AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, PREMIERE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par Mme Georgette A... divorcée X..., demeurant ..., en cassation d'un arrêt rendu le 14 juin 1995 par la cour d'appel de Rennes (2e chambre), au profit :
1°/ de M. Philippe Z..., demeurant ...,
2°/ de M. Pierre Y..., demeurant ...,
3°/ de Mme Martine B... divorcée Z..., demeurant ..., défendeurs à la cassation ;
M. Y... a formé un pourvoi provoqué contre le même arrêt ;
La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
Le demandeur au pourvoi provoqué invoque, à l'appui de son recours, deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
LA COUR, composée selon l'article L. 131-6, alinéa 2, du Code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 13 novembre 1997, où étaient présents : M. Grégoire, conseiller doyen, faisant fonctions de président, Mme Bénas, conseiller rapporteur, M. Renard-Payen, conseiller, M. Gaunet, avocat général, Mme Collet, greffier de chambre ;
Sur le rapport de Mme Bénas, conseiller, les observations de la SCP Tiffreau et Thouin-Palat, avocat de Mme A..., de la SCP Richard et Mandelkern, avocat de M. Z... et de Mme B... divorcée Z..., de la SCP Boré et Xavier, avocat de M. Y..., les conclusions de M. Gaunet, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu, selon l'arrêt infirmatif attaqué, (Rennes, 14 juin 1995), que, par acte sous seing privé du 20 octobre 1984, Mme A... a cédé à M. et Mme Z... "le droit d'exercer le service de taxi dans la ville de Carnac", pour la somme de 110 000 francs;
que cet acte a été réitéré par acte authentique passé le 7 mars 1985, en l'étude de M. Y..., notaire ; que, par arrêté du maire de Carnac du 19 décembre 1984, intervenu avant la réitération de la cession, M. Z... a été autorisé à exercer la profession de taxi sur la commune, à la suite de la cessation d'activité de Mme A... ; que les époux Z..., excipant que Mme A... ne disposait pas du droit de présenter un successeur ont assigné celle-ci et le notaire en nullité de la cession, en restitution du prix et en dommages-intérêts;
que la cour d'appel a sursis à statuer sur ces demandes jusqu'à ce que le tribunal administratif se soit prononcé sur la portée de l'arrêté municipal;
qu'un jugement du tribunal administratif de Rennes du 8 février 1994 a déclaré que l'arrêté du maire avait accordé à M. Z... une autorisation nouvelle d'exploiter un taxi, en application de l'article 6 du décret du 2 mars 1973 et que Mme A... n'avait pas eu la faculté de présenter un successeur prévue par l'article 7 de ce texte;
que, statuant au fond, la cour d'appel a accueilli les demandes des époux Z... et a débouté Mme A... de sa demande en garantie formée contre M. Y... ;
Sur le premier moyen du pourvoi principal de Mme A... et le premier moyen, pris en sa première branche du pourvoi provoqué de M. Y... :
Attendu que Mme A... et M. Y... reprochent à l'arrêt d'avoir annulé la cession litigieuse pour absence de cause, alors, selon le moyen, que la cour d'appel n'aurait pas répondu à leurs conclusions démontrant que Mme A... satisfaisait aux conditions des articles 7 et 8 du décret du 2 mars 1973 lui permettant de présenter un successeur, dès lors qu'elle avait exercé la profession de taxi pendant plus de dix ans ;
Mais attendu que le jugement du tribunal administratif sur l'interprétation de l'arrêté municipal s'imposait à la cour d'appel;
qu'ayant relevé qu'il a été jugé par le tribunal administratif de Rennes, le 8 février 1994, que cette autorisation municipale constituait une autorisation d'exploiter un taxi en application de l'article 6 du décret du 2 mars 1973 et que Mme A... n'avait pas disposé de la faculté de présenter un successeur prévue à l'article 7 de ce texte, la cour d'appel a répondu, en les écartant, aux conclusions prétendument délaissées ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le deuxième moyen du pourvoi principal :
Attendu que Mme A... fait grief à l'arrêt de l'avoir déboutée de son appel en garantie contre le notaire, alors, selon le moyen, qu'il résultait de ses conclusions d'appel qu'elle avait subi un préjudice du fait de l'obligation de restituer la somme de 110 000 francs, sans espoir d'obtenir la restitution de la licence vendue aux époux Z..., qui avaient cessé leur activité;
qu'en ne recherchant pas si la faute du notaire qui, en mars 1985, n'aurait pas dû réitérer la cession irrégulièrement convenue en octobre 1984, n'avait pas empêché Mme A... de récupérer la licence avant la fin d'activité des acquéreurs, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu que Mme A... n'a jamais soutenu dans ses conclusions que la faute du notaire l'aurait empêchée de reprendre sa licence avant la fin d'activité des époux Z... ;
D'où il suit que le moyen manque en fait ;
Sur le premier moyen, pris en ses deuxième et troisième branches du pourvoi provoqué de M. Y... :
Attendu que M. Y... reproche à l'arrêt d'avoir annulé la cession litigieuse pour absence de cause, alors, selon le moyen, d'une part, qu'il n'a été ni allégué, ni prouvé que l'arrêté du maire de Carnac autorisant M. Z... avait été la cause impulsive et déterminante ayant conduit M. Z... à acquérir le fond artisanal de taxi cédé par Mme A...;
qu'en disant néanmoins que la cession était dépourvue de cause aux motifs que l'arrêté du maire était fondé sur l'article 6 du décret, l'arrêt a violé l'article 1131 du Code civil;
alors, d'autre part, que la faculté de disposer de l'autorisation résulte de l'article 8 du décret du 2 mars 1973, qu'elle est indépendante de l'autorisation que le maire de Carnac a pu accorder en application de l'article 6 du décret du 2 mars 1973;
qu'en disant que Mme A... n'avait pas disposé de la faculté de présenter un successeur en se référant seulement à l'arrêté pris par le maire en application de l'article 6 du décret, la cour d'appel a violé ensemble les articles 6 et 8 du décret du 2 mars 1973, 1131 et 1134 du Code civil ;
Mais attendu qu'ayant retenu, conformément au jugement du tribunal administratif du 8 février 1994, que Mme A... n'avait pu présenter utilement un successeur, la cour d'appel a exactement déduit que la cession intervenue entre les parties était dépourvue de cause ;
D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Sur le second moyen, pris en ses cinq branches, du pourvoi provoqué du notaire, tels qu'énoncés au mémoire en demande et reproduits en annexe :
Attendu, sur les quatre premières branches réunies, qu'après avoir constaté que le juge administratif avait déclaré que Mme A... ne disposait pas de la faculté de présenter un successeur à l'Administration, la cour d'appel a relevé, d'une part, que la lettre de la perception de Carnac mentionnait que le transfert de l'autorisation de taxi n'était autorisée qu'à la condition formelle que le versement des fonds et la rédaction des actes soient effectués en l'étude du notaire et qu'elle a retenu, d'autre part, sans le dénaturer, que l'arrêté du maire de Carnac du 19 décembre 1984 autorisant M. Z... à exercer la profession de taxi se référait seulement, de manière générale, au décret du 2 mars 1973, d'où il résulte que l'existence du droit de présentation d'un successeur de Mme A... n'était nullement affirmée dans aucun de ces documents;
que, de ces constatations et énonciations, la cour d'appel a pu déduire, sans se contredire, que le notaire, qui avait prêté, sans réserve, son concours à la réitération de l'acte de cession, en s'abstenant de s'assurer de la cessibilité du droit litigieux, ou sans, du moins, attirer l'attention des parties sur l'incertitude affectant le droit prétendu cédé, avait commis une faute ;
Attendu, sur la cinquième branche, que la cour d'appel a constaté que le préjudice subi par les époux Z... était constitué par le prix de cession versé par ceux-ci sans contrepartie, dans les conditions prévues à l'acte authentique;
que la cour d'appel a ainsi légalement justifié sa décision ;
D'où il suit que le second moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE tant le pourvoi principal que le pourvoi provoqué ;
Fait masse des dépens et les laisse par moitié à la charge de Mme A... et de M. Y... ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette la demande de M. Z... et Mme B... divorcée Z... à l'encontre de Mme A... et celle de M. Y...;
condamne M. Y... à payer à M. Z... et à Mme B... divorcée Z... la somme totale de 12 000 francs ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Première chambre civile, et prononcé conformément à l'article 452 du nouveau Code de procédure civile par M. Renard-Payen, conseiller le plus ancien en ayant délibéré, en remplacement de M. Grégoire empêché, en son audience publique du seize décembre mil neuf cent quatre-vingt-dix-sept.