AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par M. X..., domicilié ..., agissant en qualité de mandataire-liquidateur de la BCCI Overseas, succursale de Paris, en cassation d'un arrêt rendu le 17 mars 1995 par la cour d'appel de Paris (18e chambre, section C), au profit :
1°/ de M. Babar Y..., demeurant ...,
2°/ du GARP, dont le siège est ..., défendeurs à la cassation ;
LA COUR, en l'audience publique du 26 mai 1998, où étaient présents : M. Gélineau-Larrivet, président, M. Le Roux-Cocheril, conseiller rapporteur, MM. Waquet, Carmet, Ransac, Chagny, Bouret, conseillers, Mme Pams-Tatu, M. Frouin, Mmes Girard, Barberot, Lebée, Andrich, conseillers référendaires, M. de Caigny, avocat général, Mme Ferré, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. Le Roux-Cocheril, conseiller, les observations de la SCP Célice, Blancpain et Soltner, avocat de Me X..., ès qualités, de la SCP Masse-Dessen, Georges et Thouvenin, avocat de M. Y..., les conclusions de M. de Caigny, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué (Paris, 17 mars 1995) que M. Y..., devenu citoyen français en 1988, a travaillé depuis 1977 pour le compte de la société BCCI, organisme bancaire ayant plusieurs établissements, et spécialement dans les locaux de la société BCCI Overseas France en 1984-85 et en 1989-90;
que le 30 août 1990, il a reçu sur papier à en-tête de la société BCCI Londres, la notification de sa mutation à Abu-Dhabi;
que le 12 novembre 1990, sur papier à en-tête du BCCI Luxembourg, il a été licencié pour faute grave et que cette rupture a été confirmée par un courrier de BCCI Overseas France du 22 novembre 1990 ;
Sur le premier moyen :
Attendu que le liquidateur de la BCCI Overseas France fait grief à l'arrêt d'avoir dit que l'employeur réel de M. Y... était au sein du groupe BCCI Overseas Limited, la BCCI Overseas France (succursale Paris), dont l'adresse était 125, Champs-Elysées, 75008 Paris, représentée en la cause par son mandataire-liquidateur, M. Carasset Z..., d'avoir dit que le licenciement de M. Y... ne reposait ni sur une faute grave, ni sur une cause réelle et sérieuse, d'avoir fixé la créance de M. Y... au passif de la liquidation judiciaire de la BCCI Overseas France aux sommes suivantes : 145 008 francs à titre d'indemnité de préavis, 14 500 francs à titre de congés payés afférents, 490 525 francs à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement, 123 280 francs à titre de rappel de salaires, 350 000 francs à titre d'inclemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse, 199 168,45 francs à titre de "Provident Found", outre la somme de 10 000 francs sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
alors, d'une part, qu'il était constant que la lettre d'engagement de M. Y..., en date du 4 janvier 1977, sur papier à en-tête de la succursale de Londres de la BCCI Luxembourg, comportait la clause : "Vous pourrez être muté dans tous bureaux de la banque au Royaume-Uni ou dans n'importe quelle partie du monde ou dans toute société filiale ou apparentée";
que si l'exemplaire signé par le salarié et qui n'était pas détenu par la BCCI Paris, tiers à l'égard de ce contrat, n'a pas été produit devant la cour d'appel, l'arrêt attaqué a constaté les multiples mutations effectives du salarié;
qu'il était aussi constant que M. Y... était rémunéré sur la base d'une rémunération fixée en devise étrangère comme cela était prévu à ladite lettre d'engagement;
qu'en outre, sur la durée de quatorze ans qui s'était écoulée entre l'entrée en fonctions de M. Y..., au titre du contrat de travail litigieux, et la rupture de ce contrat, l'intéressé n'avait travaillé que deux ans en France;
qu'en l'état de ces circonstances et de la constatation encore par la cour d'appel que la BCCI Luxembourg avait pour rôle de recruter et la BCCI Londres d'affecter, ne justifie pas légalement sa décision au regard de l'article 1134 du Code civil l'arrêt attaqué qui considère que l'intéressé, qui avait ainsi appliqué et auquel avaient été appliqués les termes de ladite lettre d'engagement, n'était pas lié par elle et avait pour employeur la BCCI Paris;
que, de plus, ne justifie pas légalement sa solution au regard de l'article 1134 du Code civil l'arrêt attaqué qui retient que les communications entre M. Y... et les BCCI étrangères auraient été unilatérales sans tenir compte de la lettre du 10 décembre 1984 versée aux débats par laquelle M. Y... écrivait au directeur général régional de la BCCI de Londres pour contester certains points de sa rémunération;
alors, d'autre part, que, lorsqu'il avait été engagé, M. Y... avait la nationalité bengladeshi, qu'au titre de son contrat de travail, il a fait l'objet de mutations dans plusieurs pays, que ces mutations avaient été décidées par BCCI Londres, que les demandes de congés de l'intéressé étaient transmises à BCCI Londres pour approbation (laquelle n'était pas toujours accordée), que son salaire était déterminé en livres sterling puis en dollars américains;
que ne justifie pas légalement sa décision au regard de l'article 1134 du Code civil l'arrêt attaqué qui retient que la loi applicable au contrat de M. Y... était la loi française au motif que le salarié exerçait ses fonctions en dernier lieu en France dans le cadre d'un service bancaire organisé dans ce pays par la BCCI de Paris et se trouvait vis-à-vis de cette entité dans un lien de subordination permettant de dire que la BCCI de Paris était son employeur réel au sein du groupe BCCI, sans tenir compte des éléments d'extranéité précités dont il constate pourtant lui-même la plupart, tout en considérant de surcroît que M. Y... aurait eu les différentes BCCI étrangères avec lesquelles il avait été en relation comme employeurs conjoints;
alors, encore, subsidiairement, qu'il était constant que la lettre d'engagement de M. Y..., en date du 4 janvier 1977, sur papier à en-tête de la BCCI Londres comportait la clause : "Vous pourrez être muté dans tous bureaux de la banque au Royaume-Uni ou dans n'importe quelle partie du monde ou dans toute société filiale ou apparentée";
que ne justifie pas légalement sa décision au regard de l'article 1134 du Code civil l'arrêt attaqué qui constate les multiples mutations effectives du salarié (du 17 janvier 1977 au 14 janvier 1978 à Londres, du 16 février 1978 à avril 1982 à Abidjan (Côte-d'Ivoire) après deux mois passés à Paris en transit, d'avril 1982 au 5 juin 1984 à Djibouti, du 6 juin 1984 au Congo puis après annulation de cette mutation du 8 octobre à avril 1985 à Paris pour inspecter des agences de France et de Monte-Carlo, d'avril 1985 au 7 juin 1989 à Libreville (Gabon) et du 8 juin 1989 au 12 novembre 1990 à Paris, l'intéressé ayant ensuite refusé sa mutation à Abu Dhabi et considère néanmoins qu'il n'est pas établi que ladite clause de mobilité avait été appliquée;
que, de ce fait, ne justifie pas sa décision au regard des articles L. 122-8, L 122-9 et L. 122-14-4 du Code du travail l'arrêt attaqué qui considère qu'en l'état du refus par le salarié de sa mutation à Abu Dhabi en septembre 1990, le licenciement de l'intéressé n'était justifié ni par une faute grave ni même par une cause réelle et sérieuse ;
Mais attendu, d'abord, que la cour d'appel, après avoir constaté que M. Y... n'avait pas expressément accepté la proposition d'engagement du 4 janvier 1977 émanant de la société BCCI Luxembourg, a estimé, par une appréciation souveraine des preuves que l'existence d'un engagement de mobilité du salarié n'était pas établie ;
Attendu, ensuite, que la cour d'appel a relevé que le 8 février 1978, un contrat de travail a été conclu entre le salarié et la société BCCI Overseas France et a estimé, en l'absence d'autres éléments probants, que cette société, qui avait été l'employeur de M. Y..., l'était toujours à la date du licenciement alors qu'il travaillait dans ses locaux;
qu'elle a pu en déduire que le contrat de travail liant les parties n'était pas un contrat de travail international et que le licenciement de M. Y..., intervenu en violation des dispositions du Code du travail relatives au licenciement, était sans cause réelle et sérieuse;
que le moyen n'est pas fondé ;
Et sur le second moyen :
Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir fixé la créance de M. Y... à l'égard de la BCCI Overseas France, représentée par son mandataire liquidateur, M. Carasset Z..., à la somme de 490 525 francs à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement;
alors, selon le moyen, que, selon les dispositions des articles 58 et 48 de la convention collective de travail du personnel des banques, l'indemnité de licenciement prévue par ces textes n'est versée qu'en cas de licenciement pour insuffisance résultant d'une incapacité physique, intellectuelle ou professionnelle ou pour suppression d'emploi ;
qu'il s'ensuit que viole ces textes l'arrêt attaqué qui accorde à M. Y... ladite indemnité conventionnelle de licenciement tout en considérant que le licenciement de l'intéressé était sans motif réel et sérieux et non pas fondé sur l'un des motifs visés auxdits textes ;
Mais attendu que la banque, qui s'est bornée à contester l'application de la loi française, n'a pas soutenu que le salarié ne pouvait prétendre à l'indemnité conventionnelle de licenciement;
que le moyen, mélangé de fait et de droit, est nouveau et, par suite, irrecevable ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. X..., ès qualités, aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, condamne M. X..., ès qualités, à payer à M. Y... la somme de 12 000 francs ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du sept juillet mil neuf cent quatre-vingt-dix-huit.