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24/03/1998 | FRANCE | N°96-14845

France | France, Cour de cassation, Chambre commerciale, 24 mars 1998, 96-14845


AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le pourvoi formé par la société Sade, Compagnie générale de travaux hydrauliques, société anonyme dont le siège social est ..., en cassation d'un arrêt rendu le 2 avril 1996 par la cour d'appel de Paris (1re Chambre, Section concurrence), au profit de M. le ministre de l'Economie, des Finances et du Budget, domicilié ..., défendeur à la cassation ;

En présence :

1°/ de la société Sotram, société à responsabilité limitée d

ont le siège social est ...,

2°/ de la société Dehé Cogifer TP, société anonyme dont le sièg...

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le pourvoi formé par la société Sade, Compagnie générale de travaux hydrauliques, société anonyme dont le siège social est ..., en cassation d'un arrêt rendu le 2 avril 1996 par la cour d'appel de Paris (1re Chambre, Section concurrence), au profit de M. le ministre de l'Economie, des Finances et du Budget, domicilié ..., défendeur à la cassation ;

En présence :

1°/ de la société Sotram, société à responsabilité limitée dont le siège social est ...,

2°/ de la société Dehé Cogifer TP, société anonyme dont le siège social est ..., représentée par M. Gérard Testart, président du conseil d'administration,

3°/ de la société Gardiol, société anonyme dont le siège est ... ;

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;

LA COUR, composée selon l'article L. 131-6, alinéa 2, du Code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 10 février 1998, où étaient présents : M. Bézard, président, M. Léonnet, conseiller rapporteur, M. Vigneron, conseiller, M. Jobard, avocat général, Mme Moratille, greffier de chambre ;

Sur le rapport de M. Léonnet, conseiller, les observations de la SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez, avocat de la société Sade, de Me Ricard, avocat du ministre de l'Economie, des Finances et du Budget, les conclusions de M. Jobard, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Attendu qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué (Paris 2 avril 1996) que le Conseil de la concurrence a été saisi, en 1991, par le ministre de l'Economie, de pratiques discriminatoires relevées lors de marchés d'aménagements hydrauliques dans les régions Provence-Alpes-Côte d'Azur et Languedoc-Roussillon;

qu'un de ces marchés concernait la construction d'un réservoir à Millière-Haut à l'occasion duquel des pratiques prohibées par l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 auraient été constatées mettant en cause les sociétés Pro-Gec, Gardiol, Dehé et Sade;

que le Conseil de la concurrence, par décision n° 95-D-23 du 14 mars 1995, a prononcé diverses sanctions pécuniaires à l'encontre de ces sociétés;

que celles-ci ont formé un recours devant la cour d'appel de Paris, la société Pro-Gec s'étant désistée en cours d'instance;

que la cour d'appel a réformé la décision en ce qui concerne le montant des sanctions infligées aux trois sociétés restées dans la cause ;

Sur le premier moyen, pris en ses six branches :

Attendu que la société Sade fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté son recours, alors, d'une part, selon le pourvoi, que le président-directeur général de la société Pro-Gec a déclaré : "J'ai été très déçu de ne pas obtenir le marché avec des problèmes spéciaux et qui correspondent à la vocation de mon entreprise. J'ai voulu connaître les prix des concurrents, ce qui explique la présence du tableau des prix détaillés pour les concurrents sur ce marché, à l'exception de ceux de Chantiers modernes. J'ai obtenu ces prix de différentes sources", si bien qu'en retenant que le dirigeant de la société Pro-Gec avait précisé "qu'il avait bien pris contact avec ses concurrents avant l'ouverture des plis", l'arrêt attaqué a dénaturé cette déclaration, violant ainsi l'article 1134 du Code civil;

alors, d'autre part, que la société Sade faisait valoir que l'antériorité du tableau par rapport au dépôt des offres ne pouvait être déduite de la mention sur ce document des noms des entreprises excusées, dès lors que les colonnes affectées à ces entreprises n'étaient pas remplies, l'une d'elles comportant la mention "excusée", si bien qu'en ne s'expliquant pas sur ces conclusions, l'arrêt attaqué a méconnu les exigences de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile;

alors, de troisième part, que la société Sade avait fait valoir que la déclaration du président-directeur général de la société Pro-Gec ne précisait pas le moyen par lequel il avait obtenu certaines informations sur les prix de ses concurrents, qu'aucun élément, ni même aucun indice, ne laissait supposer qu'un représentant de la Sade avait volontairement des informations sur les prix de son entreprise, si bien qu'en ne s'expliquant pas sur ce moyen, l'arrêt attaqué a méconnu les exigences de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile;

alors, en outre, qu'en se déterminant ainsi, sans avoir relevé aucun fait de nature à caractériser la participation volontaire de l'entreprise Sade à un accord d'entreprises pouvant porter atteinte de façon sensible au jeu de la concurrence sur le marché, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986;

alors, encore, que la preuve de pratiques anticoncurrentielles entrant dans le champ d'application des articles 7 et 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, ayant pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence incombe à celui qui s'en prétend victime, ou aux autorités administratives dans le cadre des enquêtes qui sont diligentées en application de l'article 47 de l'ordonnance, si bien qu'en retenant que les parties ne justifiaient pas que l'échange d'information n'avait été fait que dans la perspective d'une éventuelle sous-traitance, la cour d'appel a renversé la charge de la preuve, violant ainsi l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986;

et alors, enfin, qu'en se déterminant par le motif d'ordre général selon lequel "le fait de soumissionner à un appel d'offres sans mentionner le recours à un sous-traitant implique que l'entreprise réalise elle-même les travaux et que, dans le cas contraire, elle trompe le maître de l'ouvrage sur la réalité et l'étendue de la concurrence", sans relever aucun fait de nature à caractériser qu'en l'espèce, les entreprises avaient dissimulé au maître de l'ouvrage le recours à un sous-traitant et que cette dissimulation avait eu un objet ou un effet anticoncurrentiel, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Mais attendu, en premier lieu, que la cour d'appel, appréciant souverainement le caractère probant du document qui lui avait été communiqué par la société Pro-Gec, a relevé que l'antériorité des informations intervenues entre les concurrents était attestée par le fait que figuraient sur ce document les noms des sociétés qui avaient finalement soumissionné et a précisé que ce document ne pouvait "avoir été établi par la société Pro-Gec après que les résultats du marché ont été connus, dès lors que les indications qu'il fournit sur les soumissions des sociétés Dehé, Sade et surtout Pro-gec qui a établi ce document, ne correspondent pas exactement au contenu des offres définitives de ces sociétés";

qu'en estimant que ces constatations étaient corroborées par les déclarations recueillies lors de l'enquête auprès d'un dirigeant de la société Pro-Gec qui avait reconnu avoir "obtenu ces prix de différentes sources", en précisant qu'il voulait "connaître les prix des concurrents" et que cet "échange d'informations" avait été fait "dans la perspective d'une éventuelle sous-traitance", c'est hors toute dénaturation et en répondant ainsi aux conclusions prétendument éludées que la cour d'appel, sans encourir les griefs des trois premières branches du moyen, a estimé que cet "échange d'informations" était constitutif d'une pratique prohibée au sens de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Attendu, en deuxième lieu, que la société Sade n'ayant pas, à l'appui de son recours, prétendu que les pratiques discriminatoires dénoncées ne portaient pas atteinte de façon sensible au jeu de la concurrence sur le marché, la cour d'appel n'avait pas à effectuer une recherche qui ne lui était pas demandée ;

Attendu, enfin, que la société Sade ayant soutenu dans son recours devant la cour d'appel que l'échange d'informations sur les prix entre des entreprises était licite, dès lors que celles-ci envisageaient une sous-traitance ou la création d'une société en participation, il lui appartenait, en sa qualité de demanderesse au recours, d'établir la preuve que cette sous-traitance avait été envisagée par les parties;

que c'est dès lors à bon droit que la cour d'appel a énoncé, sans encourir les griefs des deux dernières branches du moyen, que "le fait de soumissionner à un appel d'offres sans mentionner le recours à un sous-traitant implique que l'entreprise réalise elle-même les travaux et que, dans le cas contraire, elle trompe le maître de l'ouvrage sur la réalité et l'étendue de la concurrence" ;

Que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Et sur le second moyen de cassation :

Attendu que la société Sade fait grief à l'arrêt d'avoir prononcé à son encontre une sanction pécuniaire de 6 500 000 francs, alors, selon le pourvoi, que, selon l'article 13, alinéa 3, de l'ordonnance du 1er décembre 1986, les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie et à la situation de l'entreprise sanctionnée;

qu'en se déterminant par des motifs d'ordre général sans apprécier concrètement la proportionnalité entre la peine prononcée et la gravité des faits relevés ainsi que le dommage causé à l'économie, la cour d'appel, qui a porté le montant de la sanction à la somme de 3 millions de francs fixée par le Conseil de la concurrence à 6,5 millions de francs, n'a pas légalement justifié sa décision au regard du texte précité ;

Mais attendu que la cour d'appel, après avoir rappelé que l'échange d'informations entre les parties est constitutif d'action concertée lorsqu'il peut avoir pour effet de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence, a énoncé à bon droit que la tromperie de l'acheteur public érigé en système perturbe le secteur où elle est pratiquée et porte une atteinte grave à l'ordre public économique;

qu'elle a également apprécié la gravité des faits en relevant que le marché à l'occasion duquel la société Sade a participé à une entente est d'un montant de 3,3 millions de francs ;

qu'elle a enfin fixé souverainement le montant de la sanction pécuniaire en constatant que "même si l'entente reprochée à la Sade ne concerne qu'un marché, le poids économique de cette société qui appartient au groupe important de la Compagnie générale des eaux est de nature à créer un entraînement de sociétés de moindre poids économique à participer à ce type de pratique causant un dommage incontestable à l'ordre public économique";

qu'en l'état de ces énonciations et constatations, la cour d'appel n'encourt pas les griefs du moyen;

que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Sade aux dépens ;

Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette la demande du ministre de l'Economie, des Finances et du Budget ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-quatre mars mil neuf cent quatre-vingt-dix-huit.


Synthèse
Formation : Chambre commerciale
Numéro d'arrêt : 96-14845
Date de la décision : 24/03/1998
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Commerciale

Analyses

REGLEMENTATION ECONOMIQUE - Concurrence - Ordonnance du 1er décembre 1986 - Pratiques discriminatoires - Action concertée faussant le jeu de la concurrence - Marché public - Echange d'informations - Occultation d'une sous-traitance.


Références :

Ordonnance 86-1243 du 01 décembre 1986 art. 7, 8 et 13

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris (1re Chambre, Section concurrence), 02 avril 1996


Publications
Proposition de citation : Cass. Com., 24 mar. 1998, pourvoi n°96-14845


Composition du Tribunal
Président : Président : M. BEZARD

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:1998:96.14845
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