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17/02/1998 | FRANCE | N°95-15101

France | France, Cour de cassation, Chambre commerciale, 17 février 1998, 95-15101


AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le pourvoi formé par :

1°/ M. Jean-François Z..., demeurant ...

2°/ M. Jean-François A..., demeurant ..., en cassation d'un arrêt rendu le 4 mai 1995 par la cour d'appel de Versailles (13e chambre), au profit de M. Jacques Y..., représentant des créanciers des sociétés du Groupe Random, demeurant ..., défendeur à la cassation ;

Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les quatre moyens de cassation annexés au

présent arrêt ;

LA COUR, en l'audience publique du 6 janvier 1998, où étaient présents : M....

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le pourvoi formé par :

1°/ M. Jean-François Z..., demeurant ...

2°/ M. Jean-François A..., demeurant ..., en cassation d'un arrêt rendu le 4 mai 1995 par la cour d'appel de Versailles (13e chambre), au profit de M. Jacques Y..., représentant des créanciers des sociétés du Groupe Random, demeurant ..., défendeur à la cassation ;

Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les quatre moyens de cassation annexés au présent arrêt ;

LA COUR, en l'audience publique du 6 janvier 1998, où étaient présents : M. Bézard, président, M. Lassalle, conseiller rapporteur, Mme Pasturel, MM. Grimaldi, Apollis, Tricot, Badi, Mme Aubert, M. Armand-Prevost, Mme Vigneron, conseillers, M. Rémery, conseiller référendaire, M. Lafortune, avocat général, Mme Arnoux, greffier de chambre ;

Sur le rapport de M. Lassalle, conseiller, les observations de la SCP Vier et Barthélémy, avocat de M. Z... et de M. A..., de Me Le Prado, avocat de M. Y..., ès qualités, les conclusions de M. Lafortune, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Versailles, 4 mai 1995), que la société Random, créée en décembre 1981, admise au second marché de la bourse en novembre 1987, a procédé, fin 1989, à une augmentation de capital par l'émission d'actions nouvelles, assorties de bons de souscription d'actions remboursables;

que préalablement à cette émission, M. Z..., M. Jean-François A... et trois autres associés ont créé une société holding, la société EFL, dont le capital a été constitué pour 67 % par un apport de titres d'une autre société holding, la société IFR, qui détenait 16,60 % du capital de la société Random;

que la société IFR a acquis, les 1er décembre 1989 et 4 janvier 1990, la totalité des titres Random détenus par M. et Mme Z..., M. Jean-François A... et trois autres actionnaires principaux, soit 493 740 titres, pour le prix de 116 millions de francs se décomposant ainsi : 52 631 000 francs, en ce compris une provision de 14 131 000 francs pour l'Impôt sur les plus values, qui leur ont été versés directement;

63 400 000 francs qui ont été inscrits en compte courant non rémunéré dans les livres de la société;

que le financement de l'opération a été réalisé par deux augmentations de capital de la société IFR, les 6 novembre et 20 décembre 1989, entièrement souscrites par la société EFL pour un montant de 45 millions de francs, au moyen d'un prêt de la banque JP Morgan, à échéance de juin 1994, garanti par le nantissement de 99 % des titres IFR qu'elle détenait et par une avance de trésorerie de 90 millions de francs consentie à la société IFR, consolidée en mars 1990 par un prêt à long terme de même montant, accordé par un pool bancaire, garanti par le nantissement des titres Random détenus par cette dernière;

que la société Random a accusé une baisse significative de sa rentabilité dès septembre 1990;

que, pour l'exercice 1991, les pertes se sont élevées à 31,4 millions de francs et que, courant août 1992, les dirigeants ont effectué la déclaration de l'état de cessation des paiements de la société;

qu'une procédure unique de redressement judiciaire des sociétés du groupe Random, dont les sociétés holding, la société ELF et la société IFR, a été ouverte, en raison de la confusion de leurs patrimoines;

que, sur saisine d'office, le Tribunal a condamné MM. Flouquet et Jean-François A... au paiement de partie des dettes sociales, et a prononcé contre eux l'interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler directement ou indirectement toute entreprise commerciale, artisanale et toute personne morale pour une durée de 10 ans;

que, pour confirmer ces condamnations, la cour d'appel a retenu, d'un côté, que MM. Flouquet et Jean-François A... avaient fait du crédit de la société Random un usage contraire aux intérêts de celle-ci, à des fins personnelles et pour favoriser d'autres personnes morales dans lesquelles ils étaient intéressés, d'un autre côté, qu'ils avaient poursuivi abusivement dans un intérêt personnel, une exploitation déficitaire qui ne pouvait conduire qu'à la cessation des paiements de la société Random et que ces faits qui justifaient l'application de la mesure prévue à l'article 192 de la loi du 25 janvier 1985, constituaient également des fautes de gestion justifiant l'application de l'article 180 de la même loi ;

Sur le premier moyen pris en ses deux branches :

Attendu que MM. Flouquet et Jean-François A... font grief à l'arrêt, d'avoir déclaré mal fondée leur exception de nullité de la citation introductive d'instance, alors, selon le pourvoi, d'une part, que la citation délivrée à l'administrateur d'une société en redressement judiciaire, dans le cadre des articles 8, 164 et 169 du décret du 27 décembre 1985, doit, à peine de nullité, être accompagnée d'une note par laquelle le président du Tribunal expose les faits de nature à motiver la saisine d'office;

qu'ayant relevé que cette note faisait défaut en l'espèce, les juges du fond n'ont pu sans violer les dispositions précitées, ensemble l'article 16 du nouveau Code de procédure civile, considérer que la note établie par M. Y..., représentant des créanciers, "tenait lieu de note présidentielle", pour écarter l'exception de nullité des citations litigieuses;

alors, d'autre part, qu'aux termes de l'article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue par un Tribunal impartial, l'exigence d'impartialité devant s'apprécier objectivement;

qu'à supposer même que le rapport de M. Y..., qui retenait le comportement fautif de MM. Flouquet et Jean-François A... ait pu "tenir lieu de note du président" les citations délivrées, nécessairement, se trouvaient objectivement dénuées de toute impartialité, nonobstant la neutralité de l'ordonnance ayant préalablement prescrit la saisine d'office ;

qu'en refusant de sanctionner ce défaut manifeste d'impartialité, la cour d'appel a violé les dispositions précitées de l'article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme ;

Mais attendu que MM. Flouquet et Jean-François A..., appelants, ayant conclu sur le fond du litige, la cour d'appel, saisie par application de l'article 562, alinéa 2, du nouveau Code de procédure civile, de l'entier litige par l'effet dévolutif de l'appel, était tenue de statuer sur le fond, quelle que fût sa décision sur l'exception de nullité;

d'où il suit que le moyen est, en ses deux branches, inopérant;

qu'il ne peut donc être accueilli ;

Sur le deuxième moyen :

Attendu que MM. Flouquet et Jean-François A... font grief aussi à l'arrêt d'avoir refusé de surseoir à statuer, alors, selon le pourvoi, que le sursis à statuer doit être ordonné chaque fois que la juridiction civile et la juridiction répressive se trouvent parallèlement saisies de la matérialité de mêmes faits;

que tel était bien le cas en l'espèce, dès lors, que les articles 182-3 et 189-2 de la loi du 25 janvier 1985 ayant motivé la saisine d'office du tribunal de commerce sanctionnent dans des termes analogues aux dispositions répressives contenues à l'article 437-3 de la loi du 24 juillet 1966 et à l'article 197-1 de la loi du 25 janvier 1985, le fait d'avoir "fait des biens ou du crédit de la société un usage contraire à l'intérêt de celle-ci à des fins personnelles" et d'avoir, "dans l'intention d'éviter ou de retarder l'ouverture d'une procédure collective, fait des achats en vue d'une revente au-dessous du cours ou employé des moyens ruineux pour se procurer des fonds...";

que la matérialité de ces faits, éléments constitutifs des infractions reprochées tant au commercial qu'au pénal sur la base du rapport de M. Y... étant pareillement contestée devant l'une et l'autre juridiction, la cour d'appel ne pouvait refuser de surseoir à statuer;

qu'elle a ainsi violé l'article 4 du Code de procédure pénale, ensemble les dispositions susvisées de la loi du 25 janvier 1985 et de la loi du 24 juillet 1966 ;

Mais attendu qu'il était reproché également à MM. Flouquet et Jean-François A... d'avoir abusivement poursuivi une exploitation déficitaire dans un intérêt personnel, fait que ne recouvre aucune des qualifications retenues par le juge répressif et de nature à justifier seul le prononcé de sanctions civiles;

que la cour d'appel n'avait donc pas l'obligation de surseoir à statuer;

que le moyen n'est pas fondé ;

Et sur le troisième moyen et le quatrième moyen pris en leurs diverses branches, réunis :

Attendu que M. Z... et M. Jean-François A... font grief encore à l'arrêt, de les avoir condamnés à payer partie des dettes sociales, alors, selon le pourvoi, d'une part, que nul ne peut par lui-même ou par un mandataire se créer un titre à lui-même;

qu'en faisant leurs, les allégations de M. Y..., représentant des créanciers, partie à la procédure en qualité de demandeur, sur la base de la note établie par celui-ci le 16 mars 1994, et ayant déterminé la saisine d'office du Tribunal, note qui n'était étayée d'aucune pièce, ni d'aucun document de preuve objectif, les juges du fond ont violé les règles de la preuve, ensemble l'article 1315 du Code civil;

alors, d'autre part, qu'en affirmant à tort, à plusieurs reprises, que MM. Z... et A... ne contestaient pas les affirmations du rapport de M. Y... ou n'apportaient aucune explication aux faits avancés, nonobstant la référence faite par les appelants dans leurs conclusions à un document intitulé "réponses des dirigeants de Random au rapport établi par M. Y...", contestant et répondant point par point aux allégations erronées de ce dernier, ou à d'autres documents intitulés "note spécialisée", sur la cession de l'ICG ou sur IFR/Chrome, la cour d'appel a modifié l'objet du litige et violé l'article 4 du nouveau Code de procédure civile, ensemble l'article 1134 du Code civil;

alors, en outre, que c'est en dénaturant le document intitulé "réponses des dirigeants de Random au rapport établi par M. X...", s'expliquant sur l'activité de la société IFR, que la cour d'appel a affirmé l'absence de contestation dudit rapport sur ce point, violant ainsi les textes susvisés;

alors, au surplus, que c'est en dénaturant ensemble les conclusions des appelants et les documents annexes, notamment la "réponse de dirigeants de Random au rapport établi par M. Y...", et la "note spécialisée sur ce sujet", visée auxdits documents, que la cour d'appel a affirmé à tort que les raisons de la revente des actions acquises par la société IFR, à la société ICG n'étaient pas explicitées violant ainsi derechef les textes susvisés;

alors, de surcroît que, c'est en dénaturant les conclusions d'appel qui expliquaient comment les dirigeants avaient laissé à la disposition de la société Random, la quasi totalité des dividendes qu'ils auraient été en droit d'appréhender, que la cour d'appel a cru devoir affirmer qu'il était soutenu que la société Random n'avait jamais versé les dividendes en cause, violant derechef les textes;

alors, encore que, c'est en dénaturant cette fois les termes mêmes de la note de M. Y..., que la cour d'appel a indiqué que les appelants ne s'expliquaient pas sur le choix des commissaires aux comptes des sociétés, violant ainsi les dispositions susvisées;

alors, encore, que seule une faute dûment prouvée et caractérisé, en rapport de causalité avec l'insuffisance d'actif, permet que le dirigeant soit personnellement tenu des dettes de la société;

qu'en se bornant à relever à cet égard que les dirigeants de la société Random avaient imaginé un montage juridique permettant une augmentation du capital au moyen d'emprunts contractés par des sociétés de holding masquant la situation réelle du groupe, tout en constatant par ailleurs que l'opération était parfaitement licite et avait reçu l'aval des banques, des autorités boursières et des commissaires aux comptes, qu'elle avait permis d'améliorer le bénéfice de la société de 7,8 % et que les dirigeants n'avaient perçu que le tiers de la valeur des actions cédées, la cour d'appel n'a pas suffisamment caractérisé la faute de gestion, privant ainsi sa décision de toute base légale au regard de l'article 180 de la loi du 25 janvier 1985;

alors, encore, que, l'usage abusif du crédit de la société suppose pour être sanctionné que les actes d'administration ont été accomplis dans un intérêt personnel au nom de la personne morale et contre son propre intérêt;

qu'en se bornant à relever en l'espèce, que seul le crédit de la société Random avait permis que des prêts soient accordés aux sociétés de holding EFL et IFR circonstance indépendante de toute volonté d'usage du crédit social de la part des dirigeants, et en considérant que l'opération avait servi les intérêts de ces derniers et desdites sociétés de holding au détriment de la société Random, tout en constatant par ailleurs, que cette dernière avait bénéficié d'une augmentation de capital de 28,5 milions de francs et amélioré son bénéfice tandis que les dirigeants n'avaient perçu que le tiers de la valeur et leurs actions, le surplus étant versé sur une compte bloqué de la société, la cour d'appel n'a pas caractérisé l'usage abusif répréhensible du crédit de la société Random, privant ainsi sa décision de toute base légale au regard de l'article 182-3° de la loi du 25 janvier 1985;

alors, encore, qu'en affirmant que l'opération litigieuse aurait permis aux consorts Z... et A... "de s'assurer en même temps le contrôle du groupe Random", la cour d'appel a dénaturé la décision prise le 2 janvier 1990, par le conseil des bourses de valeurs dont il résultait que cette opération "ne donnait pas lieu à un changement de contrôle de la société Random France et... n'entrainait pas pour la société IFR l'obligation de déposer un projet d'offre publique";

qu'elle a ainsi violé l'article 1134 du Code civil;

et alors, enfin, que la poursuite abusive d'une activité déficitaire suppose pour être sanctionnée, outre l'existence d'un déficit, que cette poursuite n'ait pu que conduire à la cessation des paiements et qu'elle ait été faite dans l'intérêt personnel du dirigeant ;

qu'ayant relevé en l'espèce, que le dernier exercice de 1991, faisait apparaître un bénéfice d'exploitation qui avait justifié le maintien des concours bancaires le premier semestre 1992, et en omettant de préciser en quoi la poursuite de l'activité, qui n'était donc pas déficitaire, avait pu d'une quelconque façon favoriser les dirigeants, la cour d'appel a privé sa décision, de toute base légale au regard de l'article 182-4° de la loi du 25 janvier 1985 ;

Mais attendu qu'ayant par motifs propres et adoptés, relevé que l'exercice 1991 avait fait apparaître une perte nette de 31,4 millions de francs, que s'il n'y avait pas eu d'incident de paiement, l'échéance du 31 mars 1992, n'avait cependant pu être payée à la société IBM, le fournisseur principal, ce qui avait réduit de 22 millions de francs les possibilités d'approvisionnement, que l'insuffisance d'actif, soit 440 millions de francs, représente le chiffre d'affaires du 1er semestre 1992, et ayant retenu que l'activité s'était poursuivi depuis le 26 décembre 1991, dans le but avoué de retrouver un repreneur, la cour d'appel, dont la décision ne saurait être atteinte par les griefs de dénaturation visant des motifs surabondants, a, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation des preuves, sans inverser la charge de celles-ci, abstraction faite des motifs critiqués par les septième et huitième branches concernant l'abus des biens de la société, caractérisé la poursuite abusive dans un intérêt personnel d'une exploitation déficitaire qui ne pouvait conduire qu'à la cessation des paiements et la faute de gestion de MM. Flouquet et Jean-François A...;

que le moyen ne peut être accueilli en aucune de ses branches ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne MM. Z... et A... aux dépens ;

Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette la demande de M. Y..., ès qualités ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du dix-sept février mil neuf cent quatre-vingt-dix-huit.


Synthèse
Formation : Chambre commerciale
Numéro d'arrêt : 95-15101
Date de la décision : 17/02/1998
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Commerciale

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Versailles (13e chambre), 04 mai 1995


Publications
Proposition de citation : Cass. Com., 17 fév. 1998, pourvoi n°95-15101


Composition du Tribunal
Président : Président : M. BEZARD

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:1998:95.15101
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