AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par M. Didier X..., demeurant ..., en cassation d'un jugement rendu le 23 octobre 1995 par le tribunal de grande instance de Beauvais (1re Chambre), au profit de M. le directeur général des Impôts, domicilié en ses bureaux ..., défendeur à la cassation ;
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
LA COUR, composée selon l'article L. 131-6, alinéa 2, du Code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 16 décembre 1997, où étaient présents : M. Bézard, président, M. Huglo, conseiller référendaire rapporteur, M. Vigneron, conseiller, M. Raynaud, avocat général, Mme Moratille, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. Huglo, conseiller référendaire, les observations de la SCP Guiguet, Bachellier et Potier de La Varde, avocat de M. X..., de Me Goutet, avocat du directeur général des Impôts, les conclusions de M. Raynaud, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu, selon le jugement déféré, que M. X..., propriétaire d'un véhicule automobile d'une puissance fiscale de 31 chevaux, a, après le rejet de sa réclamation présentée le 26 août 1994, assigné le directeur des services fiscaux devant le tribunal de grande instance pour obtenir la restitution de la taxe différentielle acquittée au titre de l'année 1994 ;
Sur le premier moyen :
Attendu que M. X... fait grief au jugement d'avoir rejeté sa demande, alors, selon le pourvoi, que le principe de non-rétroactivité des peines met obstacle à ce que l'article 35 de la loi du 22 juin 1993 soit appliqué pour valider rétroactivement l'amende fiscale prévue par l'article 1840 N quater du Code général des impôts lorsqu'elle est afférente à une imposition établie antérieurement à l'entrée en vigueur de ladite loi ;
que, dès lors, en déboutant entièrement M. X... de sa demande, le tribunal de grande instance a violé ledit principe ;
Mais attendu qu'il ne résulte ni du jugement, ni des conclusions que M. X... ait fait valoir ce moyen devant les juges du fond;
que, nouveau et mélangé de fait et de droit en ce qu'il suppose que la constatation du défaut de paiement de la taxe ait été effectuée antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi du 22 juin 1993, le moyen est irrecevable ;
Sur le troisième moyen :
Attendu que M. X... fait encore grief au jugement d'avoir rejeté sa demande de restitution de la taxe différentielle acquittée au titre de l'année 1994, alors, selon le pourvoi, que comporte un effet discriminatoire ou protecteur prohibé par l'article 95 du traité de Rome le système de taxation appliquant un coefficient multiplicateur dont la progression de tranche en tranche est plus forte à partir de celles qui correspondent à des véhicules d'importation que pour les tranches inférieures auxquelles correspond l'essentiel de la production nationale;
que le Tribunal, qui n'a pas déchargé le demandeur de la taxe établie par application de l'article 20-1 de la loi du 30 décembre 1987, qui établit un tel système, a violé ledit article du traité de Rome ;
Mais attendu que, dans un arrêt du 30 novembre 1995 (Casarin), la Cour de justice des Communautés européennes a dit pour droit que l'article 95 du Traité instituant la Communauté européenne ne s'oppose pas à l'application d'une réglementation nationale relative à la taxe sur les véhicules à moteur qui prévoit une augmentation du coefficient de progressivité au-delà du seuil de 18 chevaux, dès lors que cette augmentation n'a pas pour effet de favoriser la vente de véhicules de fabrication nationale par rapport à celle des véhicules importés d'autres Etats membres;
qu'elle a constaté, dans le même arrêt, qu'il n'apparaît pas que, dans le système de la loi du 30 décembre 1987, l'augmentation du coefficient de progressivité de la taxe puisse avoir pour effet de favoriser la vente de véhicules de fabrication nationale;
que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le deuxième moyen :
Vu l'article 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme ;
Attendu que, pour rejeter la demande de M. X... en restitution des amendes du double droit, le jugement retient que c'est en vain que M. X... soutient que l'Administration aurait arbitrairement fixé le montant des pénalités, celles-ci résultant des dispositions de l'article 1840 N quater du Code général des impôts qui les a expressément prévues ;
Attendu qu'en statuant ainsi, alors qu'il résulte de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme qu'un système de majorations d'impôt ne se heurte pas à l'article 6 de la Convention pour autant que le contribuable puisse saisir de toute décision ainsi prise à son encontre un Tribunal offrant les garanties de ce texte;
que l'amende fiscale prévue par l'article 1840 N quater du Code général des impôts constitue une sanction ayant le caractère d'une punition et que cette disposition n'a pas institué à l'encontre de la décision de l'Administration un recours de pleine juridiction permettant auTribunal de se prononcer sur le principe et le montant de l'amende;
qu'il en résulte que l'application de l'article 1840 N quater doit être écartée dans cette mesure au regard de l'article 6-1 susvisé;
que le Tribunal a, en conséquence, violé cette disposition ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a rejeté la demande de M. X... relative aux amendes du double droit dues au titre de la taxe différentielle de l'année 1994, le jugement rendu le 23 octobre 1995, entre les parties, par le tribunal de grande instance de Beauvais;
remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit jugement et, pour être fait droit, les renvoie devant le tribunal de grande instance de Compiègne ;
Condamne le directeur général des Impôts aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette la demande de M. X... ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite du jugement partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du dix février mil neuf cent quatre-vingt-dix-huit.