AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par la société TDR, société anonyme, dont le siège est 38670 Chasse-sur-Rhône, en cassation d'un arrêt rendu le 30 novembre 1994 par la cour d'appel de Grenoble (1re chambre civile), au profit :
1°/ de la société Solysec, société anonyme, dont le siège est ...,
2°/ de M. Pierre X..., administrateur judiciaire, ès qualités de liquidateur de la liquidation judiciaire de la société Roux Foch, demeurant ...,
3°/ de M. Patrick Z..., demeurant ...,
4°/ de M. Jean-Philippe Y..., pris ès qualités de liquidateur à la liquidation judiciaire de la société ATR, demeurant ..., défendeurs à la cassation ;
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les quatre moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
LA COUR, composée selon l'article L. 131-6, alinéa 2, du Code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 7 octobre 1997, où étaient présents : M. Bézard, président, Mme Mouillard, conseiller référendaire rapporteur, M. Nicot, conseiller, M. Mourier, avocat général, Mme Arnoux, greffier de chambre ;
Sur le rapport de Mme Mouillard, conseiller référendaire, les observations de la SCP Defrenois et Levis, avocat de la société TDR, de Me Le Prado, avocat de la société Solysec, les conclusions de M. Mourier, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué (Grenoble, 30 novembre 1994) que la société Solysec a consenti à la société Roux Foch un crédit pour l'acquisition d'une pelle hydraulique sur laquelle elle a pris un nantissement;
que la société Roux ayant été mise en liquidation judiciaire et ayant interrompu les versements, la société Solysec a obtenu l'autorisation de réaliser le bien nanti;
qu'elle a appris que l'engin avait été cédé à la société TDR, ce que celle-ci a confirmé en réponse à la sommation interpellative qu'elle lui a fait délivrer, tout en ajoutant qu'elle l'avait revendu à une troisième société;
que la société Solysec, exposant que l'objet nanti avait été vendu alors que sa créance n'était pas apurée, a assigné la société TDR en paiement de la somme qui lui était encore due ; que la société ATR, prétendant qu'elle était le véritable acquéreur de la pelle hydraulique, est intervenue à l'instance, ce dont le tribunal de commerce, par un premier jugement du 8 janvier 1991, lui a donné acte, tout en mettant la société TDR hors de cause;
que, par un second jugement du 12 mai 1992, le Tribunal a rejeté les demandes de la société Solysec contre la société ATR ;
Sur le premier moyen :
Attendu que la société TDR fait grief à l'arrêt infirmatif d'avoir réformé le jugement du tribunal de commerce en ce qu'il a mis hors de cause la société TDR et constaté l'intervention en ses lieu et place de la société ATR, d'avoir déclaré la société TDR, avec la société ATR, acquéreur de mauvaise foi du bien nanti et fautive de l'avoir revendu et d'avoir, en conséquence, condamné la société TDR à payer à la société Solysec diverses sommes alors, selon le pourvoi, qu'au cours de la première instance ayant abouti au jugement du 8 janvier 1991, la société Solysec, après avoir formulé une demande à l'encontre de la société TDR, a demandé dans ses conclusions en réponse, postérieures à l'intervention volontaire de la société ATR, qu'il lui soit donné acte qu'elle retirait sa demande dirigée à l'encontre de la société TDR, dont elle a seulement demandé la condamnation aux dépens;
que la demande de condamnation formée en cause d'appel à l'encontre de la société TDR constituait une demande nouvelle au sens de l'article 564 du nouveau Code de procédure civile;
qu'en décidant du contraire, au motif inopérant que cette demande avait été formulée dans l'assignation introductive d'instance, la cour d'appel a violé la disposition susvisée ;
Mais attendu qu'il résulte des conclusions d'appel de la société TDR que, si cette partie avait objecté que les demandes formées par la société Solysec à son égard étaient nouvelles, c'était seulement au motif que les prétentions contenues dans l'exploit introductif d'instance étaient dirigées, non contre elle, mais contre la société ATR;
qu'elle n'avait pas soutenu que, initialement dirigées contre elle, ces prétentions avaient ensuite été abandonnées par la société Solysec au cours de la procédure ; que dès lors il ne peut être fait grief à la cour d'appel de ne pas avoir effectué une recherche qui ne lui était pas demandée;
que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le troisième moyen pris en ses trois branches et sur le deuxième moyen, pris en ses trois branches, réunis :
Attendu que la société TDR fait encore grief à l'arrêt d'avoir déclaré les sociétés ATR et TDR acquéreurs de mauvaise foi du bien nanti et fautives de l'avoir revendu et d'avoir, en conséquence, condamné la société TDR à payer à la société Solysec diverses sommes alors, selon le pourvoi, d'une part, que le créancier nanti ne dispose pas, en vertu de l'article 7 de la loi du 18 janvier 1951, d'un droit de suite et peut seulement invoquer les droits qu'il tient de l'article 2279 du Code civil à l'encontre de l'acquéreur de mauvaise foi pour revendiquer le bien nanti;
que la cour d'appel ne pouvait accorder un droit de suite à la société Solysec sans violer l'article 7 de la loi du 18 janvier 1951;
alors, d'autre part, que, en toute hypothèse, la bonne foi est présumée sauf preuve contraire;
qu'en affirmant que la société TDR, en sa qualité de professionnelle, était tenue de vérifier que le matériel litigieux n'était pas nanti comme l'affirmait la société Roux Foch, la cour d'appel a méconnu le principe susvisé et, par suite, a violé les articles 7 de la loi du 18 janvier 1951 et 2279 du Code civil;
alors, au surplus, qu'en retenant que le matériel de génie civil coûteux est toujours acheté à crédit et qu'un nantissement est pris par le prêteur du fonds, la cour d'appel a statué par un motif général et, par suite, a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile;
et alors en outre, qu'en se bornant à relever que les sociétés TDR et ATR étaient dirigées par deux frères, avaient la même activité et chacune un siège social situé dans la même commune, la cour d'appel s'est fondée sur des considérations inopérantes à caractériser une confusion des patrimoines et n'a pu, par suite, déclarer la société TDR acquéreur de mauvaise foi du bien nanti et fautive de l'avoir revendu, sans violer les articles 1134, 1165 et 1382 du Code civil;
alors, qu'à supposer, qu'en statuant comme elle a fait, la cour d'appel ait entendu se fonder sur la responsabilité encourue par la société TDR pour avoir donné l'apparence qu'elle aurait acquis la pelle hydraulique de la société Roux Foch, l'arrêt attaqué qui constate que la société ATR était intervenue volontairement en première instance aux lieu et place de la société TDR, ne caractérise pas de lien de causalité entre la faute imputée à la société TDR et le préjudice subi par la société Solysec et a ainsi violé l'article 1382 du Code civil;
et alors, enfin, qu'en se bornant à faire état de ce que le dirigeant de la société ATR se serait présenté à l'huissier venu faire une sommation interpellative comme le dirigeant de la société TDR, société ayant acquis la pelle hydraulique, la cour d'appel n'a pas caractérisé la faute imputable à la société TDR en violation de l'article 1382 du Code civil ;
Mais attendu, d'une part, que la cour d'appel a statué sur la responsabilité recherchée des sociétés TDR et ATR à la suite de l'acquisition et de la revente, par elles, de l'engin litigieux et n'a donc pas reconnu un droit de suite au profit de la société Solysec ;
Attendu, d'autre part, qu'ayant souverainement relevé que les sociétés TDR et ATR avaient, depuis le début de la procédure, entretenu la confusion entre elles afin d'égarer les poursuites, qu'elles ne pouvaient ignorer l'existence du nantissement grevant le bien acquis, ni l'imminence de la déconfiture de la société Roux Foch, et qu'elles s'étaient empressées de revendre l'engin dans la quinzaine suivant l'acquisition, la cour d'appel a pu considérer que ces sociétés avaient acquis le bien nanti de mauvaise foi et qu'elles avaient commis des fautes qui étaient à l'origine de sa disparition, fautes justifiant la recherche de leur responsabilité commune par la société Solysec ;
D'où il suit que les moyens ne sont fondés en aucune de leurs trois branches ;
Et sur le quatrième moyen :
Attendu que la société TDR fait enfin grief à l'arrêt de l'avoir condamnée à payer à la société Solysec une somme de 10 000 francs à titre de dommages-intérêts complémentaires alors, selon le pourvoi, qu'en allouant cette somme à titre de dommages et intérêts complémentaires, sans justifier d'un préjudice distinct de celui réparé par la somme de 324 277,17 francs, la cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil ;
Mais attendu que la cour d'appel était saisie d'une demande de dommages et intérêts complémentaires de 30 000 francs pour résistance abusive;
qu'ayant retenu que la confusion entretenue par les deux sociétés depuis le début de la procédure leur avaient permis d'égarer momentanément les poursuites, l'arrêt a pu accorder à la société Solysec une indemnité en réparation de ce préjudice particulier;
que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société TDR aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette les demandes des sociétés TDR et Solysec ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit novembre mil neuf cent quatre-vingt-dix-sept.