Sur le moyen unique :
Vu les articles 29 et 32 de la loi du 29 juillet 1881 ;
Attendu que les imputations diffamatoires sont réputées de droit faites avec intention de nuire et que cette présomption n'est détruite que lorsque les juges du fond s'appuient sur des faits justificatifs suffisants pour faire admettre la bonne foi ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, qu'au cours de l'émission de télévision " 7/7 ", M. Y... a tenu les propos suivants : " X..., il faut tout de même savoir qui il est, et s'en souvenir. On parle toujours sans mémoire. Il se trouve que je suis le premier homme à l'avoir traîné devant un tribunal, à l'avoir fait condamner pour fraude électorale. Fraude électorale, bourrer les urnes aux élections professionnelles d'étudiants. C'était en 1952. ", et " Il est milliardaire, mais il y a un doute sur les conditions d'acquisition de sa fortune, tout le monde le sait ! ", et " Il vient (...) de recevoir le soutien de M. Z... (...), condamné, lui, pour fraude personnelle. " ; que M. X... a assigné M. Y... sur le fondement de la diffamation ;
Attendu, d'une part, que, pour admettre l'exception de bonne foi invoquée par M. Y... et débouter le demandeur de sa prétention relative au premier propos incriminé, l'arrêt retient que l'épisode de fraude électorale relaté par M. Y... 40 ans après sa survenance s'inscrivait dans le contexte d'une lutte politique qui l'opposait déjà publiquement à M. X..., M. Y... ayant précisé que l'événement s'était produit aux élections professionnelles étudiantes de 1952, convaincu que nul ne pouvait se méprendre sur la portée de cet incident, sur les conditions dans lesquelles il était survenu et sur l'importance de la participation que lui-même et M. X... y avaient prise ; que l'arrêt retient encore que M. X..., en citant le cas de M. Z..., qui " lui " avait été condamné pour " fraude personnelle ", a ainsi volontairement marqué que la situation de M. X... était différente ; qu'enfin, l'arrêt retient que les propos de M. Y... ont été tenus au cours d'une émission diffusée en direct, dans un contexte polémique et politique qui les explique seul, les discours de cette nature ne se caractérisant pas spécialement par la prudence dans l'expression de la pensée, poursuivant le but légitime de donner un avis sur l'aptitude d'un homme public à exercer les fonctions officielles qu'il brigue ouvertement, et n'excédant pas les limites admissibles de la polémique politique ;
Attendu, d'autre part, que, pour écarter le caractère diffamatoire des autres propos incriminés, relatifs à l'origine de la fortune de M. X..., et pour admettre, subsidiairement, la bonne foi de M. Y..., l'arrêt retient que celui-ci s'est exprimé sans formuler d'appréciations personnelles, se bornant à évoquer un fait qui, en son temps, et en raison de la place occupée par M. X... dans le monde politique, avait abondamment défrayé la chronique, et dont M. X... lui-même et ses biographes avaient fait état concernant le legs universel que lui avait fait une personne dont la famille avait, à son décès, demandé l'annulation, imputant au légataire des " manoeuvres captieuses " ; que l'arrêt retient encore que cette procédure s'était terminée, non par un jugement, mais par une transaction entre les parties, et que le mot " doute ", dans ce contexte, s'appliquait dans le sens d'une chose qui était incertaine ou mal connue ; que les juges ajoutent qu'à supposer diffamatoires les paroles tenues par M. Y..., le bénéfice de la bonne foi devrait lui être reconnu, la transparence des conditions d'acquisition de sa fortune par un homme politique constituant à l'évidence le but légitime en l'espèce poursuivi ;
Qu'en se déterminant ainsi, après avoir relevé, par ailleurs, que les élections de représentants d'une association d'étudiants à la Faculté de droit de Paris avaient été annulées, par jugement du tribunal civil de première instance de la Seine, en date du 13 mars 1953, en raison de l'inobservation d'une formalité substantielle lors du dépouillement du scrutin, sans qu'ait été retenue la fraude électorale dénoncée par M. Y..., et alors que, d'une part, la participation à une émission de télévision en direct n'affranchit pas un homme public de ses devoirs de prudence et d'objectivité, et que c'est seulement dans le domaine de la polémique politique portant sur les opinions et doctrines relatives au fonctionnement des institutions fondamentales de l'Etat que la bonne foi n'est pas nécessairement subordonnée à la prudence dans l'expression de la pensée, et alors que, d'autre part, la notoriété prétendue du fait allégué n'est pas de nature à justifier la diffamation caractérisée par l'insinuation d'un enrichissement personnel contraire à la probité, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 22 mars 1994, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Lyon.