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16/06/1998 | FRANCE | N°97-82161

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 16 juin 1998, 97-82161


AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le seize juin mil neuf cent quatre-vingt-dix-huit, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le rapport de Mme le conseiller SIMON, les observations de Me Y... et de la société civile professionnelle LYON-CAEN, FABIANI et THIRIEZ, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général LUCAS ;

Statuant sur le pourvoi formé par :

- LE FRONT NATIONAL, partie civile, contre l'arrêt de la cour d'appel de PARIS, 11ème chambre, du 27 mars 199

7 qui, dans la procédure suivie contre Jean-Marie X... et la société Le Monde, d...

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le seize juin mil neuf cent quatre-vingt-dix-huit, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le rapport de Mme le conseiller SIMON, les observations de Me Y... et de la société civile professionnelle LYON-CAEN, FABIANI et THIRIEZ, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général LUCAS ;

Statuant sur le pourvoi formé par :

- LE FRONT NATIONAL, partie civile, contre l'arrêt de la cour d'appel de PARIS, 11ème chambre, du 27 mars 1997 qui, dans la procédure suivie contre Jean-Marie X... et la société Le Monde, du chef de refus d'insérer un droit de réponse, après relaxe du prévenu, a débouté la partie civile de ses demandes ;

Vu les mémoires en demande et en défense ;

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 13 de la loi du 29 juillet 1881, 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;

"en ce que, par l'arrêt attaqué, la Cour constatant le caractère définitif du jugement, dont appel, qui avait relaxé Jean-Marie X... des fins de la poursuite du chef du délit de refus d'insertion de droit de réponse, a confirmé ledit jugement en ce qu'il avait débouté le Front National de l'ensemble de ses demandes et en ce qu'il avait mis hors de cause la SA Le Monde ;

"aux motifs que, si l'exercice du droit de réponse revendiqué par le Front National est fondé en son principe, car il ressort clairement des deux articles en cause parus dans le quotidien "Le Monde" que "le Front National est désigné sous la qualification d'"extrême droite" par rapport à laquelle d'autres formations politiques sont amenées à prendre position dans un contexte électoral", pour être général et absolu le droit de réponse institué par l'article 13 de la loi du 29 juillet 1881 "n'en laisse pas moins subsister... le pouvoir juridictionnel d'appréciation quant à la pertinence de la réponse au regard des propos visés et quant au contrôle de l'absence d'abus dans l'exercice de ce droit";

"qu'il doit exister "une adéquation entre la réponse que toute personne mise en cause est en droit de faire insérer et l'écrit qui en constitue l'origine";

qu'en l'espèce "les réponses du Front National, exemptes de toute référence au débat concernant les stratégies électorales" (objet des articles) consistent uniquement à réfuter son assimilation à un parti "d'extrême droite", en illustrant d'exemples le caractère péjoratif qui s'attache à cette appellation et à conclure que le Front National entend s'en démarquer";

que ce faisant le Front National tend à promouvoir son image" et que la distorsion entre le sujet des articles et la teneur des réponses dénature le droit de réponse qui n'est pas une tribune libre;

"que la demande du Front National révèle son intention "sous couvert d'exercice de ce droit, d'opérer une ingérence assimilable à une censure";

que la demande du Front National "procède en effet de la volonté de dissuader la presse de qualifier ce parti politique autrement que d'une façon qui lui agrée";

"qu'il existe dans un régime démocratique des moyens d'expression suffisamment diversifiés permettant, indépendamment du recours au droit de réponse, le libre exercice du débat contradictoire et l'information du public dans le respect du pluralisme d'opinions" ;

"alors que, d'une part, le droit de réponse prévu par l'article 13 de la loi du 29 juillet 1881 est général et absolu, que celui qui en use est seul juge de la teneur, de l'étendue, de l'utilité et de la forme du texte dont il requiert l'insertion, qu'il ne peut être refusé qu'autant que la réponse est contraire aux lois, aux bonnes moeurs, à l'intérêt légitime des tiers ou à l'honneur du journaliste, qu'il n'appartient au juge ni d'en déterminer, ni d'en apprécier la pertinence;

que peu importe que le droit de réponse ne soit pas en adéquation directe avec l'objet de l'article de presse incriminé, dès l'instant où dans celui-ci figure une mention qui porte atteinte à la réputation du demandeur ;

que la circonstance que l'usage du droit de réponse ait pour résultat de promouvoir l'image du demandeur est indifférente pour apprécier la recevabilité et la valeur de la demande;

et que la Cour ne pouvait omettre de sanctionner le refus du droit de réponse opposé au Front National qui estimait que l'emploi de l'expression "extrême droite" pour le désigner portait une grave atteinte à sa réputation, sans violer par refus d'application l'article 13 de la loi du 29 juillet 1881 ;

"alors que, d'autre part, en vertu de l'article 10, alinéa 2, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, le droit de réponse sollicité constitue une mesure nécessaire, dans une société démocratique, à la protection de l'honneur et de la réputation de toute personne;

que celle dont le Front National demandait respect et dont il était seul juge, requérait que lui soit reconnu le droit d'utiliser le droit de réponse, peu important qu'il disposât d'autres moyens d'expression, pour répondre à la qualification péjorative d'extrême droite qui lui était donnée, et que la Cour n'a pu lui refuser l'exercice de ce droit qu'en violation de l'article 10, alinéa 2, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme précitée ;

"alors qu'enfin, la Cour aurait dû rechercher si, en raison de sa connotation nettement péjorative, l'emploi de la qualification d'"extrême droite" pour désigner le Front National dans les articles litigieux, ne constituait pas une imputation portant atteinte à la réputation de cette association et si la publication du droit de réponse demandé ne constituait pas une mesure "nécessaire" à la protection de cette réputation et au respect de ses droits" ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué, qu'à la suite de la publication dans le journal Le Monde, du 6 décembre 1995, de deux articles intitulés "la tentation de l'extrême droite" et "la droite est de nouveau partagée face au Front National", ayant trait aux élections législatives partielles dans le département de Seine et Marne, le Front National a demandé au directeur de publication de ce journal l'insertion de deux réponses identiques, qui a été refusée;

que le Front National a alors cité Jean-Marie X... et la société Le Monde devant la juridiction correctionnelle pour refus d'insertion ;

Attendu que, pour confirmer le jugement ayant renvoyé le prévenu des fins de la poursuite et débouter la partie civile de ses demandes, les juges du second degré retiennent que "la distorsion, par trop importante entre le sujet des articles sur lesquels la demande d'insertion des réponses est fondée et la teneur de ces réponses, dénature le droit de réponse prévu par l'article 13 de la loi du 29 juillet 1881, qui n'est pas une tribune libre";

qu'ils ajoutent que l'utilisation abusive, par le Front National, de l'exercice du droit de réponse à l'occasion de son assimilation à l'extrême droite, "révèle l'intention d'opérer une ingérence assimilable à une censure,... procède de la volonté de dissuader la presse de qualifier ce parti politique autrement que d'une façon qui lui agrée, ... et constitue un abus de droit", dès lors qu'existent, dans un régime démocratique, des moyens d'expression suffisamment diversifiés, permettant le libre exercice du débat contradictoire et l'information du public ;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations et dès lors que la publication d'une telle réponse, qui constituerait une restriction à l'exercice de la liberté de recevoir ou communiquer des informations, non justifiée par la protection des droits énumérés par l'article 10.2 de la Convention européenne des droits de l'homme, ne peut être exigée sur le fondement de l'article 13 de la loi du 29 juillet 1881, la cour d'appel a justifié sa décision ;

D'où il suit que le moyen doit être écarté ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Milleville conseiller doyen, faisant fonctions de président en remplacement du président empêché, Mme Simon conseiller rapporteur, MM. Pinsseau, Joly, Mmes Chanet, Anzani conseillers de la chambre, Mme Batut, M. Desportes, Mme Karsenty conseillers référendaires ;

Avocat général : M. Lucas ;

Greffier de chambre : Mme Krawiec ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 97-82161
Date de la décision : 16/06/1998
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Criminelle

Analyses

PRESSE - Droit de réponse - Insertion - Limites - Mesure assimilable à une censure.

PRESSE - Droit de réponse - Insertion - Refus - Validité - Contrôle de la Cour de Cassation.


Références :

Loi du 29 juillet 1881 art. 13

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 11ème chambre, 27 mars 1997


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 16 jui. 1998, pourvoi n°97-82161


Composition du Tribunal
Président : Président : M. MILLEVILLE conseiller

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:1998:97.82161
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