AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, PREMIERE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par :
1°/ M. Y... Le Roy,
2°/ M. Hervé X...,
3°/ Mme Christiane A..., épouse X..., demeurant tous trois ... de l'Odet,
4°/ M. Jean X..., demeurant ... de l'Odet, en cassation d'un arrêt rendu le 7 juin 1995 par la cour d'appel de Rennes (2e chambre), au profit :
1°/ de la société Centre de gestion comptable et d'organisation (CEGECO), dont le siège est zone de Kergaradec, 29200 Brest,
2°/ de M. Jean Pierre Z..., demeurant Bourg de Saint-Meen, 29260 Lesneven,
3°/ de Mme Annie C..., épouse Z..., demeurant ...,
4°/ de la société Les Conseils immobiliers, société anonyme, dont le siège est ...,
5°/ de la société Inter commerce crédit (ICC), société à responsabilité limitée, dont le siège est 9, Villa de Bel Air, 75012 Paris, défendeurs à la cassation ;
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
LA COUR, composée selon l'article L. 131-6, alinéa 2, du Code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 13 novembre 1997, où étaient présents : M. Grégoire, conseiller doyen faisant fonctions de président, M. Guérin, conseiller rapporteur, M. Renard-Payen, conseiller, M. Gaunet, avocat général, Mme Collet, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. Guérin, conseiller, les observations de Me Hennuyer, avocat des consorts X... et de M. Le Roy, de la SCP le Bret et Laugier, avocat de la société CEGECO, de la SCP Vier et Barthélémy, avocat de la société Les Conseils immobiliers, les conclusions de M. Gaunet, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu que les époux Z..., qui exploitaient un restaurant-débit de boissons dans le cadre de la SARL "Le Marieville", ont donné mandat, le 23 octobre 1989, à la société "Les Conseils immobiliers" de vendre leurs parts sociales;
que cette société a rédigé, le 2 janvier 1990, un protocole d'accord prévoyant la cession de ces parts à M. Le Roy, aux époux B...
X... et à M. Jean X... pour le prix d'un franc "compte tenu de la reprise par l'acquéreur de l'ensemble du passif de la SARL arrêté à 2 550 000 francs";
que les actes de cession ayant été signés le 24 janvier 1990 sous diverses conditions suspensives, puis ratifiés le 18 avril 1990, les consorts Le Roy-Boulis ont assigné le 3 octobre suivant les époux Z..., cédants, la SA "Les Conseils immobiliers", négociatrice des actes de cession, la SA CEGECO, comptable de la SARL "Le Marieville" et rédactrice des actes de cession, et la SARL ICC ayant obtenu aux cessionnaires un prêt de 2 351 000 francs, en demandant l'annulation des cessions et du prêt ainsi que des dommages-intérêts, dont le montant a été porté à 2 198 473,70 francs après que la SARL "Le Marieville" ait été déclarée en redressement judiciaire le 29 janvier 1991, puis en liquidation judiciaire le 19 mars suivant, la date de cessation des paiements étant fixée au 29 juillet 1989;
que par arrêt confirmatif du 7 juin 1995, la cour d'appel de Rennes les a déboutés de leurs prétentions ;
Sur le premier moyen, pris en ses trois branches :
Attendu que les consorts Le Roy-Boulis font grief à cet arrêt de les avoir déboutés de leur action en responsabilité contre la société CEGECO, qui avait à la fois assuré la comptabilité de la société dont les parts étaient cédées et rédigé les actes de cession, alors que, d'une part, le rédacteur d'actes se devant, au titre de son devoir de conseil, de s'assurer de l'efficacité desdits actes, la seule information qu'il y donne des difficultés financières de nature à les rendre inefficaces ne suffit pas pour l'exonérer de toute responsabilité;
alors que, d'autre part, la cessation des paiements antérieure de six mois à l'établissement des actes, pour avoir été constatée ultérieurement dans le cadre d'une procédure collective, ne pouvait avoir échappé au rédacteur des actes du fait de sa qualité de comptable de la société cédée et, par voie de conséquence, privait de toute valeur son étude prévisionnelle;
alors, enfin, qu'ayant accepté l'intervention de l'intimée pour l'établissement de cette étude et la rédaction des actes, les cessionnaires étaient en droit d'en attendre une exécution correcte de son devoir de conseil;
qu'ainsi, l'arrêt attaqué a violé les articles 1142 et suivants, 1146 et suivants du Code civil et 455 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu qu'ayant relevé que les consorts Le Roy-Boulis avaient ratifié les accords de cession le 18 avril 1990 en pleine connaissance de cause après avoir été informés dès le mois de janvier précédent, d'une part, de l'irrégularité de l'exploitation de la licence de débit de boissons, d'autre part, de l'existence d'un passif de 2 550 000 francs qu'ils s'engageaient à reprendre à leur charge, la cour d'appel a pu déduire de ces éléments que le manquement à l'obligation de conseil par la société CEGECO n'était pas caractérisé;
d'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Sur le second moyen :
Attendu que les consorts Le Roy-Boulis font encore grief à l'arrêt attaqué de les avoir déboutés de leur action en responsabilité contre la société ICC qui, connaissant la situation catastrophique de la société "Le Marieville", ne les avait pas prévenus et avait même favorisé l'obtention d'un prêt en pure perte, alors que, selon le moyen, dans leurs conclusions signifiées le 28 août 1992 et laissées sans réponse, ils avaient fait valoir que la société ICC avait déjà obtenu mandat de la société "Le Marieville" pour rechercher et trouver un financement à hauteur de la somme de 1 590 000 francs, qu'elle avait en outre été chargée par M. Z..., cédant des parts de la société "Le Marieville", d'obtenir un prêt destiné à financer le rachat des créances, que cependant elle n'avait pas prévenu les cessionnaires de ce que le refinancement par eux sollicité ne pouvait régler les problèmes d'une société qui était en état de cessation des paiements et que la conclusion d'un nouveau prêt amènerait leur ruine, et que la cour d'appel, en ne s'expliquant pas sur ce point, a entaché sa décision d'un défaut de motifs ;
Mais attendu qu'après avoir relevé que les cessionnaires connaissaient l'ampleur du passif qu'ils acceptaient d'apurer, la cour d'appel n'avait pas à répondre plus précisément au grief tiré du manquement de la société ICC à son obligation de conseil;
qu'il s'ensuit que le second moyen n'est pas davantage fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne les demandeurs aux dépens ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Première chambre civile, et prononcé conformément à l'article 452 du nouveau Code de procédure civile par M. Renard-Payen, conseiller le plus ancien en ayant délibéré, en remplacement de M. Grégoire, empêché, en son audience publique du seize décembre mil neuf cent quatre-vingt-dix-sept.