AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, DEUXIEME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par :
1°/ M. Rudy B..., demeurant ..., 60150 Thourotte,
2°/ M. Daniel Y..., demeurant ...,
3°/ la Mutuelle du Mans assurances, dont le siège est ..., en cassation d'un arrêt rendu le 21 juin 1996 par la cour d'appel d'Amiens (1re chambre civile), au profit :
1°/ de la Compagnie Winterthur, dont le siège est Tour Winterthur, 92085 Paris-La Défense,
2°/ du Bureau central français, dont le siège est ...,
3°/ de M. Ludwinus Z..., demeurant à Deinze 95, 9800 Belgique, Saint-Hubert-Saint-Draat, défendeurs à la cassation ;
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
LA COUR, en l'audience publique du 8 juillet 1998, où étaient présents : M. Chevreau, conseiller doyen, faisant fonctions de président, M. Pierre, conseiller rapporteur, MM. Guerder, Dorly, Mme Solange Gautier, MM. de Girvy, Etienne, conseillers, Mme Kermina, conseiller référendaire, M. Monnet, avocat général, Mme Laumône, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. Pierre, conseiller, les observations de la SCP Boré et Xavier, avocat de M. B..., de M. Y... et de la Mutuelle du Mans assurances, de Me Foussard, avocat de de la compagnie Winterthur, du Bureau central français et de M. Z..., les conclusions de M. Monnet, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Sur les deux moyens réunis :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Amiens, 21 juin 1996), qu'une collision s'est produite sur une route nationale, par temps de brouillard, entre l'ensemble routier de la société Transports Puba Martens, conduit par M. Z... et assuré à la compagnie Winterthur, qui traversait la chaussée en tournant à gauche, et l'automobile conduite par M. A..., ayant Mme Lucas comme passagère et qui circulait dans la même direction;
que Mme X..., blessée, est descendue de la voiture alors que M. A..., également blessé, y est demeuré;
qu'un ensemble routier appartenant à M. B..., conduit par M. Y... et assuré à la Mutuelle du Mans assurances, a percuté et pulvérisé la voiture de M. A... qui est décédé par suite de l'accident;
que M. Z..., prévenu d'homicide et blessures involontaires, a été relaxé par jugement du 7 mars 1991 "confirmé" par arrêt du 3 octobre 1991 rendu sur les seuls intérêts civils;
que la cour d'appel, par l'arrêt critiqué, après avoir déclaré M. Z... seul responsable des blessures subies par Mme X..., a déclaré M. Y... seul responsable du décès de M. A... et a rejeté son recours en garantie formé par M. Y... contre M. Z..., la Compagnie Winterthur et le Bureau central français ;
Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt d'avoir ainsi statué, alors, selon le moyen, d'une part, qu'en exonérant M. Z... de toute responsabilité dans le préjudice subi par M. A..., la cour d'appel a méconnu l'autorité absolue attachée à la décision pénale du 3 octobre 1991, laquelle avait expressément soutenu que "le comportement dangereux de M. Z... constituait la cause du préjudice subi par Mme X... et M. A..., au moins partiellement en ce qui concerne ce dernier";
qu'elle a ainsi violé l'article 1351 du Code civil;
alors, d'autre part, que la seconde collision, impliquant l'ensemble routier conduit par M. Y..., n'a pu se produire que parce que l'obstacle représenté par les véhicules immobilisés sur la chaussée à la suite de la première collision, interférait sur la circulation des véhicules suivants;
que dès lors M. Z..., dont, selon les propres constatations de la cour d'appel, la faute d'imprudence était à l'origine exclusive de la première collision, ne pouvait être exonéré de toute responsabilité dans la seconde;
qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel, qui n'a pas déduit les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les articles 1382 du Code civil et 4 de la loi du 5 juillet 1985;
et alors, enfin, subsidiairement, qu'il ressortait des déclarations de M. Z... lui-même comme de Mme X..., passagère du véhicule A..., que M. A... n'avait pu quitter son véhicule entre les deux collisions, non pas à raison de la brièveté du temps écoulé entre les deux accidents mais parce qu'il en était incapable, à la suite du premier choc, puisqu'aussi bien sa compagne a déclaré lui avoir détaché sa ceinture tandis que le chauffeur du poids lourd a eu le temps de lui ouvrir la portière ;
de contourner le véhicule et d'aider la passagère à se dégager après avoir ouvert sa propre portière, coincée, avant de voir arriver sur l'accident le camion conduit par M. Y...;
qu'ainsi, les blessures subies à la suite du premier choc étaient sans contestation possible à l'origine, du moins partielle, du décès de M. A... dans le second;
qu'en imputant cependant exclusivement ce décès à la seconde collision, la cour d'appel, qui n'a pas déduit les conséquences légales de ses propres constatations, a violé derechef les articles 1382 du Code civil et 4 de la loi du 5 juillet 1985 ;
Mais attendu que M. Y..., dont le véhicule était impliqué dans l'accident ayant entraîné le décès de M. A..., devait, pour obtenir la condamnation de M. Z..., dont le véhicule était également impliqué dans le même accident, établir une faute de celui-ci en relation avec le décès ;
Et attendu que l'arrêt retient que M. Z..., en contournant un îlot directionnel situé sur sa droite pour faire demi-tour, avait opéré une manoeuvre qui n'était pas interdite, qu'il avait marqué l'arrêt au panneau "stop" avant de s'engager sur la chaussée et qu'il avait alors été heurté à l'arrière gauche de sa remorque par l'automobile de M. A..., alors que l'ensemble routier était largement engagé ;
Qu'en l'état de ces seules constatations et énonciations, dont il résulte que M. Z... n'avait pas commis de faute en relation avec le décès de M. A..., c'est sans violer la chose jugée par l'arrêt du 3 octobre 1991 que la cour d'appel a déclaré M. Y... seul responsable du décès de M. A... ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne les demandeurs aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette la demande de la compagnie Winterthur, du Bureau central français et de M. Z... ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Deuxième chambre civile, et prononcé et signé par M. Guerder, conseiller le plus ancien, conformément aux dispositions des articles 452 et 456 du nouveau Code de procédure civile, en l'audience publique du trente septembre mil neuf cent quatre-vingt-dix-huit.