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28/04/1998 | FRANCE | N°95-13626

France | France, Cour de cassation, Chambre commerciale, 28 avril 1998, 95-13626


AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le pourvoi formé par M. Pierre X..., demeurant ..., en cassation d'un arrêt rendu le 2 février 1995 par la cour d'appel de Caen (1e chambre), au profit :

1°/ de M. Jean-Pierre X..., demeurant ...,

2°/ de M. Y..., demeurant ..., pris en sa qualité de syndic à la liquidation des biens de la société anonyme Léon Plé et de la société anonyme d'exploitation des Chaussures Léon Plé, défendeurs à la cassation ;

Le demandeur i

nvoque, à l'appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt ;

LA ...

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le pourvoi formé par M. Pierre X..., demeurant ..., en cassation d'un arrêt rendu le 2 février 1995 par la cour d'appel de Caen (1e chambre), au profit :

1°/ de M. Jean-Pierre X..., demeurant ...,

2°/ de M. Y..., demeurant ..., pris en sa qualité de syndic à la liquidation des biens de la société anonyme Léon Plé et de la société anonyme d'exploitation des Chaussures Léon Plé, défendeurs à la cassation ;

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt ;

LA COUR, composée selon l'article L. 131-6, alinéa 2, du Code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 3 mars 1998, où étaient présents : M. Bézard, président, M. Tricot, conseiller rapporteur, Mme Pasturel, conseiller, M. Lafortune, avocat général, Mme Moratille, greffier de chambre ;

Sur le rapport de M. Tricot, conseiller, les observations de la SCP Boré et Xavier, avocat de M. Pierre X..., et de M. Jean-Pierre X..., de la SCP Guiguet, Bachellier et Potier de la Varde, avocat de M. Y..., ès qualités, les conclusions de M. Lafortune, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Attendu, selon l'arrêt déféré (Caen, 2 février 1995), qu'après la mise en liquidation des biens de la société anonyme d'exploitation des chaussures Léon Plé (la société d'exploitation), le 13 janvier 1984, et l'extension de cette procédure collective à la société anonyme Léon Plé (la société), le 26 octobre 1984, en raison de la confusion des patrimoines de ces deux sociétés, le syndic, M. Y..., a demandé que M. X..., administrateur puis président du conseil d'administration de la société d'exploitation soit condamné au paiement des dettes sociales en application de l'article 99 de la loi du 13 juillet 1967;

que le Tribunal ayant accueilli la demande et condamné M. X... à payer la somme de 8 000 000 francs, celui-ci a fait appel ;

Sur le troisième moyen, pris en sa première branche, qui est préalable :

Attendu que M. X... reproche à l'arrêt d'avoir confirmé le jugement sur le principe d'une condamnation prononcée en application de l'article 99 de la loi du 13 juillet 1967 alors, selon le pourvoi, que ce texte, en raison des conséquences sur la situation personnelle du dirigeant d'entreprise, présente le caractère d'une sanction, si bien qu'il ne peut plus être appliqué postérieurement à son abrogation, conformément au principe de la rétroactivité "in mitius";

qu'en appliquant cependant l'article 99 de la loi de 1967 postérieurement à l'abrogation de cette loi, la cour d'appel a violé les articles 7 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et 15, paragraphe 1er, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 19 décembre 1966 ;

Mais attendu qu'en vertu des articles 238 et 240 de la loi du 25 janvier 1985, l'article 99 de la loi du 13 juillet 1967 demeure applicable aux procédures ouvertes avant le 1er janvier 1986;

qu'ayant constaté que les procédures collectives des deux sociétés avaient été ouvertes avant cette date, la cour d'appel a décidé à bon droit que l'article 99 précité demeurait applicable en l'espèce;

d'où il suit que celui-ci n'est pas fondé ;

Sur le premier moyen, pris en ses trois branches :

Attendu que M. X... reproche à l'arrêt, qui l'a condamné à payer la somme de 4 000 000 francs, d'avoir accueilli la demande en paiement des dettes sociales alors, selon le pourvoi, d'une part, que l'ouverture d'une procédure de suspension des poursuites implique que la situation de l'entreprise n'est pas irrémédiablement compromise, et donc qu'elle n'est pas en état de cessation des paiements;

que le jugement d'ouverture d'une procédure de suspension provisoire des poursuites est revêtu de l'autorité de chose jugée quant à la situation de l'entreprise jugée viable;

que par jugement en date du 1er février 1983, le tribunal de commerce a décidé d'ouvrir une procédure de suspension des poursuites au bénéfice de la société d'exploitation, si bien que la date de cessation des paiements de cette société ne pouvait être fixée à une date antérieure à cette décision;

qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé les articles 480 du nouveau Code de procédure civile, 1er et 10 de l'ordonnance du 23 septembre 1967;

alors, d'autre part, que le plan de redressement établi dans le cadre de la procédure de suspension provisoire des poursuites a été homologué par un jugement émanant d'une juridiction ayant compétence exclusive pour se prononcer sur la situation des entreprises susceptibles de revêtir un intérêt pour l'économie nationale ou régionale ;

qu'il résulte nécessairement de ce jugement que la situation de l'entreprise n'était pas irrémédiablement compromise et que sa survie présentait un intérêt pour l'économie nationale et régionale;

qu'en déclarant que la situation de l'entreprise était en état de cessation des paiements et que sa situation était irrémédiablement compromise à une date antérieure à ce jugement, la cour d'appel a entaché son arrêt d'une violation par refus d'application des articles 2 et 24 de l'ordonnance du 23 septembre 1967 et 480 du nouveau Code de procédure civile;

et alors, enfin, que dans ses conclusions d'appel, M. X... faisait valoir que la résolution du plan élaboré dans le cadre de la procédure de suspension provisoire des poursuites résultait du refus de concours bancaires, donc d'une cause postérieure au jugement ouvrant cette procédure, ce qui excluait que la date de cessation des paiements fût fixée avant ce dernier;

qu'en ne répondant pas à ce moyen pertinent, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu que les dispositions des articles 10, 21 et 31 de l'ordonnance du 23 septembre 1967, qui autorisent les juges du fond à mettre fin à tout moment, après examen de la situation financière du débiteur, à la suspension provisoire des poursuites et à prononcer son règlement judiciaire ou sa liquidation des biens en tenant compte, pour la fixation de la date de la cessation des paiements, de la durée de la suspension provisoire des poursuites, ont pour objet de permettre de tirer les conséquences du comportement du dirigeant d'une entreprise qui, tandis que cette entreprise se trouvait, en fait, dans l'impossibilité de faire face au passif exigible avec son actif disponible, n'a pas, dans les quinze jours, déclaré l'état de cessation des paiements ;

que dès lors, en décidant que la date de la cessation des paiements de la société d'exploitation pouvait être modifiée et fixée à une date antérieure au jugement qui a ordonné la suspension provisoire des poursuites, la cour d'appel, qui a fait application des textes susvisés et qui n'avait pas à répondre aux conclusions inopérantes dont fait état la troisième branche, a légalement justifié sa décision;

d'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Sur le deuxième moyen :

Attendu que M. X... reproche encore à l'arrêt d'avoir statué comme il a fait alors, selon le pourvoi, que le Tribunal qui ordonne la suspension des poursuites a le pouvoir de décider des conditions d'apurement du passif et même de la réorganisation de l'entreprise dont il peut, d'office, remplacer les dirigeants jugés inaptes;

qu'il est constant que tant le jugement qui a ordonné la suspension des poursuites que le jugement qui a ordonné l'homologation du plan ont reconduit M. X... dans ses fonctions en considérant par là-même qu'il avait fait preuve de ce qu'il avait apporté à la gestion des affaires sociales toute l'activité et les diligences nécessaires;

qu'en déclarant le contraire et en mettant à la charge de M. X... l'obligation de payer les dettes sociales, la cour d'appel a entaché son arrêt d'une double violation de l'autorité qui s'attachait à ses jugements, autorité qui s'imposait "erga omnes";

d'où il suit que la cour d'appel a violé par refus d'application l'article 99 de la loi du 13 juillet 1967 et 480 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu que si le Tribunal peut, en vertu de l'article 32 de l'ordonnance du 23 septembre 1967, lorsqu'il estime que les difficultés financières de l'entreprise sont principalement imputables à la gestion du dirigeant, prescrire son remplacement dans un délai qu'il fixe, à peine de caducité du plan, il n'en résulte pas que le jugement qui ordonne la suspension provisoire des poursuites, ou celui qui admet le plan proposé, sans faire usage de cette faculté, puisse être invoqué pour apporter la preuve que le dirigeant a apporté à la gestion des affaires sociales toute l'activité et la diligence nécessaires ;

Et sur le troisième moyen, pris ses deuxième, troisième, quatrième, cinquième et sixième branches :

Attendu que M. X... reproche enfin à l'arrêt d'avoir statué comme il a fait alors, selon le pourvoi, d'une part, que le comportement du dirigeant d'entreprise doit, pour justifier une action en paiement des dettes sociales, présenter un lien de causalité avec les pertes enregistrées par la société;

qu'à l'appui de sa décision, la cour d'appel a fait état de déclarations erronées faites au tribunal de commerce en janvier 1983 tendant à démontrer que la société d'exploitation n'était pas en état de cessation des paiements et a retenu que dès 1982, l'entreprise était dans une situation irrémédiablement compromise;

que ces déclarations ne présentent donc aucun lien de causalité avec l'état de cessation des paiements de la société qui lui est antérieur;

qu'en se fondant cependant sur elles pour condamner M. X..., la cour d'appel a violé l'article 99 de la loi du 13 juillet 1967;

alors, d'autre part, que la présomption de faute instituée par l'article 99 de la loi du 13 juillet 1967 n'est compatible avec les exigences du droit à un procès équitable que si le dirigeant peut rapporter la preuve contraire;

que la cour d'appel s'est fondée sur le fait que le dirigeant avait obtenu une mesure de suspension provisoire des poursuites qui fut "convertie" en règlement judiciaire, considérant ainsi que toute suspension provisoire des poursuites non suivie d'effet entraînait une présomption irréfragable de faute;

qu'en retirant ainsi au dirigeant le droit de prouver son absence de faute, la cour d'appel a violé les articles 6, paragraphe 1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et 99 de la loi du 13 juillet 1967;

alors, en outre, que les provisions ne doivent pas être prises en compte pour déterminer l'état de cessation des paiements, qu'en retenant cependant que la perte constatée devait être portée à 700 000 francs en raison de provisions pour créances douteuses, la cour d'appel a violé l'article 99 de la loi du 13 juillet 1967;

alors, encore, que M. X..., dans ses conclusions d'appel, avait fait valoir qu'il s'était heurté au refus persistant de l'autre actionnaire de procéder à une reconstitution du capital par incorporation des créances de la société ou de fusionner les deux sociétés;

qu'en lui reprochant cependant de ne pas avoir mis en oeuvre les mesures de restructuration financière indispensables sans répondre à ce moyen, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile;

et alors, enfin, que dans ses conclusions d'appel, M. X... avait soutenu que le comportement des banques, qui était à l'origine de difficultés financières, et des autorités publiques, qui s'opposaient à toute mesure conduisant à des suppressions d'emploi, constituait une circonstance exonératoire de sa responsabilité;

qu'en ne recherchant pas si ces circonstances de fait n'avaient pas rendu impossible la réalisation de résultats bénéficiaires, la cour d'appel a violé l'article 99 de la loi du 13 juillet 1967 ;

Mais attendu que la cour d'appel a relevé que pour bénéficier de la procédure de suspension provisoire des poursuites, M. X... avait procédé à des déclarations partielles ou erronées sur la situation de l'entreprise;

que l'arrêt retient encore, par motifs tant propres qu'adoptés, que l'exercice clos le 30 avril 1982 avait déjà fait apparaître une perte d'exploitation de 2 489 299 francs, que l'importance des retours de marchandises par les clients manifestait une mauvaise qualité de la production, que le plan proposé par le dirigeant au titre de la suspension provisoire des poursuites n'avait pas été exécuté, et que les mesures de restructuration financière imposées par la perte des capitaux propres de la société d'exploitation n'avaient pas été mises en oeuvre;

qu'en l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel, qui ne s'est fondée ni sur la cessation des paiements de la société, ni sur une présomption irréfragable de faute à la suite de l'échec du plan, et qui a répondu, en les écartant, aux conclusions dont font état les deux dernières branches dès lors qu'elle a retenu que les conditions économiques et sociales des années 1980 justifiaient l'atténuation, mais non l'exonération de responsabilité du dirigeant, n'a fait qu'user des pouvoirs qu'elle tient de l'article 99 de la loi du 13 juillet 1967 en décidant que M. X... ne faisait pas la preuve, qui lui incombait, qu'il avait apporté à la gestion des affaires sociales toute l'activité et la diligence nécessaires;

d'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne M. Pierre X... aux dépens ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-huit avril mil neuf cent quatre-vingt-dix-huit.


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