AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par la société Kickers distribution, exploitant un commerce sous l'enseigne "Kick Self", dont le siège est Centre Commercial, ... Perols, en cassation d'un arrêt rendu le 22 septembre 1994 par la cour d'appel de Montpellier (2e chambre, section A), au profit du Syndicat des commerçants détaillants en chaussures de Montpellier, pris en la personne de son syndic domicilié ès qualités au siège social ... Jean X..., 34000 Montpellier, défendeur à la cassation ;
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
LA COUR, composée selon l'article L. 131-6, alinéa 2, du Code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 27 mai 1997, où étaient présents : M. Bézard, président, Mme Mouillard, conseiller référendaire rapporteur, M. Vigneron, conseiller, M. Mourier, avocat général, Mme Arnoux, greffier de chambre ;
Sur le rapport de Mme Mouillard, conseiller référendaire, les observations de la SCP Delaporte et Briard, avocat de la société Kickers distribution, de Me Blanc, avocat du Syndicat des commerçants détaillants en chaussures de Montpellier, les conclusions de M. Mourier, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué (Montpellier, 22 septembre 1994) qu'en mai 1992, la société Kickers distribution, qui exploite un magasin de vente de chaussures, a fait paraître une publicité annonçant un rabais de 30% pendant 10 jours; qu'estimant qu'il s'agissait en réalité d'une opération de ventes de soldes, effectuée sans autorisation, le Syndicat des commerçants détaillant en chaussures du district de Montpellier (le syndicat), l'a assignée en réparation du préjudice subi du fait de cet acte de concurrence déloyale ;
Sur le premier moyen :
Attendu que la société Kickers distribution fait grief à l'arrêt attaqué, d'avoir rejeté la fin de non-recevoir qu'elle avait soulevée devant les juges du second degré, tirée du défaut de qualité à agir du "Syndicat des commerçants détaillants en chaussures de Montpellier" alors, selon le pourvoi, que les fins de non-recevoir doivent être accueillies sans que celui qui les invoque ait à justifier d'un grief; qu'en écartant la fin de non-recevoir soulevée par la société Kickers distribution, faute pour celle-ci de justifier d'un grief, après avoir expressément relevé que l'action avait été initialement engagée par le "Syndicat des commerçants détaillants en chaussures de Montpellier et sa région" qui ne justifiait d'aucune existence, aucun syndicat répondant à cette dénomination n'ayant déposé ses statuts en mairie, la cour d'appel a violé l'article 124 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu que la qualité pour agir en justice, s'attache à la personne en tant que sujet de droit, quelle que soit son identité; qu'ayant retenu que la société Kickers, pour soutenir que le syndicat n'avait pas qualité pour agir, faute d'existence légale, se fondait en réalité sur le seul fait que le nom du syndicat, tel qu'il apparaissait sur les pièces de la procédure, n'était pas celui qui était régulièrement déposé, et ayant relevé en outre que cette partie avait indiqué l'adresse de son siège social et l'identité de son représentant légal, de sorte qu'aucune ambiguïté ne demeurait quant à sa personne, c'est à bon droit que la cour d'appel a déclaré recevable l'action engagée par le syndicat; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le deuxième moyen, pris en ses deux branches :
Attendu que la société Kickers distribution fait encore grief à l'arrêt, de l'avoir condamnée à payer au syndicat une somme de 100 000 francs à titre de dommages-intérêts alors, selon le pourvoi, d'une part, que les soldes soumis à autorisation sont constitués par des ventes au détail, à caractère occasionnel, précédées de publicité et annoncées comme tendant à l'écoulement accéléré d'un stock prédéterminé et non-renouvelable de marchandises que ce soit pendant, mais aussi au-delà de la période de vente considérée; qu'en décidant que l'opération de vente litigieuse, réalisée du 20 au 30 mai, soit sept semaines avant le début de la période de soldes d'été, constituait une vente avec soldes, sans constater qu'aucun réapprovisonnement en marchandises identiques n'avait été effectué postérieurement au 31 mai, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article premier de la loi du 30 décembre 1906 et des articles 1, 2, 5 et 6 du décret du 26 novembre 1962 et alors, d'autre part, que le juge ne peut fonder sa décision sur les moyens de droit qu'il a relevés d'office, sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations; qu'en déduisant l'existence d'une vente avec soldes de ce que l'opération litigieuse avait été précédée d'une publicité, annonçant que les rabais seraient pratiqués "dans la limite de stocks disponibles", sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations sur le sens de cette mention, la cour d'appel a violé l'article 16 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu, d'une part, qu'en relevant que la publicité litigieuse mentionnait que l'opération était faite dans la limite des stocks disponibles, ce dont elle a déduit que la vente avait pour but de liquider, de façon accélérée, un stock de marchandises déterminées, en dehors de toute perspective de réapprovisonnement pendant cette période, la cour d'appel a justifié sa décision au regard des articles visés au moyen ;
Attendu, d'autre part, qu'en retenant l'existence de cette mention, qui figurait dans la publicité objet des débats, quand bien même les parties ne l'auraient pas spécialement invoquée au soutien de leurs prétentions, la cour d'appel n'a fait qu'user des pouvoirs qu'elle tient de l'article 7 du nouveau Code de procédure civile ;
D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses deux branches ;
Et sur le troisième moyen :
Attendu que la société Kickers fait enfin grief à l'arrêt, d'avoir ainsi statué, alors, selon le pourvoi, que le propre de la responsabilité est de rétablir, aussi exactement que possible, l'équilibre détruit par le dommage et de replacer la victime dans la situation où elle se serait trouvée si l'acte dommageable n'avait pas eu lieu; qu'en décidant, par motifs adoptés, que les dommages-intérêts dus par la société Kickers distribution devaient, à titre dissuasif, être fixés à la somme de 100 000 francs, la cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil ;
Mais attendu que l'arrêt relève que cette vente, réalisée en infraction aux règles et aux usages, est un acte de concurrence déloyale qui préjudicie à ceux qui, exerçant la même activité, respectent les dispositions réglementaires et qu'elle porte donc atteinte à l'intérêt collectif de la profession représentée par le syndicat; qu'en allouant à ce dernier une indemnité de 100 000 francs, la cour d'appel n'a fait qu'user du pouvoir souverain dont elle dispose quant à l'appréciation de l'étendue du préjudice et des modalités de sa réparation intégrale; que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Kickers distribution aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, la condamne à payer au Syndicat des commerçants détaillants en chaussures de Montpellier la somme de 10 000 francs ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du huit juillet mil neuf cent quatre-vingt-dix-sept.