AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par Mlle Jacqueline X..., demeurant ..., en cassation d'un arrêt rendu le 11 mars 1996 par la cour d'appel de Caen (3e chambre sociale), au profit de la société Générale Sucrière, société en nom collectif, dont le siège est ..., défenderesse à la cassation ;
EN PRESENCE de l'ASSEDIC de Basse-Normandie, dont le siège est ..., LA COUR, en l'audience publique du 6 mai 1998, où étaient présents : M. Desjardins, conseiller le plus ancien faisant fonctions de président, M. Brissier, conseiller rapporteur, M. Finance, conseiller, MM. Boinot, Soury, conseillers référendaires, M. Joinet, premier avocat général, Mlle Lambert, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. Brissier, conseiller, les observations de Me Foussard, avocat de Mlle X..., de la SCP Célice, Blancpain et Soltner, avocat de la société Générale Sucrière, les conclusions de M. Joinet, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Sur le moyen unique, pris en sa première branche :
Vu les articles L. 122-17 et R. 122-6 du Code du travail ;
Attendu que, selon l'arrêt attaqué, Mlle X..., employée en qualité de secrétaire de direction par la Société générale sucrière, a été licenciée le 31 novembre 1993 pour motif économique;
qu'elle a signé un reçu pour solde de tout compte le 31 décembre 1993;
qu'elle a dénoncé ce dernier par lettre recommandée du 28 février 1994 avec avis de réception portant les mentions suivantes "personnel, M. Bernard Y..., responsable des ressources humaines, générale sucrière, 14630 Cagny";
que cette lettre non réclamée par son destinataire a été retournée à l'expéditrice;
que Mlle X... a saisi le conseil de prud'hommes pour obtenir notamment le paiement d'une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Attendu que pour déclarer irrecevable cette demande, l'arrêt énonce que la lettre recommandée par laquelle la salariée a dénoncé le reçu pour solde de tout compte est adressée à M. Bernard Y..., responsable des ressources humaines, Générale Sucrière, 14630 Cagny, avec la mention en lettres majuscules et soulignée : "personnel';
qu'il est constant que M. Y... n'était pas l'employeur de Mlle X...;
que la mention de la qualité du destinataire est en l'espèce annulée par la mention expresse du caractère personnel de la lettre, qui interdisait à toute autre personne que M. Y... d'en prendre connaissance à peine de violation du secret des correspondances et faisait même obstacle à ce que l'employeur soit informé de son contenu;
que le reçu pour solde de tout compte n'a donc pas été valablement dénoncé ;
Qu'en statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses propres constatations que la lettre précitée avait pour destinataire, non pas le responsable des ressources humaines à titre privé, mais le responsable des ressources humaines représentant, en cette qualité, l'employeur, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS, sans qu'il y ait lieu de statuer sur la seconde branche du moyen :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 11 mars 1996, entre les parties, par la cour d'appel de Caen ;
remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Rouen ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Condamne la société Générale Sucrière aux dépens ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix-sept juin mil neuf cent quatre-vingt-dix-huit.