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16/06/1998 | FRANCE | N°96-19109

France | France, Cour de cassation, Chambre commerciale, 16 juin 1998, 96-19109


AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le pourvoi formé par la société Huttepain Maine Aliments, société anonyme, dont le siège social est ..., en cassation d'un jugement rendu le 2 juillet 1996 par le tribunal de grande instance du Mans (1ère chambre), au profit de la Direction Régionale des Douanes et Droits Indirects, dont le siège social est ..., défenderesse à la cassation ;

La demanderesse invoque à l'appui de son pourvoi, les quatre moyens de cassation annexés au pré

sent arrêt :

LA COUR, composée selon l'article L. 131-6, alinéa 2, du Code de l...

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le pourvoi formé par la société Huttepain Maine Aliments, société anonyme, dont le siège social est ..., en cassation d'un jugement rendu le 2 juillet 1996 par le tribunal de grande instance du Mans (1ère chambre), au profit de la Direction Régionale des Douanes et Droits Indirects, dont le siège social est ..., défenderesse à la cassation ;

La demanderesse invoque à l'appui de son pourvoi, les quatre moyens de cassation annexés au présent arrêt :

LA COUR, composée selon l'article L. 131-6, alinéa 2, du Code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 5 mai 1998, où étaient présents : M. Bézard, président, M. Poullain, conseiller rapporteur, M. Nicot, conseiller, M. Raynaud, avocat général, Mme Arnoux, greffier de chambre ;

Sur le rapport de M. Poullain, conseiller, les observations de Me Baraduc-Bénabent, avocat de la société Huttepain Maine Aliments, de Me Foussard, avocat de la Direction Régionale des Douanes et Droits Indirects, les conclusions de M. Raynaud, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Attendu, selon le jugement attaqué, que la société Huttepain Maine aliments (la société Huttepain) a assigné le directeur régional des douanes et des droits indirects de Nantes pour obtenir remboursement des sommes qu'elle avait payées au titre de la taxe parafiscale de stockage des céréales durant les campagnes 1986-1987 et 1987-1988 ;

Sur le premier moyen :

Attendu que la société Huttepain fait grief au jugement d'avoir dit que la taxe de stockage qu'elle a acquittée n'était pas contraire au droit communautaire et notamment à la politique agricole commune, alors, selon le pourvoi, que le dispositif des arrêts de la Cour de justice des Communautés européennes précise qu'il suffit que la taxe ait eu potentiellement, et non nécessairement de manière effective, pour incidence d'inciter les opérateurs économiques à modifier la structure de leur production ou de leur commercialisation;

qu'il convient d'apprécier cet effet à partir du taux de la taxe, de son incidence en pourcentage sur le prix des produits taxés, de la comparaison de l'évolution de la production et de la consommation des céréales taxées, des autres céréales et des divers produits de substitution, en France et dans des pays voisins;

que la mesure de l'incidence économique de la taxe conduit à rechercher son effet réel ou potentiel de sorte que l'impact de la taxe est susceptible de s'inscrire parmi d'autres facteurs explicatifs des fluctuations comportementales des intéressés;

qu'en relevant que la particulière faiblesse du montant de la taxe parafiscale, jointe à l'arrivée massive sur le marché européen de produits de substitution bénéficiant d'un régime tarifaire douanier particulièrement favorable établissait que la taxe de stockage n'avait pu inciter les opérateurs économiques à modifier la structure de leur production ou consommation sans rechercher l'effet potentiel de la taxe, alors même qu'il constate que les multiples taxes rigidifient les prix et aggravent les contraintes de revenus qui s'imposent aux agriculteurs, l'effet réel ou potentiel de la taxe pouvant être cumulé avec d'autres facteurs, le Tribunal a entaché sa décision d'un défaut de base légale au regard du règlement CEE n° 2 727/75 du Conseil des Communautés européennes en date du 29 octobre 1975 portant organisation commune des marchés dans le secteur des céréales ;

Mais attendu que, dans l'arrêt X... Morvan (19 novembre 1991), la Cour de justice des Communautés européennes (la CJCE) ayant rappelé (point 11) que, selon l'arrêt du 10 mars 1981 (Irish Creamery), les buts de l'organisation commune des marchés pourraient être compromis par des mesures nationales qui "ont une influence sensible sur les prix du marché" et qu'ainsi une taxe qui "incite les producteurs à remplacer partiellement les produits imposés par des produits non imposés risque d'engendrer des distorsions sur plusieurs marchés", a dit pour droit que les mécanismes de la politique agricole commune "s'opposent à la perception d'une taxe, par un Etat membre, frappant un nombre restreint de produits agricoles pendant une longue période dès lors que cette taxe est susceptible d'inciter les opérateurs économiques à modifier la structure de leur production ou de leur consommation" et que "il appartient à la juridiction nationale d'apprécier si la taxe sur laquelle porte un litige dont elle est saisie a eu de tels effets";

qu'il suit de là que la mission du juge national, chargé d'apprécier la compatibilité d'une taxe de la nature de celle examinée avec le droit communautaire, consiste à vérifier si elle a, dans la réalité, produit les effets de perturbation des marchés qu'elle recelait en puissance;

que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le deuxième moyen pris en ses trois branches :

Attendu que la société Huttepain reproche au jugement d'avoir rejeté sa demande en retenant que la preuve du caractère de taxe d'effet équivalent à un droit de douane ou d'imposition intérieure discriminatoire n'était pas rapportée alors, selon le pourvoi, d'une part, qu'il résulte de l'article 2 du décret du 17 août 1987 que tous les produits dérivés transformés sont soumis à la taxe de stockage à l'importation sans y être en tant que tels lorsqu'ils relèvent de la production nationale;

qu'il est ainsi établi que les produits dérivés nationaux ne supportent pas une taxation exactement identique à celle des produits importés et qu'en écartant la qualification de taxe d'effet équivalent à un droit de douane, le Tribunal a violé les articles 9 et 12 du traité CEE;

alors, d'autre part, que constitue une taxe d'effet équivalent celle destinée à financer des activités qui profitent spécifiquement au produit national dès lors que la taxe se traduit, pour ce produit national, par une charge compensée par les avantages reçus;

qu'en affirmant, sans préciser sur quel document il se fondait, que les interventions financées par la taxe servent non seulement les produits nationaux mais également les produits importés, sans rechercher si ces avantages profitaient de façon identique aux produits nationaux et aux produits importés ni déterminer la partie de la taxe affectée aux seules dépenses nationales (article 1er du décret de 1987), le Tribunal a entaché sa décision d'un défaut de base légale au regard des articles 9 et 12 du traité de Rome ;

et alors, enfin, que, dès lors que celui qui s'oppose à la perception de la taxe démontre que le produit de celle-ci est destiné à financer des aides en faveur du produit national imposé et notamment des mesures d'intervention en faveur de l'écoulement des seuls produits nationaux, il incombe à l'Etat de prouver exactement la mesure dans laquelle les aides ont compensé la charge fiscale grevant le produit national;

qu'ainsi en mettant cette preuve à la charge de celui qui supporte la taxe, le Tribunal a violé ensemble l'article 1315 du Code civil et 95 du Traité CEE ;

Mais attendu, en premier lieu, que la société Huttepain n'ayant pas allégué que tout ou partie des taxes dont elle réclame la restitution a été payée au titre de l'importation de produits dérivés, elle ne justifie pas de son intérêt à soutenir le moyen présenté à la première branche ;

Attendu, en second lieu, que le jugement constate que le produit de la taxe permet de financer la charge des emprunts contractés par les organismes nationaux d'intervention sur les céréales et retient, sans qu'il lui soit opposé un défaut de réponse sur un élément de preuve contraire, qu'il n'est pas établi que le bénéfice de ces actions aurait été réservé aux produits nationaux;

que par ces constations et cette appréciation le Tribunal, qui a légalement justifié sa décision, a pu statuer comme il a fait ;

D'où il suit que le moyen, irrecevable en sa première branche et non fondé en les deux autres, ne peut être accueilli ;

Sur le troisième moyen :

Attendu que la société Huttepain reproche au jugement d'avoir rejeté sa demande en écartant les moyens tirés de la méconnaissance des dispositions de l'article 93, paragraphe 3, dernière phrase du traité de Rome, alors, selon le pourvoi, qu'il appartient aux juridictions nationales de sauvegarder les droits des justiciables face à une éventuelle méconnaissance, de la part des autorités nationales, de l'interdiction de mise à exécution des aides visée à l'article 93, paragraphe 3 dernière phrase du Traité et qui a un effet direct;

que le justiciable peut invoquer une telle méconnaissance nonobstant l'absence d'ouverture de la procédure de contrôle d'aide publique par la Commission de sorte qu'en écartant sa demande au motif qu'elle ne justifie d'aucune décision de la Commission, alors qu'il appartient au juge national de rechercher si l'aide dont la validité est contestée constitue une aide nouvelle ou modifiée et si sa mise en oeuvre ne devait pas être retardée après la procédure prévue par l'article 93, le Tribunal a violé par fausse application l'article 93, paragraphe 3 dernière phrase du Traité ;

Mais attendu qu'il ne résulte pas des conclusions de la société Huttepain qu'elle a exposé en quoi la taxe de stockage perçue durant les campagnes 1986-87 et 1987-88 constitue une "aide nouvelle" par rapport à la taxe qui était perçue depuis 1953;

que n'ayant pas justifié que l'article 93, paragraphe 3, du traité de Rome lui était applicable, elle n'est pas fondée à reprocher au Tribunal de ne pas avoir retenu des griefs tirés de sa méconnaissance;

d'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses deux branches ;

Et sur le quatrième moyen :

Vu l'article 2 du Code civil ;

Attendu qu'en déclarant régulière la taxe litigieuse, alors que le décret du 17 août 1987 et son arrêté d'application du 14 mars 1988 organisant sa perception pour la campagne 1987-1988 et pris alors qu'elle avait déjà commencé étaient illégaux en ce que, s'appliquant à des faits générateurs d'impôt antérieurs à leur entrée en vigueur, ils étaient rétroactifs, le Tribunal a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a rejeté la demande de la société Huttepain en remboursement de sommes versées au titre d'opérations antérieures à l'entrée en vigueur des textes organisant la campagne céréalière 1987-1988, le jugement rendu le 2 juillet 1996, entre les parties, par le tribunal de grande instance du Mans;

remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit jugement et, pour être fait droit, les renvoie devant le tribunal de grande instance de Toulouse ;

Condamne la Direction Régionale des Douanes et Droits Indirects aux dépens ;

Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette la demande de la société Huttepain Maine aliments ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite du jugement partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du seize juin mil neuf cent quatre-vingt-dix-huit.


Synthèse
Formation : Chambre commerciale
Numéro d'arrêt : 96-19109
Date de la décision : 16/06/1998
Sens de l'arrêt : Cassation partielle
Type d'affaire : Commerciale

Analyses

IMPOTS ET TAXES - Contributions indirectes - Taxes assimilées - Taxe de stockage des céréales - Compatibilité avec le droit communautaire - Annulation.


Références :

Décret du 17 août 1987 art. 1 et 2
Réglement 727/25 du 29 octobre 1975
Traité de Rome du 25 mars 1957 art. 9 et 12

Décision attaquée : Tribunal de grande instance du Mans (1ère chambre), 02 juillet 1996

Arrêt CJCE (Irish Creamery) 1981-03-10. Arrêt CJCE (Aliments Morvan) 1991-11-19.


Publications
Proposition de citation : Cass. Com., 16 jui. 1998, pourvoi n°96-19109


Composition du Tribunal
Président : Président : M. BEZARD

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:1998:96.19109
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