AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par la société Sonisol, société à responsabilité limitée, dont le siège social est ..., Centre de gros, 44083 Nantes Cedex, en cassation d'un arrêt rendu le 8 décembre 1994 par la cour d'appel de Rennes (4ème chambre), au profit :
1°/ de la société Boiro Nobel, société anonyme, dont le siège social est ...,
2°/ de la société Wyns Bristol, société anonyme de droit belge, dont le siège social est 23, Houtemsesteenweg 1800 Vilvoorde (Belgique),
3°/ de la société Asurances Générales 1824, société anonyme, anciennement dénommée Assurances Générales 1830, dont le siège social est ... Belgique, défenderesses à la cassation ;
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;
LA COUR, composée selon l'article L. 131-6, alinéa 2, du Code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 13 janvier 1998, où étaient présents : M. Bézard, président, M. Dumas, conseiller rapporteur, M. Vigneron, conseiller, M. Raynaud, avocat général, Mme Arnoux, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. Dumas, conseiller, les observations de la SCP Defrenois et Lévis, avocat de la société Sonisol, de la SCP Ancel et Couturier-Heller, avocat de la société Boiro Nobel, de la SCP Peignot et Garreau, avocat de la société Wyns Bristol, les conclusions de M. Raynaud, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Sur le moyen unique, pris en ses trois branches :
Attendu, selon l'arrêt critiqué (Rennes, 8 décembre 1994), que la société Sonisol, spécialisée dans l'application de revêtements de façade, a utilisé, en 1983 et 1984, des produits achetés à la société Boiraud, devenue société Boiro Nobel et fabriqués par la société Wyns Bristol;
qu'en 1985, elle a fait état auprès de son fournisseur et du fabricant de ce que certaines façades d'immeubles traitées en 1984 présentaient des coulures et traînées noirâtres;
que, sur l'action d'un syndicat de copropriétaires dirigée contre la société Sonisol, le juge des référés du tribunal de grande instance a commis un expert;
que saisi d'une action en paiement d'une provision par la société Boiraud, le juge des référés du tribunal de commerce a désigné le même expert en lui confiant la mission de visiter d'autres immeubles sur lesquels était intervenue la société Sonisol, de vérifier la réalité des désordres allégués par celle-ci et d'en rechercher les causes, l'expertise étant rendue commune à la société Wyns-Bristol ;
Attendu que la société Sonisol reproche à l'arrêt d'avoir réformé le jugement entrepris en ce qu'il avait déclaré les sociétés Boiraud, désormais dénommée Boiro-Nobel et Wyns-Bristol responsables des désordres litigieux, de l'avoir déclarée irrecevable pour défaut d'intérêt à réclamer la somme de 3 460 208,37 francs en réparation du préjudice qu'elle alléguait, de l'avoir déboutée de cette demande, et d'avoir rejeté sa demande au titre du préjudice commercial, alors, selon le pourvoi, d'une part, qu'elle faisait valoir, pièces justificatives à l'appui, que, saisie de réclamations des maîtres d'ouvrages, elle avait procédé à la réparation des désordres sur certains immeubles, à ses frais avancés puisque la société Boiraud ne lui avait fourni gratuitement du produit de réparation "Dermofilm PSC" que pendant un temps limité, interrompant toute livraison en novembre 1986;
qu'en ne recherchant pas si le fait d'avoir supporté des frais pour réparer des dommages causés par un produit atteint d'un vice et d'un défaut de conformité, que lui avait vendu la société Boiraud, ne lui donnait pas intérêt à agir contre cette dernière, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 31 du nouveau Code de procédure civile, 1147, 1604 et 1641 du Code civil;
alors, d'autre part, qu'elle faisait valoir qu'elle subirait de façon certaine un préjudice consistant en la perte de l'essentiel de sa clientèle si elle ne réparait pas les désordres subsistant sur les autres immeubles, quand bien même les maîtres d'ouvrages ne l'assigneraient pas à cette fin, dans la mesure où des administrateurs de biens, syndics de copropriété, organismes d'HLM et administrations lui avaient écrit, par des lettres versées aux débats, qu'ils cesseraient de travailler avec elle tant qu'elle ne réparerait pas ces désordres;
que ces désordres avaient pour cause le vice et le défaut de conformité du produit vendu par la société Boiraud;
qu'en ne recherchant pas si elle avait ainsi un intérêt à agir contre la société Boiraud pour obtenir paiement des sommes nécessaires à l'exécution des travaux de réparation, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 31 du nouveau Code de procédure civile, 1147, 1604 et 1641 du Code civil ;
alors, enfin, que l'atteinte à la réputation d'une société constitue un préjudice réparable, distinct de la perte de clientèle;
que les juges ne peuvent refuser de chiffrer le montant d'un préjudice dont ils constatent l'existence;
qu'elle réclamait notamment, au titre du préjudice commercial, la réparation du préjudice consistant en la "dégradation de son image de marque", c'est-à-dire une atteinte à sa réputation;
que la cour d'appel a constaté qu'elle avait subi un tel préjudice;
qu'en refusant néanmoins de le réparer, au motif inopérant qu'il n'était pas établi que ce préjudice en ait entraîné un autre, à savoir une perte de clientèle, la cour d'appel a violé l'article 1147 du Code civil ;
Mais attendu, d'une part, que la cour d'appel, devant laquelle la société Sonisol ne se prévalait que de la reprise de travaux sur deux ensembles immobiliers, tout en indiquant d'ailleurs que leur coût avait été pris en charge par le fournisseur du produit litigieux, a retenu que, selon les réponses que cette société a données dans certains cas, il apparaît qu'elle s'est gardée d'une quelconque reconnaissance de responsabilité à sa charge et de tout engagement à réparation, mais s'est retranchée derrière la responsabilité de la société Boiraud, effectuant par là même la recherche prétendument omise selon la première branche ;
Attendu, d'autre part, que la cour d'appel a constaté, en décembre 1994, soit dix ans après les désordres et les réclamations des clients de la société Sonisol que celle-ci n'avait pas livré d'éléments objectifs tels que des attestations ou des documents comptables de nature à établir qu'elle avait effectivement subi une perte de clientèle, justifiant par là même l'absence de certitude du préjudice invoqué dans la deuxième branche ;
Attendu, enfin, que, pour rejeter la demande d'indemnisation du préjudice commercial dont se prévalait la société Sonisol, la cour d'appel ne s'est pas fondée seulement sur l'absence de justification de perte de clientèle qu'aurait pu entraîner l'atteinte portée à la réputation de cette société, mais a relevé, en outre, comme l'expert et le premier juge, que celle-ci n'apportait aucun élément de nature à lui permettre d'évaluer le préjudice ainsi invoqué ;
D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Sonisol aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, la condamne à payer 12 000 francs à la société Wyns Bristol, et rejette sa demande ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-quatre février mil neuf cent quatre-vingt-dix-huit.