AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le trois avril mil neuf cent quatre-vingt-dix-sept, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire KARSENTY, les observations de Me BLONDEL et de Me CHOUCROY, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général LUCAS ;
Statuant sur le pourvoi formé par : - X... Fernand,
- X... Gilbert, agissant en qualité de curateur de
la partie civile, contre l'arrêt de la cour d'appel de DIJON, chambre correctionnelle, en date du 28 mars 1996, qui, dans les poursuites exercées sur leur plainte contre Christian Y... du chef de violation de tombeau ou sépulture, les a déboutés de leur demande ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation pris de la violation de l'article 360 du Code pénal, violation de l'article 225-17, alinéa 2, du Code pénal, ensemble violation de l'article 593 du Code de procédure pénale, et de l'article 1382 du Code civil ;
"en ce que l'arrêt attaqué a relaxé le prévenu poursuivi pour violation de sépulture et a, par voie de conséquence, débouté la partie civile ;
"aux motifs propres que le 9 août 1991, Fernand X..., alors âgé de 80 ans a commandé à la société anonyme
Y...
et fils la construction d'un caveau à deux places surmonté d'un monument en granit pour son épouse et pour lui-même au cimetière de Prenois (Côte d'Or) et a versé à cet effet un acompte de 30 000 francs sur un prix convenu qui était de 57 000 francs; que ce monument devait être édifié sur l'emplacement de deux anciennes concessions perpétuelles dans lesquelles étaient enterrés les membres de la famille de Fernand X...; que celui-ci avait donné mission au marbrier, au cas où il retrouverait des ossements, de les regrouper et de les placer sous le caveau; que le 1er juillet 1992, Fernand X..., majeur protégé assisté de son fils et curateur Gilbert X..., a déposé plainte avec constitution de partie civile entre les mains du doyen des juges d'instruction de Dijon contre l'entreprise Y... pour violation de sépulture et infractions aux règlements concernant les inhumations ;
qu'il a exposé que les stèles et monuments recouvrant la sépulture de ses ancêtres avaient été brisés et jetés au milieu d'immondices sur la décharge communale de Prenois, de même que des cercueils et des ossements en très grand nombre; ce qu'une enquête de gendarmerie a confirmé; que lors de l'information, Christian Y... a reconnu la matérialité des faits incriminés mais a soutenu pour sa défense que les monuments anciens étaient irrécupérables et que les ossements avaient été jetés à la décharge par inadvertance et non de manière délibérée; que le 27 mai 1994, le juge d'instruction de Dijon a rendu, conformément aux réquisitions du ministère public, une ordonnance de non-lieu au motif que les agissements de Christian Y... étaient involontaires; que statuant sur l'appel de la partie civile, la chambre d'accusation de la cour d'appel de Dijon a infirmé l'ordonnance de non-lieu alléguée et a renvoyé Christian Y... devant le tribunal correctionnel de Dijon; qu'après la décision de relaxe prononcée par cette juridiction, la Cour saisie par les appels de la partie civile et du ministère public doit à nouveau statuer; qu'ainsi que le soulignent pertinemment les premiers juges, les ossements, compte tenu du transport d'une grande quantité de terre et de gravats, ont pu se trouver mélangés à la terre sans que le prévenu s'en fut rendu compte ;
que la Cour n'estime pas que le caractère volontaire de la violation de sépulture découle directement de la profession du prévenu, contrairement à ce que soutient la partie civile; que les techniques de travail utilisées en l'espèce rendent vraisemblables les explications du prévenu en sorte que par ces motifs et ceux non contraires des premiers juges, la Cour confirme la décision entreprise tant sur l'action publique que, sur l'action civile et ce après avoir souligné dans ses commémoratifs que Christian Y... a été poursuivi devant le tribunal correctionnel de Dijon suite à l'arrêt rendu par la chambre d'accusation de la cour d'appel de Dijon en date du 9 novembre 1994 le renvoyant devant ladite juridiction pour avoir :
- à Prenois, 21 au mois de décembre 1991, en tout cas en Côte d'Or et depuis temps non couvert par la prescription :
*violé la sépulture des défunts de la famille X... en brisant leur cercueil et le monument qui le recouvrait, infractions prévues et réprimées par l'article 225-17, alinéa 2, du Code pénal ;
"et aux motifs, à les supposer adoptés des premiers juges qu'il résulte des constatations relatées dans le procès-verbal de gendarmerie que les ossements et morceaux de cercueils découverts au mois de janvier 1992 à la décharge publique de Prenois sont susceptibles de provenir des deux tombeaux de la famille X... détruits par Christian Y... à la demande de Fernand X...; que la violation de sépulture reprochée à Christian Y... n'est constituée ni par l'exécution même des travaux, ni par la destruction des anciennes pierres tombales, en raison des conventions liant les époux X... à la société Y...; que les dépôts d'ossements et de fragments de cercueil sur une décharge publique constituent une violation de sépulture s'il est établi que cet acte est volontaire; qu'en l'espèce, Christian Y... fait valoir que l'incident a pu se produire sans qu'il ne s'en rende compte, que l'utilisation d'une pelleteuse pour creuser le caveau et le transport d'une grande quantité de terre et gravats, comme en témoignent les photographies du procès-verbal de gendarmerie, à la décharge publique, rendent vraisemblable le fait que des ossements aient pu se trouver mélangés à la terre sans que Christian Y... ne s'en soit rendu compte en sorte que dans le doute, il y a lieu de renvoyer le susnommé des fins de la poursuite ;
"alors que, d'une part, la cour d'appel saisie par l'effet dévolutif de l'appel croit pouvoir se prononcer en l'état des dispositions de l'article 225-17, alinéa 2, du nouveau Code pénal, alors que celui-ci réprimant plus sévèrement la violation de sépultures, seul était susceptible de recevoir application de l'article 360 de l'ancien Code pénal, les faits reprochés remontant au mois de décembre 1991 ; qu'ainsi, la Cour viole les règles et principes qui gouvernent le droit transitoire en la matière, et fait une fausse application, l'article 225-17, alinéa 2, du nouveau Code pénal, refusant d'appliquer l'article 360 de l'ancien Code ;
"alors que d'autre part, et en toute hypothèse, la partie civile insistait sur le fait que le caractère volontaire de la violation d'une sépulture résultait de la profession de Christian Y..., et du nombre des ossements découverts à la décharge publique et des débris de cercueils, le susnommé ayant déclaré qu'après avoir creusé le caveau et découvert des restes humains, il les avait mis de côté et que d'autres ossements ont été mélangés à la terre de remblais et ce, sans que ce professionnel fasse preuve de précautions élémentaires pour préserver ces restes humains, cependant qu'il ressort du dossier et notamment de l'enquête qu'ils se sont retrouvés en très grand nombre éparpillés dans une décharge publique; qu'en se contentant d'affirmer qu'elle n'estime pas que le caractère volontaire de la violation de sépulture découle directement de la profession du prévenu, contrairement à ce que soutient la parte civile, sans s'expliquer davantage quant à ce, en l'état des circonstances de fait dûment développées par ladite partie civile dans ses écritures, constatées par la chambre d'accusation et s'évinçant du procès-verbal d'enquête de gendarmerie, la Cour ne satisfait pas aux exigences de l'article 593 du Code de procédure pénale ;
"alors que de troisième part, et en toute hypothèse, le délit de violation de sépulture consiste dans un fait matériel volontairement commis, indépendamment de l'intention qui a déterminé l'acte, en sorte que l'exhumation non autorisée et le jet dans une décharge publique d'ossements et de débris de cercueil fût ce à l'aide d'engins mécaniques ce qui ne peut caractériser une excuse, étaient de nature à caractériser l'élément moral de l'infraction; qu'en écartant cependant le prévenu des liens de la prévention au motif qu'un doute subsistait sur la volonté, la Cour en statuant comme elle l'a fait ne justifie pas légalement son arrêt au regard de l'article 360 du Code pénal, violé" ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué, que le 9 août 1991, Fernand X... a commandé à la société anonyme Marbrerie Libanori et fils la construction d'un caveau surmonté d'un monument, sur l'emplacement d'anciennes concessions de membres de la même famille dont les ossements, s'ils étaient retrouvés, devaient être regroupés sous le caveau ;
Qu'à la suite d'une plainte avec constitution de partie civile de Fernand X..., Christian Y... a été renvoyé devant le tribunal correctionnel par arrêt de la chambre d'accusation du 9 novembre 1994, pour avoir violé la sépulture des défunts de la famille X... en brisant leurs cercueils et le monument qui le recouvrait et en jetant leurs ossements sur une décharge publique; qu'il a été relaxé par les premiers juges ;
Attendu que, pour confirmer le jugement déféré, la cour d'appel retient notamment, par motifs propres et adoptés, que les techniques de travail utilisées et notamment l'emploi d'une pelleteuse rendent vraisemblables les explications de Christian Y... soutenant que les ossements ont été jetés par inadvertance et non de manière délibérée ;
qu'elle ajoute que le caractère volontaire de la violation de sépulture ne saurait découler par ailleurs directement de la profession du prévenu ;
Attendu qu'en cet état, et dès lors qu'elle était saisie de faits entrant dans les prévisions tant de l'article 360 ancien que de l'article 225-17 nouveau du Code pénal, la cour d'appel a justifié sa décision sans encourir les griefs allégués ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Milleville conseiller doyen, faisant fonctions de président en remplacement du président empêché, Mme Karsenty conseiller rapporteur, MM.Guerder, Pinsseau, Mmes Françoise Simon, Garnier conseillers de la chambre, M. Desportes conseiller référendaire ;
Avocat général : M. Lucas ;
Greffier de chambre : Mme Nicolas ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;