CASSATION sur les pourvois formés par :
- X...,
- Y...,
contre l'arrêt de la chambre d'accusation de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, en date du 15 janvier 1998, qui, dans l'information suivie, notamment contre eux, pour infraction au Code de l'urbanisme, escroqueries, complicité d'escroquerie, faux et usage, recel, a partiellement fait droit à leur requête aux fins d'annulation d'actes de la procédure.
LA COUR,
Vu l'ordonnance du président de la chambre criminelle, en date du 27 avril 1998, ordonnant la jonction des pourvois et leur examen immédiat ;
Vu les mémoires produits ;
Sur le premier moyen de cassation proposé pour X..., pris de la violation des articles 82, 174, 206, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué, après avoir décidé que tous les actes réalisés par un magistrat autre que Mme Arfinengo l'avaient été par un juge d'instruction non régulièrement désigné et étaient donc entachés de nullités, a ordonné leur retrait du dossier, ainsi que de ceux qui en découlaient, à l'exception de diverses réquisitions du ministère public, dont les réquisitions supplétives du 2 avril 1997 (cote D. 263) ; et en a déduit qu'en l'état de ces réquisitions, la prescription de l'action publique n'était pas acquise et qu'il y avait donc lieu de poursuivre l'information ;
" alors que, d'une part, sont nuls, par voie de conséquence, les actes de poursuites ou d'instruction qui procèdent d'actes dont l'annulation a été prononcée dans la même procédure, de sorte que la chambre d'accusation ne pouvait, sans priver sa décision de toute base légale, retenir la validité du réquisitoire supplétif du 2 avril 1997, lequel se référait expressément à une ordonnance de soit-communiqué du même jour dont la chambre d'accusation venait de constater la nullité et d'ordonner le retrait du dossier à raison de l'incompétence de son auteur, un tel acte de poursuite étant, au demeurant, indissociablement lié aux actes d'information réalisés par un magistrat dont l'incompétence venait d'être déclarée ;
" et alors que, d'autre part, il s'ensuivait inéluctablement que la chambre d'accusation se devait de constater que, postérieurement à son précédent arrêt du 4 avril 1994, tous les actes d'information, se trouvant entachés de nullité à raison de l'incompétence de leur auteur, ne pouvaient, dès lors, avoir interrompu la prescription, de sorte qu'à la date de l'arrêt attaqué, soit le 15 janvier 1998, cette prescription de l'action publique se trouvait nécessairement acquise, le dernier acte interruptif se trouvant être la notification, faite par le parquet le 23 octobre 1994, de l'ordonnance de la chambre criminelle constatant le désistement par la partie civile Z... du pourvoi qu'elle avait formé contre l'arrêt du 4 avril 1994 " ;
Sur le deuxième moyen de cassation proposé pour X..., pris de la violation des articles L. 213-4, L. 311-14 et L. 311-15 du Code de l'organisation judiciaire, 34, 37, 192, 206, 591 et 593 du Code de procédure pénale :
" en ce que l'arrêt attaqué a reconnu la valeur interruptive de prescription aux réquisitions supplétives du 2 avril 1997, admettant ainsi implicitement leur validité ;
" alors que l'évocation prévue par l'article 206 du Code de procédure pénale a pour conséquence de déférer le dossier de l'information à la chambre d'accusation, de sorte que les pouvoirs conférés au ministère public dans le cadre de l'instruction, et notamment celui de prendre toute réquisition lui apparaissant nécessaire, se trouvent par là même dévolus exclusivement au procureur général, représentant du Parquet auprès de la chambre d'accusation aux termes des dispositions de l'article 192 du Code de procédure pénale, à l'exclusion du procureur de la République qui n'a compétence pour représenter le ministère public que devant le tribunal de grande instance et les juridictions prévues par l'article 37 du même Code ; qu'en l'espèce, la chambre d'accusation d'Aix-en-Provence ayant décidé, par son arrêt du 7 avril 1994, d'évoquer en déléguant un juge d'instruction de Grasse pour poursuivre l'instruction, le procureur de la République de Grasse se trouvait, par voie de conséquence, radicalement incompétent pour prendre des réquisitions supplétives demandant à ce magistrat instructeur, agissant alors uniquement comme délégataire de la chambre d'accusation, de nouvelles investigations, de sorte que ces réquisitions, prises par une autorité incompétente, se trouvaient radicalement entachées de nullité et donc dépourvues d'effet interruptif, ce que la chambre d'accusation se devait d'office de constater " ;
Sur le second moyen de cassation proposé pour Y..., pris de la violation des articles 83, 173, 485, 593 du Code de procédure pénale :
" en ce que la chambre d'accusation a prononcé la nullité et ordonné le classement au greffe de la Cour d'un certain nombre de pièces qu'elle a, pour cette raison, ordonné de retirer du dossier, mais a refusé de constater la nullité de l'ordonnance du président du tribunal de grande instance de Grasse en date du 1er avril 1997 et du réquisitoire supplétif en date du 2 avril 1997 et d'ordonner leur retrait du dossier ;
" aux motifs que la chambre d'accusation, par son arrêt du 7 avril 1994, avait marqué le cadre juridique dans lequel elle entendait situer la poursuite de la procédure, sous son contrôle direct, de telle sorte qu'il en résultait que la désignation du juge d'instruction choisi, en réalité délégué, se situait dans le cadre de l'évocation et donc de la délégation, et non dans celui des articles 83 et 84 du Code de procédure pénale, de telle sorte que tous les actes réalisés par un magistrat autre que Mme Arfinengo l'ont été par un juge d'instruction non régulièrement désigné et sont donc nuls ; qu'ils seront donc annulés et retirés du dossier, de même que seront retirés les actes qui en découlent nécessairement, mais que ne seront pas retirées les diverses réquisitions du ministère public et l'ordonnance présidentielle du 1er avril 1997, même si cette décision est sans objet ;
" alors, d'une part, que, lorsqu'une instruction ou un supplément d'instruction a été ordonné par la chambre d'accusation et confiée à un juge d'instruction délégué par elle, les dispositions de l'article 83 du Code de procédure pénale, qui sont substantielles et d'ordre public, lorsqu'une information vient d'être ouverte sur réquisitions du ministère public et qu'il s'agit de désigner celui des juges d'instruction du tribunal qui en sera chargé (ou de le remplacer en cas de besoin), ne sont pas applicables lorsqu'il y a lieu de pourvoir au remplacement du juge d'instruction délégué par la cour d'appel, notamment, en raison de sa nomination à un autre poste ; que l'ordonnance du président du tribunal désignant M. Gaidon pour poursuivre l'instruction n'était donc pas sans objet, mais était nulle, de telle sorte qu'elle devait être donc impérativement être retirée du dossier ;
" alors, d'autre part, que devait également être considéré comme nul le réquisitoire supplétif, comme étant la conséquence de la désignation erronée, par ordonnance du président du tribunal de grande instance de Grasse en date du 2 avril 1997, d'un juge d'instruction pour poursuivre l'information ; que le réquisitoire supplétif du 2 avril 1997 demandant au juge d'instruction qui venait d'être désigné de continuer à informer, et notamment de procéder à l'audition de A..., était la conséquence directe, d'une part, de l'ordonnance du 1er avril 1997 du président du tribunal, d'autre part, de l'ordonnance de soit-communiqué rendue le 2 avril 1997 par le juge d'instruction désigné par le président du tribunal, toutes 2 nulles, de telle sorte que ce réquisitoire devait impérativement être annulé et retiré du dossier " ;
Et sur le moyen de cassation relevé d'office, pris de la violation des articles 201 à 207 du Code de procédure pénale :
Les moyens étant réunis ;
Vu les articles 171, 192, 205 et 206, alinéa 2, du Code de procédure pénale ;
Attendu que, lorsque la chambre d'accusation, après évocation, a désigné un juge d'instruction pour procéder à un supplément d'information, le magistrat nommé en remplacement du juge d'instruction délégué poursuit de plein droit l'instruction ;
Que l'exercice, par la chambre d'accusation, de son pouvoir d'évocation exclut toute compétence du président du tribunal de grande instance pour désigner ou remplacer le juge d'instruction, du procureur de la République pour prendre des réquisitions et du juge d'instruction pour procéder au règlement de la procédure ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt et des pièces de la procédure que, dans l'information suivie, notamment contre les demandeurs, des chefs d'infraction au Code de l'urbanisme, escroqueries, complicité d'escroquerie, faux et usage, recel, la chambre d'accusation, par arrêt du 7 avril 1994, a annulé certaines pièces de l'information, évoqué, ordonné le dessaisissement de M. Murciano, juge d'instruction au tribunal de grande instance de Grasse, et désigné pour la poursuite de l'information Mme Arfinengo, juge d'instruction au même tribunal ;
Que, toutefois, ce magistrat ayant été appelé à d'autres fonctions, l'information a été poursuivie par le juge d'instruction nommé pour le remplacer, M. Gaidon, qui, après avoir procédé à une mise en examen, ainsi qu'à des interrogatoires, et délivré une commission rogatoire, a adressé aux parties le 10 mars 1997 l'avis de fin d'information prévu par l'article 175 du Code de procédure pénale et a ordonné le 2 avril 1997 la communication de la procédure au procureur de la République ; que ce dernier a pris le même jour des réquisitions supplétives ; que le président du tribunal de grande instance a désigné le 1er avril 1997 M. Gaidon pour instruire en remplacement de Mme Arfinengo ;
Attendu que, saisie par les 2 demandeurs et par une autre personne mise en examen de requêtes en nullité de pièces de la procédure, la chambre d'accusation, par l'arrêt attaqué, a annulé tous les actes réalisés par M. Gaidon, y compris l'ordonnance de soit-communiqué, mais non l'ordonnance du président du tribunal de grande instance, ni les réquisitions du ministère public ; que, par ailleurs, constatant, "en l'état des réquisitions supplétives du 2 avril 1997, que la prescription de l'action publique n'est pas acquise et que divers actes d'instruction sont nécessaires", la chambre d'accusation a délégué pour y procéder M. Maugendre, juge d'instruction au tribunal de grande instance de Grasse ;
Mais attendu qu'en prononçant ainsi, alors qu'encouraient la nullité les seuls actes du juge d'instruction relatifs au règlement de la procédure, ainsi que l'ordonnance du président du tribunal de grande instance et les réquisitions du procureur de la République prises en violation des règles de compétence, la chambre d'accusation a méconnu le sens et la portée des textes et principe ci-dessus rappelés ;
D'où il suit que la cassation est encourue ; qu'il y a lieu, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, d'en étendre les effets aux parties qui ne se sont pas pourvues ;
Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres moyens proposés ;
Vu l'article 612-1 du Code de procédure pénale ;
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre d'accusation de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, en date du 15 janvier 1998 ;
DIT que la cassation aura effet à l'égard de toutes les parties à la procédure ;
Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,
RENVOIE la cause et les parties devant la chambre d'accusation de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée.