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10/03/1998 | FRANCE | N°95-11712

France | France, Cour de cassation, Chambre commerciale, 10 mars 1998, 95-11712


AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le pourvoi formé par la Société bordelaise de CIC, dont le siège est ..., en cassation d'un arrêt rendu le 9 novembre 1994 par la cour d'appel de Bourges (1re chambre), au profit :

1°/ M. Philippe Y..., ès qualités de syndic du règlement judiciaire de la société Sotrac, demeurant ...,

2°/ de la société Sotrac, dont le siège est ..., défendeurs à la cassation ;

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les tro

is moyens de cassation annexés au présent arrêt ;

LA COUR, composée selon l'article L. 131-6, a...

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le pourvoi formé par la Société bordelaise de CIC, dont le siège est ..., en cassation d'un arrêt rendu le 9 novembre 1994 par la cour d'appel de Bourges (1re chambre), au profit :

1°/ M. Philippe Y..., ès qualités de syndic du règlement judiciaire de la société Sotrac, demeurant ...,

2°/ de la société Sotrac, dont le siège est ..., défendeurs à la cassation ;

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt ;

LA COUR, composée selon l'article L. 131-6, alinéa 2, du Code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 27 janvier 1998, où étaient présents : M. Bézard, président, M. Dumas, conseiller rapporteur, M. Nicot, conseiller, M. Lafortune, avocat général, Mme Arnoux, greffier de chambre ;

Sur le rapport de M. Dumas, conseiller, les observations de Me Parmentier, avocat de la Société bordelaise de CIC, de la SCP Guiguet, Bachellier et Potier de la Varde, avocat de M. Y... et de la société Sotrac, les conclusions de M. Lafortune, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Attendu, selon l'arrêt critiqué, rendu sur renvoi après cassation (Bourges, 9 novembre 1994), que la banque Z..., aux droits de laquelle se trouve la Société bordelaise de crédit industriel et commercial (la banque), a consenti des crédits à la société Sotrac;

que, le 18 octobre 1983, cette dernière société a été mise en règlement judiciaire ;

que M. Y..., syndic, estimant que des crédits avaient été excessifs et irréguliers, a assigné la banque en paiement de dommages-intérêts au profit de la masse des créanciers ;

Sur le premier moyen, pris en ses deux premières branches :

Attendu que la banque fait grief à l'arrêt d'avoir retenu sa responsabilité, en la condamnant à verser à la société Sotrac et à son syndic, ès-qualités, la somme de 8 millions de francs, outre les intérêts légaux à compter du 3 octobre 1989, alors, selon le pourvoi, d'une part, que la contradiction de motifs équivaut à un défaut de motifs : que la cour d'appel, après avoir relevé "que la Sotrac avait une bonne cotation auprès de la Banque de France et continuait d'avoir le concours du CEPME, a affirmé que la banque Z... "était la seule bailleresse de fonds" de la société Sotrac;

qu'ainsi la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile;

et alors, d'autre part, que les décisions de la justice pénale ont au civil l'autorité de la chose jugée à l'égard de tous en ce qui concerne l'existence du fait incriminé, sa qualification, la culpabilité ou l'innocence de ceux auxquels le fait est imputé;

que par un jugement définitif du 3 juin 1988, le tribunal correctionnel de Cusset a relaxé M. Z... au motif qu'il n'était pas établi que ce dernier avait connaissance des agissements frauduleux de M. X...;

qu'en affirmant que M. Z... ne pouvait ignorer, de par ses fonctions, les manoeuvres de M. X..., la cour d'appel a violé le principe de l'autorité de la chose jugée attachée aux décisions définitives de la juridiction pénale ;

Mais attendu, d'une part, qu'en relevant qu'entre l'exercice 1981/1982 et l'exercice 1982/1983, la banque Z... était la seule bailleresse de fonds de la société Sotrac, après avoir constaté que M. Z..., de par ses fonctions et son amitié ancienne avec M. X..., alors dirigeant de cette société, était le seul interlocuteur de celle-ci, la cour d'appel, qui n'a pas retenu un concours abusif de la part du CEPME, n'a pas envisagé l'hypothèse d'un éventuel partage de responsabilité entre deux établissements de crédit, au demeurant non revendiqué, mais a fait apparaître que la banque Z... ne pouvait prétendre ignorer la situation financière obérée de la société Sotrac, ce qui rend inopérant le grief de contradiction de motifs invoqué dans la première branche du moyen ;

Attendu, d'autre part, qu'il ne résulte ni de l'arrêt, ni de ses conclusions, que la banque ait invoqué devant les juges du fond l'autorité de la décision de relaxe de M. Z...;

que la fin de non recevoir tirée de la chose jugée, fût-ce au pénal, n'est pas d'ordre public, lorsque sont seuls en cause, comme en l'espèce, les intérêts des parties;

qu'elle ne peut donc être proposée pour la première fois devant la Cour de Cassation ;

D'où il suit que le moyen ne peut être accueilli en ses deux premières branches ;

Sur le premier moyen, pris en sa troisième branche, et sur le deuxième moyen, pris en ses deux branches, et réunis :

Attendu que la banque reproche encore à l'arrêt d'avoir statué comme il a fait, alors selon le pourvoi, d'une part, que le préjudice causé à la masse des créanciers par le soutien financier abusif qui lui est imputé ne pouvait être constitué que par l'aggravation du passif de la société Sotrac en raison de la prolongation artificielle de l'activité de l'entreprise;

que la cour d'appel qui, tout en reconnaissant que l'attitude qu'elle lui impute n'était pas seule à avoir causé le passif de la société Sotrac, l'a condamnée à supporter en partie le passif de la société réalisé au jour du règlement judiciaire, sans rechercher avec précision quel était le montant de l'aggravation du passif du à la prolongation de l'activité de la société Sotrac qui lui soit imputable, n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 1382 du Code civil;

alors, d'autre part, que pour procéder à la réparation du préjudice directement causé par la faute qu'elle lui a imputé, il appartenait à la cour d'appel de rechercher à partir de quel moment elle avait eu connaissance ou aurait du avoir connaissance de la situation irrémédiablement compromise de la société Sotrac;

que faute d'avoir procédé à cette recherche, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 1382 du Code civil;

et alors, au surplus, que la responsabilité d'une banque ne peut être engagée que si par l'octroi de crédits, elle a artificiellement prolongé l'activité d'une entreprise dont elle connaissait la situation irrémédiablement compromise et non la simple cessation des paiements, notion qui correspond à l'impossibilité pour le débiteur de faire face au passif exigible avec l'actif disponible sans que la situation de ce débiteur soit irrémédiablement compromise;

qu'en se contentant de relever, sans aucune précision, une "situation intenable" en 1981-82 et la cessation des paiements le 31 mars 1982, la cour d'appel qui n'a pas recherché à quelle date précise elle avait ou aurait pu avoir connaissance de la situation irrémédiablement compromise de la société Sotrac, n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 1382 du Code civil ;

Mais attendu, en premier lieu, qu'en retenant que la banque ne pouvait ignorer qu'entre l'exercice 1981/1982 et l'exercice 1982/1983 le découvert bancaire s'était accru de près de 80 % et que représentant déjà en 1981/1982, 35 jours de chiffre d'affaires, il était passé à 68, soit près d'un mois et demi d'activité de production l'exercice suivant, que les intérêts sur découvert bancaire avaient atteint le taux de 16 % des recettes, contre 9 % l'exercice suivant et que, de l'avis des experts, le seul énoncé de ces chiffres, qui ne pouvaient être méconnus de la banque, impliquait une situation intenable dès 1981/1982 et totalement perdue ensuite, la cour d'appel a effectué les recherches prétendument omises selon la troisième branche du premier moyen et la seconde branche du deuxième moyen ;

Attendu, en second lieu, qu'en arrêtant à la somme de 8 millions de francs le montant des dommages-intérêts dus par la banque, la cour d'appel a déterminé le montant de l'aggravation du passif du à la prolongation de l'activité de la société Sotrac imputable à la banque, effectuant ainsi la recherche prétendument omise selon la première branche du deuxième moyen ;

D'où il suit que le premier moyen, pris en sa troisième branche, et le deuxième moyen, ne sont pas fondés ;

Et sur le troisième moyen, pris en ses trois branches :

Attendu que la banque fait enfin grief à l'arrêt de l'avoir condamnée à verser à la société Sotrac et à son syndic, ès-qualités, la somme de 8 millions de francs, outre les intérêts légaux à compter du 3 octobre 1989, alors, selon le pourvoi, d'une part, que si la réparation doit être intégrale, elle ne saurait excéder le montant du préjudice subi par la masse des créanciers, constitué par l'accroissement de l'insuffisance d'actif entre la date à laquelle le soutien serait devenu abusif par la connaissance que la banque pouvait avoir de la situation irrémédiablement compromise et la date du jugement prononçant le règlement judiciaire;

que pour le calcul de l'accroissement de l'insuffisance d'actif, seule la comparaison entre la situation comptable à la date où le banquier aurait eu un comportement fautif et celle à la date du jugement d'ouverture peut être prise en compte;

que pour déterminer le préjudice subi par la masse des créanciers de la société Sotrac, la cour d'appel s'est bornée à tenir compte de l'actif réalisé, forcément à la baisse, et non de l'actif comptable au jour du jugement d'ouverture, violant ainsi l'article 1382 du Code civil;

alors, d'autre part, que si la réparation doit être intégrale, elle ne saurait excéder le montant du préjudice subi par la masse des créanciers en raison de la faute commise par la banque;

qu'en incluant dans le préjudice un certain nombre de dettes inhérentes à la procédure collective, telles que les pénalités sur les marchés non exécutés, les clauses pénales exigibles dans tous les contrats, les honoraires du syndic, la cour d'appel a procédé à la réparation d'un dommage excédant le préjudice subi, en violation de l'article 1382 du Code civil;

alors, enfin, que, si la réparation doit être intégrale, elle ne saurait excéder le montant du préjudice subi par la masse des créanciers en raison de la faute commise par la banque;

que pour la détermination du montant du préjudice subi par la masse des créanciers du fait du maintien des crédits à la société Sotrac par elle, la cour d'appel n'a pas recherché si, grâce à la poursuite de l'activité, les nouveaux crédits n'avaient pas permis de solder des dettes de la société Sotrac;

qu'en ne procédant pas à cette recherche, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 1382 du Code civil ;

Mais attendu, d'une part, que l'arrêt constate que la cour d'appel ne saurait méconnaître que l'attitude de la banque n'est pas seule à avoir causé le passif;

qu'ayant ainsi retenu que le jugement de mise en règlement judiciaire de la société Sotrac n'était pas la conséquence du soutien abusif de la banque, la cour d'appel a légalement justifié sa décision en prenant en considération la perte effectivement subie par les créanciers, en relation avec la faute de la banque, notamment en s'attachant à la valeur des actifs réalisés plutôt qu'à leur valeur comptable au jour du jugement ;

Attendu, d'autre part, qu'il ne résulte pas de l'arrêt que la cour d'appel a inclus dans la part du préjudice imputable à la banque les pénalités sur les marchés non exécutés, les clauses exigibles dans tous les contrats et les honoraires du syndic ;

Attendu, enfin, qu'en relevant que les moyens anormaux de crédit dont M. Z... usait donnaient forcément à l'extérieur une image plus sereine de la société Sotrac en limitant les impayés, mais ne pouvaient l'illusionner sur la situation réelle de l'entreprise, un examen attentif des bilans permettant de déceler des anomalies suspectes, faisant ainsi apparaître que les crédits avaient pour objet, non pas de solder les dettes de la société Sotrac, mais de masquer l'endettement de celle-ci en lui évitant de payer ce qu'elle devait, la cour d'appel a répondu en les écartant, aux conclusions prétendument omises selon la troisième branche ;

D'où il suit que le moyen ne peut être accueilli en aucune de ses branches ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la Société bordelaise de crédit industriel et commercial aux dépens ;

Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette la demande de M. Y..., ès qualités de syndic du règlement judiciaire de la société Sotrac ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du dix mars mil neuf cent quatre-vingt-dix-huit.


Synthèse
Formation : Chambre commerciale
Numéro d'arrêt : 95-11712
Date de la décision : 10/03/1998
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Commerciale

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Bourges (1re chambre), 09 novembre 1994


Publications
Proposition de citation : Cass. Com., 10 mar. 1998, pourvoi n°95-11712


Composition du Tribunal
Président : Président : M. BEZARD

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:1998:95.11712
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