AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, DEUXIEME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par :
1°/ M. Attilio Y...,
2°/ Mme Nicole Y..., demeurant ensemble ..., en cassation d'un jugement rendu le 14 décembre 1995 par le tribunal d'instance de Villeurbanne, au profit de M. X..., Demeurant ..., défendeur à la cassation ;
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
LA COUR, composée selon l'article L. 131-6, alinéa 2, du Code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 18 mars 1998, où étaient présents : M. Zakine, président, M. Guerder, conseiller rapporteur, M. Chevreau, conseiller, M. Tatu, avocat général, Mme Guénée-Sourie, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. Guerder, conseiller, les observations de la SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez, avocat des époux Y..., les conclusions de M. Tatu, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Sur le premier moyen :
Attendu, selon le jugement attaqué rendu en dernier ressort (Tribunal d'instance de Villeurbanne, 14 décembre 1995) et les productions, que les époux Y... ont fait assigner devant le tribunal d'instance M. X..., syndic de la copropriété, en réparation du préjudice moral occasionné par les propos racistes que celui-ci aurait tenus, au cours d'une assemblée générale de copropriétaires, dans les termes suivants : "Ne me postillonne pas dessus, étranger, car tu as le sida - Dégage et retourne dans ton pays" ;
Attendu que les époux Y... font grief au jugement de les avoir déboutés de leur demande, faute d'avoir établi la réalité des propos imputés au syndic, alors, d'une part, qu' il résulte du procès-verbal d'huissier retranscrivant les deux cassettes enregistrées lors de l'assemblée générale du 14 novembre 1994 par Mme B... et M. C..., que ce dernier, qui a la qualité de témoin à l'exclusion de celle de partie à l'instance, était présent lors de cette retranscription et qu'il avait identifié, à deux reprises, la personne qui tenait les propos injurieux comme étant M. X...;
qu'en se fondant, pour décider que ce procès-verbal ne permettait pas de déterminer si les injures qui y étaient relevées émanaient de M. X..., sur l'observation que "l'huissier se contente d'indiquer que ce sont les requérants qui affirment que les propos sont tenus par M. X...", le Tribunal a violé l'article 1348 du Code civil;
alors, également, que dans son attestation, M. Claude Z... Mary qui, avant l'assemblée générale du 14 novembre 1994, ne connaissait ni M. Y... ni M. X..., se borne à indiquer qu'il n'aurait pu, seul, mettre un nom sur ce dernier;
qu'en retenant qu'il résultait de l'attestation de M. Z... Mary que celui-ci n'avait pas vu la personne dont émanait les injures, le Tribunal a dénaturé cette attestation, en violation des dispositions de l'article 4 du nouveau Code de procédure civile;
alors, de plus, qu'en déniant toute force probante à l'attestation de M. C..., comme étant "contredite par au moins six autres attestations de copropriétaires présents à l'assemblée générale qui précisent tous n'avoir entendu aucun propos raciste ou déplacé", sans identifier ces copropriétaires, le Tribunal a méconnu les exigences de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile;
alors, encore, que le fait que l'attestation de M. A... soit antérieure de plus de quatre mois à la date des faits litigieux ne peut, à lui seul, priver de force probante ce témoignage dont il résulte que M. X... tend à injurier toute personne dont la seule présence le contrarie;
que le fait que six des très nombreux copropriétaires ou mandataires de copropriétaires présents à l'assemblée générale n'aient entendu aucun propos raciste ou déplacé ne prouve pas que ces propos n'aient pas été tenus et ne contredit donc pas les attestations émanant de personnes qui affirment les avoir entendus;
qu'il importe également peu qu'un litige existe entre M. C... et le syndic, dont les intérêts ne sont pas ceux de M. X...;
qu'en écartant ainsi les attestations de MM. A... et C... par des motifs inopérants, le Tribunal a violé derechef l'article 1348 du Code civil;
alors, enfin, et en tout état de cause, qu'en procédant à une analyse séparée de chacun des divers éléments de preuve qui lui étaient soumis par M. et Mme Y... et en en appréciant séparément la force probante, sans rechercher si ces éléments ne constituaient pas autant d'indices concordants de la réalité des injures reprochés par ceux-ci à M. X..., le Tribunal a violé, à nouveau, l'article 1348 du Code civil ;
Mais attendu qu'ayant par une appréciation souveraine de la portée et de la valeur de l'ensemble des éléments de preuve qui lui étaient soumis retenu que la réalité des propos dénoncés par les époux Y... et leur imputabilité à M. X... n'étaient pas établies, le Tribunal en a exactement déduit que leurs demandes n'étaient pas fondées ;
D'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;
Mais sur le second moyen :
Vu l'article 1382 du Code civil ;
Attendu que pour accueillir la demande reconventionnelle de M. X... en dommages-intérêts pour procédure abusive, le jugement énonce que la procédure a manifestement causé à M. X... un préjudice moral qui sera réparé par l'octroi d'une somme de 2 000 francs à titre de dommages-intérêts ;
Qu'en se bornant à de tels motifs, sans préciser en quoi le comportement des époux Y... avait été fautif, le Tribunal n'a pas donné de base légale à sa décision ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a condamné les époux Y... à payer des dommages-intérêts pour procédure abusive à M. X..., le jugement rendu le 14 décembre 1995, entre les parties, par le tribunal d'instance de Villeurbanne;
remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit jugement et, pour être fait droit, les renvoie devant le tribunal d'instance de Lyon ;
Condamne M. X... aux dépens ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite du jugement partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-neuf avril mil neuf cent quatre-vingt-dix-huit.