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16/07/1998 | FRANCE | N°95-22249

France | France, Cour de cassation, Chambre sociale, 16 juillet 1998, 95-22249


AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le pourvoi formé par la Compagnie nationale Air France, dont le siège est ..., en cassation d'un arrêt rendu le 13 décembre 1995 par la cour d'appel de Paris (1re Chambre, Section A), au profit :

1°/ du Syndicat des pilotes de l'aviation civile (SPAC), dont le siège est ...,

2°/ du Syndicat national des officiers mécaniciens de l'aviation civile (SNOMAC), dont le siège est ..., défendeurs à la cassation ;

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvo

i, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;

LA COUR, en l'audience publique...

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le pourvoi formé par la Compagnie nationale Air France, dont le siège est ..., en cassation d'un arrêt rendu le 13 décembre 1995 par la cour d'appel de Paris (1re Chambre, Section A), au profit :

1°/ du Syndicat des pilotes de l'aviation civile (SPAC), dont le siège est ...,

2°/ du Syndicat national des officiers mécaniciens de l'aviation civile (SNOMAC), dont le siège est ..., défendeurs à la cassation ;

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;

LA COUR, en l'audience publique du 16 juin 1998, où étaient présents : M. Gélineau-Larrivet, président, M. Soury, conseiller référendaire rapporteur, MM. Waquet, Merlin, Brissier, Texier, Lanquetin, Mme Lemoine-Jeanjean, conseillers, M. Boinot, Mmes Bourgeot, Trassoudaine-Verger, MM. Richard de la Tour, Besson, Mme Duval-Arnould, conseillers référendaires, M. Lyon-Caen, avocat général, Mme Marcadeux, greffier de chambre ;

Sur le rapport de M. Soury, conseiller référendaire, les observations de Me Cossa, avocat de la Compagnie Air France, de Me Luc-Thaler, avocat du Syndicat des pilotes de l'aviation civile et du Syndicat national des officiers mécaniciens de l'aviation civile, les conclusions de M. Lyon-Caen, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 13 décembre 1995), statuant sur renvoi après cassation, qu'après l'entrée en vigueur du protocole d'accord conclu le 16 mars 1971 entre la Compagnie Air France et les représentants de son personnel navigant, un conflit a opposé cette compagnie au Syndicat des pilotes de l'aviation civile (SPAC) et au Syndicat national des officiers mécaniciens de l'aviation civile (SNOMAC) à propos du calcul des heures fictives de vol fixées sur une base forfaitaire et des heures réelles de vol servant à la détermination de la rémunération du personnel navigant technique, l'excédent éventuel des premières par rapport aux secondes étant rémunéré;

que les deux syndicats ont saisi le tribunal de grande instance pour faire juger, d'une part, que les heures dites de "mise en place", correspondant au trajet effectué en qualité de passager par un pilote pour rejoindre soit l'escale où il doit prendre les commandes d'un avion, soit sa base, ne devaient pas, contrairement à la pratique de la Compagnie Air France, être ajoutées aux heures réelles de vol avant comparaison de celles-ci aux heures fictives, et d'autre part, que toutes les heures de mise en place, y compris les heures de mise en place isolées (entre deux temps d'arrêt de repos ou de récupération) devaient être considérées comme des heures de service de vol prises en compte comme telles pour le calcul des heures fictives ;

Attendu que la Compagnie Air France fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir dit que les heures de mise en place ne devaient pas s'ajouter aux heures réelles de vol pour la détermination de l'excédent d'heures fictives à rémunérer et que les heures de mise en place isolées constituaient un temps de service de vol au sens de l'accord du 16 mars 1971, alors, de première part, que la Compagnie Air France soutenait que les heures de vol de mise en place s'ajoutent aux heures réelles de vol aux commandes pour venir avec elles en déduction des heures fictives en vue de la détermination de l'excédent rémunérable de ces dernières;

que dès lors, ayant affirmé que "ni l'accord du 16 septembre 1971, étranger à la question des vols de mise en place, ni l'interprétation du RPNT n° 2, ni l'usage invoqué, mais non démontré, ne permettent d'établir que les heures de vol de mise en place sont des heures réelles de vol et que celles-ci ne doivent pas, en conséquence, s'ajouter aux heures de vol en fonction pour le calcul de l'excédent des heures fictives à rémunérer", la cour d'appel ne pouvait, sans entacher sa décision d'une contradiction entre ce motif et le dispositif de l'arrêt, confirmer le jugement;

que, ce faisant, elle a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile;

alors, de deuxième part, si, bien que les heures réelles de vol aux commandes soient à la fois payées en tant que telles et génératrices d'heures fictives, il n'en résulte pas une double rémunération, c'est parce que, lors de la comparaison entre le total des heures fictives et le total des heures réelles de vol, celles-ci viennent en déduction de celles-là dont seul l'excédent éventuel donne lieu à rémunération;

que la question soumise à la cour d'appel était de savoir s'il ne devait pas en être de même des heures de vol de mise en place, précisément parce qu'elles sont elles aussi déjà rémunérées en tant que telles;

que, dès lors, en retenant, pour écarter l'argument tiré par la Compagnie Air France de la double rémunération qu'engendrerait la solution adoptée par les premiers juges, que les heures réelles de vol, payées en tant que telles, sont également prises en compte pour la détermination des temps d'absence et des temps de service en vol, sans qu'elle y voie une double rémunération, la cour d'appel s'est déterminée par un motif inopérant, privant sa décision de base légale au regard de l'article 1134 du Code civil;

alors, de troisième part, que la question soumise à la cour d'appel étant précisément et exclusivement de savoir si les heures de mise en place, qui (tout comme les heures de vol aux commandes) sont à la fois rémunérées comme telles et comptabilisées dans les heures fictives (selon les paramètres propres à ces dernières), doivent (à l'instar des heures de vol aux commandes) être déduites des heures fictives lorsqu'il s'agit de déterminer si celles-ci présentent un excédent rémunérable par rapport aux heures réelles de vol déjà rémunérées, ce n'est pas tant la nature des heures de vol de mise en place qui importe que leurs effets rémunérateurs directs;

qu'en limitant son analyse à la nature des heures de mise en place, la cour d'appel a méconnu les termes du litige, en violation de l'article 4 du nouveau Code de procédure civile;

alors, de quatrième part, que, c'était aux Syndicats, demandeurs à l'action, de faire la preuve du bien-fondé de leurs prétentions, et non à la Compagnie Air France, défenderesse à l'action, de rapporter la preuve du bien-fondé du mode de rémunération contesté par les demandeurs;

que dès lors, en se fondant sur une motivation qui se borne à réfuter l'argumentation de la Compagnie Air France, sans aucun examen de celle des Syndicats, la cour d'appel a renversé la charge de la preuve, en violation de l'article 1315 du Code civil;

alors, de cinquième part, que dans ses conclusions d'appel, la Compagnie Air France avait fait valoir que le régime des heures de mise en place et donc le mode de calcul de l'excédent d'heures fictives étaient déterminés par des accords antérieurs à l'accord de 1971 et non remis en cause par celui-ci, accords dont il résultait que les heures réelles de service du personnel navigant technique étaient entendues comme la somme 1°) des heures effectuées par celui-ci aux commandes d'un appareil et 2°) des heures de vol de mise en place ;

qu'en s'abstenant de répondre à ces conclusions, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile;

alors, de sixième part, que, en soulevant d'office, sans avoir provoqué les observations préalables des parties, un moyen tiré des déclarations de la Compagnie Air France contenues dans une note du 18 janvier 1973 qu'aucune des parties n'invoquait dans ses conclusions et dont aucune ne tirait un moyen quelconque, la cour d'appel a violé l'article 16 du nouveau Code de procédure civile;

alors, de septième part, que, la première rubrique de la note du 18 janvier 1973 se compose de deux phrases, la première "il est exact que, sur le plan de l'activité, les heures de mise en place ne peuvent être traitées de la même façon que les heures réelles de vol puisqu'elles sont effectuées sans fonction à bord" étant éclairée par la seconde "c'est la raison pour laquelle elles (les heures de mise en place) ne sont prises en compte ni pour le versement des majorations de nuit, ni pour le calcul des heures supplémentaires ou des limitations de vol";

qu'il en résulte que les différences de traitement entre les heures de mise en place et les heures réelles de vol aux commandes ne portent pas sur leur prise en considération pour le calcul de l'excédent des heures fictives;

qu'en décidant le contraire en isolant la première des deux phrases précitées, la cour d'appel a dénaturé la note en cause, en violation de l'article 1134 du Code civil;

alors, de huitième part, que la note du 18 janvier 1973 rappelle dans une deuxième rubrique que les heures de mise en place, parce qu'elles sont rémunérées en tant que telles, sont prises en considération au titre de la rémunération effectivement perçue pour déterminer si celle-ci est suffisante par elle-même ou si elle doit être complétée de l'excédent d'heures fictives ou encore pour atteindre le montant du salaire minimum garantie d'activité, et rappelle encore que cela a toujours été admis;

que, dès lors qu'elle se fondait sur cette note, la cour d'appel ne pouvait passer complètement sous silence ses énonciations corroborant le bien-fondé de l'argumentation de la Compagnie Air France sans dénaturer par omission la note en cause et violer derechef l'article 1134 du Code civil;

alors, de neuvième part, que, dans une troisième rubrique, la note du 18 janvier 1973 donne le texte de l'accord du 27 novembre 1968, selon lequel "accord est donné pour qu'à compter du 1er mai 1969, les heures de mise en place et de reconnaissance de ligne soient considérées en raison de la valeur de leur paiement à 50 % et non plus de leur durée réelle", ainsi que le texte des demandes des délégués du personnel auxquelles cet accord a fait suite, lesquels sollicitaient que les heures de vol de mise en place ne viennent plus en totalité en déduction des heures fictives, ce qui démontrait bien que telle était la pratique en vigueur ;

qu'il s'ensuit que l'accord du 28 mai 1969 ne pouvait être regardé comme faisant expressément entrer les heures de mise en place dans l'établissement du compte des heures fictives, et encore moins comme ayant "expressément" cette portée;

qu'en affirmant le contraire, la cour d'appel a dénaturé ledit accord, en violation de l'article 1134 du Code civil;

alors, de dixième part, que, du même coup, en examinant le texte de l'accord du 28 mai 1969, sans le rapprocher de celui des demandes des délégués du personnel auquel il répondait, la cour d'appel a dénaturé par omission ces demandes dont le texte était également rapporté dans la note du 18 janvier 1973 et a une nouvelle fois violé l'article 1134 du Code civil ;

alors, de onzième part, que, si la cour d'appel d'appel a seulement voulu dire que les heures de mise en place sont aussi comptabilisées dans les heures fictives, elle s'est alors déterminée par un motif inopérant, cette question n'étant pas en litige, et a ainsi privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 du Code civil;

alors, de douzième part, que, l'accord de 1969 visant "le décompte du complément d'heures fictives", c'est-à-dire leur excédent éventuel, et non "l'établissement du compte des heures fictives", la cour d'appel a, en toute hypothèse, dénaturé de ce chef ledit accord, en violation encore de l'article 1134 du Code civil;

alors, de treizième part, qu'aux termes de l'article 4234 du Règlement du personnel navigant technique (RPNT n° 2), rapportés par l'arrêt, le vol de mise en place est défini comme "le vol (aller et retour) effectué en service en qualité de passager et rendu nécessaire par l'exécution d'un vol commercial ou technique";

qu'en affirmant qu'"il ne saurait être soutenu que la situation d'un navigant en fonction à bord d'un appareil est identique à celle du navigant transporté comme passager pour se rendre ou revenir de l'endroit où il doit prendre ses fonctions" pour en déduire que les vols de mise en place ne sont pas effectués en service, alors même qu'ensuite, à propos des heures de mise en place dite "isolées", elle a relevé au contraire "que dès lors qu'un navigant effectue un vol de mise en place, il l'effectue nécessairement sur instructions de l'employeur, à titre de service en vol pour l'exécution d'un vol commercial ou technique", la cour d'appel a violé par fausse interprétation les dispositions réglementaires du texte susvisé;

alors, de quatorzième part, qu'après avoir constaté que l'article 4234 du RPNT n° 2 définissant le vol de mise en place était antérieur à la date de l'accord de 1971 et que, conformément à l'accord du 28 mai 1969, les heures de mise en place étaient rémunérées depuis le 1er mai 1969, à raison de 50 % d'une heure effective, la cour d'appel devait rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si, pour le calcul de l'excédent d'heures fictives et en tout cas depuis le 1er mai 1969, ces heures dites fictives se trouvaient comparées à la somme des heures de vol effectuées en service, au cours de l'exécution d'un vol commercial ou technique ou encore au cours d'un vol de mise en place ;

qu'en statuant comme elle l'a fait, sans procéder à cette recherche, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard tant des accords conclus les 28 mai 1969 et 16 mars 1971, entre la Compagnie Air France et les représentants de son personnel navigant technique, que de l'article 1134 du Code civil;

alors, de quinzième part, qu'en se fondant, pour statuer sur les heures de mise en place dites "isolées" sur le fait que le vol de mise en place correspond à un temps de service en vol, notion distincte du temps de service de vol au sens de l'annexe A de l'accord du 16 mars 1971, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard tant de cet accord que de l'article 1134 du Code civil;

alors, de seizième part, que, enfin, la constance, la généralisation et la fixité d'un usage résultant de son application et non des contestations auxquelles elle donne lieu, la cour d'appel s'est déterminée par un motif inopérant en niant l'existence d'un usage antérieur à l'accord de 1971, du seul fait de l'existence de litiges individuels, postérieurs à cette date, et a ainsi privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 du Code civil ;

Mais attendu, d'abord, qu'en l'absence de dispositions conventionnelles ou d'usage en vigueur dans l'entreprise permettant d'assimiler les heures de mise en place aux heures réelles de vol accomplies en fonction à bord d'un appareil, ces dernières, aux termes du protocole d'accord du 16 mars 1971, devant être seules comparées aux heures fictives pour la détermination de la partie variable de la rémunération due au personnel navigant, la cour d'appel a exactement décidé, sans encourir les griefs du moyen et abstraction faite du motif surabondant critiqué par les branches 6 à 10, que, pour cette détermination de la partie variable de la rémunération, les heures de mise en place ne devaient pas être ajoutées aux heures réelles de vol ;

Attendu, ensuite, s'agissant des heures de mises en place isolées, que la seule référence à l'annexe A du protocole d'accord du 16 mars 1971 suffit à établir que la cour d'appel a entendu se référer à la notion de service de vol et non à celle de service en vol qui n'est pas visée dans ce document ;

Que le moyen ne saurait être accueilli en aucune de ses branches ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la Compagnie Air France aux dépens ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du seize juillet mil neuf cent quatre-vingt-dix-huit.


Synthèse
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 95-22249
Date de la décision : 16/07/1998
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Sociale

Analyses

CONVENTIONS COLLECTIVES - Aviation - Durée du travail - Pilotes d'Air France - Heures de vol ou assimilées.

TRAVAIL REGLEMENTATION - Durée du travail - Convention entre les parties - Heures de vol des pilotes d'Air France.


Références :

Accord d'entreprise Air France du 27 novembre 1968
Accord d'entreprise Air France du 28 mai 1969
Accord d'entreprise Air France du 16 mars 1971
Code civil 1134

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris (1re Chambre, Section A), 13 décembre 1995


Publications
Proposition de citation : Cass. Soc., 16 jui. 1998, pourvoi n°95-22249


Composition du Tribunal
Président : Président : M. GELINEAU-LARRIVET

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:1998:95.22249
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