par l'octroi de crédits ne peut être appréciée qu'au regard de la situation et des éléments de faits qui étaient connus ou auraient dû être connus du banquier lors de l'octroi des crédits litigieux ; qu'en se fondant sur les décisions ultérieures du juge répressif en date des 26 juillet 1991 et 23 octobre 1991 pour reprocher à la banque d'avoir fourni en 1985 une "aide inappropriée à un dirigeant indélicat et mauvais gestionnaire", la cour d'appel a statué par des motifs inopérants et privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ;

Mais attendu, d'une part, que c'est par une erreur matérielle, sans incidence sur les motifs déterminant la condamnation prononcée contre la banque, que dans le rappel des faits litigieux l'arrêt évoque l'octroi de deux prêts le même jour aux époux X..., tandis qu'ensuite il ne se réfère qu'à un seul prêt pour un montant incontesté ; qu'ainsi il n'y a pas dénaturation de l'acte cité ;

Attendu, d'autre part, que ce n'est pas en se fondant sur sa référence initiale à un crédit inexistant, que la cour d'appel retient que l'endettement de M. X... était en constante augmentation, mais en se référant à l'ensemble de ses emprunts et découverts auprès de divers établissements, dont les plus importants relevaient de l'opération de "restructuration" concertée à laquelle la CMB participait ;

Attendu, en outre, que l'arrêt retient que la banque avait participé à des financements par crédits de "cavalerie" permettant à l'emprunteur de se constituer une trésorerie fictive pour résorber, par une "fuite financière en avant" des dettes antérieures et ce à un coût excessif pour lui ; que la cour d'appel a pu en déduire que même si sa situation n'était pas irrémédiablement compromise lors de l'octroi des crédits litigieux, le soutien qui lui était alors accordé était ruineux, et exclusif de toute perspective sérieuse de redressement ;

Attendu, encore, que la cour d'appel n'était pas tenue de répondre à l'argumentation selon laquelle le bénéfice d'un plan de redressement ayant été accordé par la juridiction consulaire à M. X... après l'ouverture de la procédure collective illustrait sa capacité à rétablir sa situation grâce à une restructuration de sa dette, et qu'il ne peut être fait grief à la banque de l'avoir tentée auparavant, dès lors qu'il n'était pas soutenu dans ses écritures que les conditions consenties par elle à l'époque litigieuse étaient comparables à celles ultérieurement imposées, et accompagnées de mesures protectrices des intérêts des autres créanciers ;

Attendu, enfin, que c'est en relevant que, par une "aide protectrice et peu sourcilleuse", et en se satisfaisant longtemps de "maigres renseignements", la CMB avait, consciemment, contribué à une dérive financière et à des pratiques malsaines, que l'arrêt retient que son soutien était donné à un dirigeant indélicat et mauvais gestionnaire, faisant apparaître qu'elle avait les moyens de s'en apercevoir, indépendamment de la référence à la constatation qui en a été faite a posteriori par la juridiction pénale ;

D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Sur le deuxième moyen, pris en ses quatre branches :

Attendu que la banque fait encore grief à l'arrêt de la reconnaissance de sa responsabilité envers les créanciers de M. X..., alors, selon le pourvoi, d'une part, que le procès-verbal de la réunion tenue le 24 février 1988, relevant notamment le refus de M. X... d'affecter le bénéfice de la vente de la société Sodiris, à savoir 2 000 000 francs au remboursement des ses dettes, indiquait expressément que la situation demeurait en l'état jusqu'au 15 mars 1988, date à laquelle le débiteur s'engageait à établir et produire un certain nombre de documents et que "faute d'un accord intervenant le 15 mars 1988, le dossier sera "transmis sans autre délai aux avocats qui seront chargés "d'engager la procédure" ; qu'en énonçant que lors de cette réunion, la CMB avait pris la décision d'attendre afin d'éviter une rupture des relations entre les parties, la cour d'appel a dénaturé le procès-verbal de la réunion du 24 février 1988, en violation de l'article 1134 du Code civil ; alors, d'autre part, que M. X... s'étant abstenu, à dater de 1987, d'honorer ses engagements, la Compagnie monégasque de banque l'a alors fait assigner en paiement devant le tribunal de grande instance d'Ajaccio ce qui a abouti à un jugement de condamnation du débiteur en date du 12 septembre 1988 ; que la cour d'appel a expressément constaté que la CMB avait engagé une procédure ayant donné lieu au dit jugement de condamnation ; qu'en énonçant néanmoins qu'après avoir admis en février 1988, que M. X... ne pouvait plus faire face à ses engagements, la CMB a pris la décision d'attendre le bon vouloir de son débiteur afin d'éviter une rupture entre les parties, la cour d'appel n'a pas déduit les conséquences légales de ses constatations, en violation de l'article 1382 du Code civil ; alors, en outre, que si la responsabilité du banquier peut être engagée du fait d'un soutien abusif, un tel abus n'est pas constitué lorsque le banquier, afin de protéger légitimement ses intérêts, effectue la cession d'une créance dont le recouvrement serait sinon aléatoire

extrêmement long ; qu'en retenant à faute la décision de la CMB de céder aux époux A... sa créance, la cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil ; et alors, enfin, que le plan de redressement arrêté par le tribunal de commerce d'Ajaccio le 27 avril 1992 faisait état à cette date d'un passif personnel du débiteur s'élevant à 14 769 859 francs dont seulement 1 769 859 francs hors créances bancaires ; que ce n'est que lors et pour les besoins de la présente instance que M. Y... a allégué d'un passif s'élevant à la somme de 74 439 357 francs ; qu'en reprochant à la CMB de s'être "débarrassée" d'une créance gênante et difficilement recouvrable eu égard au passif du débiteur s'élevant à 74 439 357 francs, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ;

Mais attendu, en premier lieu, que c'est après s'être référée à un courrier dans lequel la CMB reconnaissait que "différents points en suspens n'ont pas été régularisés depuis... plusieurs années" et en se référant aux termes d'un procès-verbal de réunion relatant son souci d'"éviter une rupture" que la cour d'appel a pu retenir que la banque a eu un comportement "attentiste" ; que c'est sans dénaturer ce procès-verbal que la cour d'appel s'est abstenue de préciser que le nouveau délai consenti avant des "procédures" n'était que d'un mois, dès lors que le "laxisme" relevé durait depuis longtemps ;

Attendu, en second lieu, que la responsabilité de la banque à l'égard des autres créanciers ne découlant pas de la cession de sa créance à des tiers, les motifs s'y référant sont surabondants ;

D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la Compagnie monégasque de banque aux dépens ;

Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette la demande présentée à ce titre par M. Y..., ès qualités ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du six octobre mil neuf cent quatre-vingt-dix-huit.


Synthèse
Formation : Chambre commerciale
Numéro d'arrêt : 95-19874
Date de la décision : 06/10/1998
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Commerciale

Analyses

BANQUE - Responsabilité - Entreprise en difficulté - Soutien abusif du crédit du débiteur - Participation à des opérations de "cavalerie" - Connaissance d'une dérive financière et de pratiques malsaines.


Références :

Code civil 1382

Décision attaquée : Cour d'appel de Bastia (chambre civile), 04 juillet 1995


Publications
Proposition de citation : Cass. Com., 06 oct. 1998, pourvoi n°95-19874


Composition du Tribunal
Président : Président : M. BEZARD

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:1998:95.19874
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