Sur le moyen unique pris en ses cinq branches :
Attendu, selon l'arrêt confirmatif attaqué (Reims, 8 décembre 1993), que par acte du 2 février 1983, Mme Suzanne Y... a acquis une pharmacie, dont elle a payé le prix à l'aide d'un emprunt bancaire ; qu'elle a garanti le remboursement de cet emprunt en souscrivant une assurance-décès au profit de l'établissement de crédit ; qu'elle est morte accidentellement le 25 mai 1983 ; qu'au bilan de l'exercice 1983, arrêté au 31 mai, le prix d'acquisition du fonds figure à l'actif et la somme empruntée au passif ; que l'assureur ayant remboursé la dette contractée pour financer l'achat de la pharmacie, l'administration fiscale a retenu l'existence d'un profit exceptionnel réalisé par l'entreprise de ce chef et a réclamé aux héritiers l'impôt sur le revenu correspondant pour l'exercice 1983 ; que MM. X... et Laurent, Mlle Z..., MM. A... et X... et Mlle Florence Y... (les consorts Y...) ont contesté cette imposition devant le juge administratif qui a rejeté leur recours, puis ont assigné en réparation de leur préjudice la société Fiduciaire comptable du Nord qui avait établi les comptes de l'entreprise et arrêté le bilan au 31 mai 1983 ;
Attendu que les consorts Y... reprochent à l'arrêt d'avoir rejeté leurs demandes, alors, selon le pourvoi, d'une part, que le bilan décrit séparément les éléments actifs et passifs de l'entreprise ; que l'exploitant individuel dispose de la liberté d'inscrire au bilan de son entreprise une dette contractée pour l'acquisition d'un bien affecté à l'exploitation ou de la considérer comme faisant partie de son patrimoine privé, indépendamment de l'inscription à l'actif du bilan du bien acquis ; qu'en décidant, dès lors, que le bien acquis et le financement souscrit doivent être considérés comme des éléments indissociables, " effectués " par et dans le cadre de l'entreprise commerciale et qui doivent tous deux être inscrits dans le bilan de celle-ci, à l'actif et au passif, la cour d'appel a violé les articles 8 et 9 du Code de commerce ; alors, d'autre part, que la décision de gestion d'inscrire ou non au passif du bilan de l'entreprise une dette contractée pour l'acquisition d'un bien affecté à l'exploitation peut être prise jusqu'à l'établissement du bilan à la clôture de l'exercice en cause ; qu'en considérant, dès lors, que cette affectation de la dette d'emprunt au passif du bilan était justifiée comme correspondant au choix initial fait par Mme Y... de son vivant, sans avoir égard au fait que l'option pouvait encore être exercée différemment par ses héritiers dont les intérêts étaient sur ce point différents de ceux de la défunte, la cour d'appel a derechef violé l'article 8 du Code de commerce ; alors, en outre, qu'il était reproché à l'expert comptable un manquement à son obligation de conseil, pour n'avoir pas fait connaître à ses clients l'existence des diverses options fiscales, dont la connaissance était nécessaire pour prendre la décision de gestion concernant l'inscription de la dette litigieuse au passif du bilan de l'entreprise ; qu'en déduisant du fait " qu'il n'y avait donc pas de liberté d'affectation comptable quant à la dette de l'emprunt contracté pour l'acquisition du fonds ", le motif selon lequel " aucune méconnaissance des règles de la comptabilité ne peut être reprochée au cabinet FCN ", la cour d'appel a entaché sa décision d'un motif inopérant, en violation de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; alors, de plus, que l'expert comptable est tenu d'une obligation de conseil envers son client, consistant à lui présenter les avantages et les inconvénient des diverses options fiscales afin que le client puisse exercer un choix en connaissance de cause ; qu'il est constant que le cabinet FCN n'a pas même averti les consorts Y... de la décision de gestion qu'ils devaient prendre quant au choix de l'affectation de l'emprunt contracté pour l'acquisition du fonds de commerce ; qu'en décidant que le cabinet FCN n'a en rien méconnu son devoir de conseil, la cour d'appel a violé l'article 1147 du Code civil : et alors, enfin, que le juge de l'impôt compétent en matière d'impôt direct est le juge administratif ;
qu'en prenant, dès lors, en considération pour fonder sa décision l'hypothèse d'une fraude fiscale ou le risque considérable de redressement au cas de non-affectation de l'emprunt au passif du bilan de l'exploitation commerciale, hypothèse au demeurant erronée puisque non retenue par le juge administratif, la cour d'appel s'est prononcée à tort sur le fond du droit en excédant sa compétence et a, de la sorte, méconnu le principe de la séparation des pouvoirs, en violation de la loi des 16-24 août 1790 et du décret du 16 fructidor an III ;
Mais attendu qu'ayant relevé, par motifs propres et adoptés, que la décision de tenir l'emprunt pour une dette de l'entreprise avait été prise par Mme Y..., pour qui elle était avantageuse, et qu'avant son décès elle avait inscrit dans sa comptabilité commerciale le capital dû et porté sur un compte professionnel le premier prélèvement trimestriel venu à échéance le 1er avril 1983, l'arrêt retient que, ces écritures n'étant pas susceptibles d'annulation, la société d'experts comptables ne pouvait que les prendre en compte au bilan de l'entreprise ; qu'ayant établi, par ses constatations, que les écritures traduisant la décision de gestion prise par Mme Y... tandis qu'elle exploitait le fonds avaient été portées de son vivant dans la comptabilité de l'entreprise, la cour d'appel, qui avait le pouvoir de prendre en considération les conséquences fiscales et pénales d'une falsification de la comptabilité lors de l'établissement du bilan, a décidé à bon droit, abstraction faite du motif erroné et surabondant visé à la première branche, que la société d'experts comptables devait prendre en compte au bilan de l'entreprise le capital dû et son remboursement ; d'où il suit que le moyen, inopérant en sa seconde branche et mal fondé dans les quatre autres, ne peut être accueilli ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi.