AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par la société Manoir industrie, société anonyme dont le siège est ..., ci-devant, et actuellement ..., en cassation d'un arrêt rendu le 21 septembre 1995 par la cour d'appel de Paris (25e Chambre, Chambre A), au profit :
1°/ de la Société générale d'entreprise (SGE), société anonyme dont le siège est 1, Cours Ferdinand de Lesseps, 92851 Rueil-Malmaison,
2°/ de M. X..., demeurant ... et ..., pris ès qualités de liquidateur de la société Space engineering, défendeurs à la cassation ;
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;
LA COUR, composée selon l'article L. 131-6, alinéa 2, du Code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 28 avril 1998, où étaient présents : M. Bézard, président, Mme Vigneron, conseiller rapporteur, Mme Pasturel, conseiller, Mme Piniot, avocat général, Mme Arnoux, greffier de chambre ;
Sur le rapport de Mme Vigneron, conseiller, les observations de la SCP Philippe et François-Régis Boulloche, avocat de la société Manoir industrie, de Me Choucroy, avocat de la société SGE, de Me Luc-Thaler, avocat de M. X..., ès qualités, les conclusions de Mme Piniot, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Sur le moyen unique, pris en ses deux branches :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 21 septembre 1995), que la société Space engineering (société Space), qui avait été chargée par la société Thinet, aux droits de laquelle vient la Société générale d'entreprise (SGE), de la construction de la charpente métallique d'un complexe sportif, a confié la fabrication de son ossature à la société Bar Lorforge, devenue société Manoir industrie (société Manoir);
que le maître de l'ouvrage et la SGE ayant refusé les éléments de cette charpente livrés par la société Manoir en raison de leur soudure défectueuse, la société Space a obtenu, en référé, la désignation d'un expert;
que les parties sont convenues de remplacer les éléments litigieux aux frais avancés par la SGE et que celle-ci a assigné M. X... en qualité de liquidateur judiciaire de la société Space ainsi que la société Manoir, mais a réclamé seulement à cette dernière la réparation de ses préjudices ;
Attendu que la société Manoir fait grief à l'arrêt d'avoir accueilli la demande de la SGE, alors, selon le pourvoi, d'une part, que l'action en responsabilité ne peut être accueillie que si le demandeur établit la certitude du préjudice qu'il invoque;
que, dans ses conclusions d'appel, elle avait soutenu que les règles professionnelles applicables à la métallurgie imposaient de ne se fier qu'aux expérimentations directes et non aux conjectures théoriques et que les essais de traction avaient montré que la charge de rupture était plus du double de la charge maximale susceptible d'agir lorsque la construction serait en service;
que le Tribunal avait rappelé que des essais avaient été effectués et que la soudure s'était rompue une seule fois dans un cas où la valeur de traction dépassait largement les normes de sécurité;
que pour décider que les vices affectant les soudures rendaient l'ouvrage dangereux, la cour d'appel s'est déterminée en se référant à des considérations théoriques qui avaient été contredites par des tests effectués sur les barres et a ainsi violé l'article 1382 du Code civil;
et alors, d'autre part, que le contrat conclu entre la société Space et la société Manoir stipulait que la qualité et l'exécution des soudures devaient être conformes aux règles de l'art, mais ne précisait pas que ces soudures devaient être de classe 1;
que, dès lors, elle n'était pas tenue d'informer son cocontractant qu'elle utilisait des soudeurs qualifiés pour la classe 3;
qu'en lui reprochant de n'avoir pas communiqué cette information à la société Space, la cour d'appel a encore violé l'article 1382 du Code civil ;
Mais attendu qu'après avoir constaté que les examens radiographiques, macrographiques et métallographiques effectués par l'expert et l'institut de soudure conformément aux normes en vigueur, démontrent que les soudures des éléments de la charpente métallique étaient de classe 3 ou inclassables au regard des défauts constatés et présentaient un manque de fusion à la racine du joint, l'arrêt retient que ces vices rendent l'ouvrage dangereux tant pour une utilisation sous charge statique que sous efforts variables;
que, de ces constatations et appréciations, la cour d'appel, qui n'a pas dit qu'en s'abstenant d'informer la société Space de la qualification de ses soudures, la société Manoir avait commis une faute en relation directe avec le dommage subi, a pu déduire que les éléments litigieux n'étaient pas conformes à leur destination de charpente d'un ouvrage ouvert au public et présentaient des risques tels pour la sécurité des usagers que le maître de l'ouvrage ne pouvait que les rejeter;
d'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Manoir industrie aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette la demande de M. X..., ès qualités ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du neuf juin mil neuf cent quatre-vingt-dix-huit.