AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par M. X... général des Impôts, Ministère du Budget, domicilié ..., en cassation d'un jugement rendu le 18 janvier 1994 par le tribunal de grande instance de Nice, au profit de la société Extension, société à responsabilité limitée, dont le siège est ..., défenderesse à la cassation ;
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
LA COUR, composée selon l'article L. 131-6, alinéa 2, du Code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 10 juin 1997, où étaient présents : M. Bézard, président, M. Vigneron, conseiller rapporteur, M. Nicot, conseiller, M. Raynaud, avocat général, Mme Moratille, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. Vigneron, conseiller, les observations de Me Goutet, avocat de M. X... général des Impôts, de la SCP Guiguet, Bachellier et Potier de la Varde, avocat de la société Extension, les conclusions de M. Raynaud, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu, selon le jugement déféré, que la société Extension, propriétaire d'une voiture de marque Mercedes, d'une puissance fiscale de 19 CV, mise en circulation en février 1988, a demandé la restitution de la taxe différentielle et de l'amende du double droit qu'elle avait payées au titre de l'année 1991; que le Tribunal a accueilli cette demande ;
Sur le premier moyen :
Attendu que le directeur général des Impôts reproche au jugement d'avoir accueilli la demande, alors, selon le pourvoi, que, relative à la restitution de taxes issues de la loi du 30 décembre 1987, non déclarées indues par la Cour de Luxembourg, la demande de remboursement des taxes acquittées par la société au titre des années considérées entrait dans les prévisions des articles L. 190, alinéa 2, du Livre des procédures fiscales et, partant, relevait des seules dispositions de l'article R. 196-1, alinéa 1 b du même Livre; que l'assignation délivrée le 6 novembre 1992 était manifestement tardive au regard du délai imparti par ce dernier texte ;
qu'ainsi, en rejetant la fin de non-recevoir soulevée de ce chef par l'Administration, le Tribunal violé les dispositions susvisées ;
Mais attendu que le délai institué à l'article R. 196-1 du Livre des procédures fiscales ne commence à courir qu'à compter de l'entrée en vigueur de la loi du 29 décembre 1989; qu'il en résulte que la prescription n'était pas acquise à la date du dépôt de la réclamation; que le moyen n'est donc pas fondé ;
Sur le deuxième moyen, pris en ses deux branches :
Vu l'article 95 du Traité instituant la Communauté économique européenne, ensemble les articles 1599 C et 1599 G du Code général des impôts ;
Attendu que, pour accueillir cette demande, le tribunal énonce que, s'il est vrai que les modalités de détermination de la puissance fiscale, jugées discriminatoires par l'arrêt rendu par la Cour de justice des Communautés européennes le 17 septembre 1987, ont été modifiées par une circulaire du 12 janvier 1988 dans laquelle a été supprimé le plafonnement du facteur K, il n'a pas été démontré pour autant que cette modification, légalisée ensuite par la loi du 22 juin 1993, suffisait à satisfaire l'arrêt de la Cour de justice sur le calcul de la puissance fiscale, dont les modalités de détermination maintenaient un effet discriminatoire vis-à-vis des seules voitures importées; et que si le Conseil d'Etat a admis la conformité des textes contestés avec les dispositions du Traité de Rome, il a précisé que les véhicules immatriculés avant 1988 devaient voir leur puissance fiscale recalculée; qu'il n'est pas prétendu que tel ait été le cas pour le véhicule litigieux ;
Attendu qu'en statuant ainsi, alors que, dans son arrêt du 17 septembre 1987 (Feldain), la Cour de justice des Communautés européennes a seulement déclaré incompatible la limitation du facteur K dans le mode de calcul de la puissance fiscale déterminée par la circulaire du ministre de l'Equipement du 23 décembre 1977; que ladite circulaire a été rendue conforme aux exigences de l'article 95 du Traité instituant la Communauté européenne par la circulaire du 12 janvier 1988 du ministre de l'Equipement, applicable aux véhicules entrés en circulation après le 1er juillet 1988; que la circulaire du 20 septembre 1991 a précisé que les voitures particulières situées hors du champ d'application de la circulaire de 1977 restaient soumises aux dispositions de la circulaire du 28 décembre 1956, laquelle a déterminé la puissance administrative des véhicules selon des critères neutres et objectifs; qu'il en résulte que la taxe perçue sur des véhicules dont le mode de calcul de la puissance fiscale n'a pas subi cette limitation est compatible avec l'article 95 du dit Traité et qu'il appartenait dès lors à la société de démontrer que, malgré les dispositions des circulaires des 12 janvier 1988 et 20 septembre 1991, la puissance fiscale de son véhicule avait été déterminée de façon incompatible avec l'article 95 du Traité, le Tribunal a violé les textes susvisés ;
Et sur le troisième moyen :
Attendu que, pour accueillir la demande, le Tribunal énonce encore que, en ce qui concerne les tranches de taxation, sa progression est exponentielle, ses effets devenant très importants dans les tranches supérieures et qu'ainsi le rapport de taxation s'accroît sans proportion aucune avec l'augmentation de la valeur du véhicule; qu'il en résulte que la taxe a pour effet de décourager l'achat de véhicules situés dans les tranches d'imposition supérieures, soit précisément dans celles où ne se situe aucun véhicule français; que le caractère discriminatoire de la taxe est ainsi établi ;
Attendu qu'en statuant ainsi, alors que, dans un arrêt du 30 novembre 1995 (Casarin), la Cour de justice des Communautés européennes a dit pour droit que l'article 95 du Traité instituant la Commnunauté européenne ne s'oppose pas à l'application d'une réglementation nationale relative à la taxe sur des véhicules à moteur qui prévoit une augmentation du coefficient de progressivité au-delà du seuil de 18 chevaux, dès lors que cette augmentation n'a pas pour effet de favoriser la vente de véhicules de fabrication nationale par rapport à celle des véhicules importés d'autres Etats membres, le Tribunal a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a accueilli la demande afférente aux droits en principal, le jugement rendu le 18 janvier 1994, entre les parties, par le tribunal de grande instance de Nice; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit jugement et, pour être fait droit, les renvoie devant le tribunal de grande instance de Grasse ;
Condamne la société Extension aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette la demande de la société Extension ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de le jugement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du sept octobre mil neuf cent quatre-vingt-dix-sept.