Sur le moyen unique, pris en ses deux branches :
Vu l'article 1er du protocole du 3 juin 1971 relatif à l'interprétation par la Cour de justice des Communautés européennes de la Convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale ;
Attendu qu'aux termes de ce texte la Cour de justice des Communautés européennes est compétente pour statuer sur l'interprétation de la convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 et qu'il résulte des articles 2, point 1, et 3, point 1, du protocole, que, lorsqu'une question portant sur l'interprétation de la Convention est soulevée dans une affaire pendante devant la Cour de Cassation, celle-ci, si elle estime qu'une décision sur ce point est nécessaire pour rendre son arrêt, est tenue de demander à la Cour de justice de statuer sur cette question ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 16 novembre 1994), statuant sur contredit de compétence, que des poires destinées à être livrées à la société de droit français Brambi fruits (société Brambi) ont été transportées par voie maritime sur le navire " Alblasgracht VOO2 " depuis le port de Melbourne (Australie) jusqu'à celui de Rotterdam (Pays-Bas), puis ont été acheminées par route jusqu'à Rungis (France) où la société Brambi a fait constater l'existence d'avaries à la marchandise ; que la compagnie La Réunion européenne, apéritrice, et 9 autres compagnies d'assurance (les assureurs), subrogées dans les droits de la société Brambi pour l'avoir indemnisée, ont saisi en réparation de leur préjudice le tribunal de commerce de Créteil, dans le ressort duquel est situé Rungis ; que cette action a été dirigée à l'encontre de la société de droit australien Refrigerated Container Carriers PTY Ltd (société RCC), ayant son siège à Sydney, qui a émis le connaissement à son en-tête couvrant la partie maritime du transport, et de la société de droit néerlandais Spliethoff's Bevrachtingskantoor BV (société Spliethoff's), ayant son siège à Amsterdam, au motif que cette dernière " a effectivement assuré le transport maritime ", en tant que gestionnaire du navire désigné au connaissement, bien qu'elle ne fût pas identifiée par ce document ; que l'action a également été exercée devant le même Tribunal à l'encontre du capitaine du navire, domicilié aux Pays-Bas, pris en sa qualité de " représentant les armateurs, affréteurs et propriétaire " de l'" Alblasgracht VOO2 " ; que le Tribunal, après avoir retenu sa compétence à l'égard de la société RCC, l'a déclinée en ce qui concerne les deux autres défendeurs ;
Attendu que les assureurs reprochent à l'arrêt d'avoir confirmé l'incompétence internationale du tribunal à l'égard de la société Spliethoff's et du capitaine du navire, alors, selon le pourvoi, d'une part, que la notion de matière délictuelle ou quasi délictuelle au sens de l'article 5, point 3, de la convention de Bruxelles du 27 septembre 1968, comprend toute demande qui vise à mettre en jeu la responsabilité d'un défendeur et qui ne se rattache pas à la matière contractuelle au sens de l'article 5, point 1 ; qu'il ne résulte d'aucune constatation de l'arrêt que la société Brambi, aux droits de laquelle se sont trouvés subrogés la compagnie d'assurances La Réunion européenne et 9 autres assureurs, ait conclu une convention avec la société Spliethoff's et le capitaine du navire " Alblasgracht VOO2 ", en leur qualité de transporteurs de la marchandise ; qu'il résulte au contraire des constatations de l'arrêt que le connaissement avait été émis par la société de droit australien RCC avec qui la société Brambi était seulement en relation contractuelle en sa qualité de destinataire de la marchandise ; qu'en conséquence, en écartant la compétence du tribunal de commerce de Créteil bien que les avaries fussent apparues lors du dépotage des conteneurs de fruits sur le lieu de destination finale à Rungis, la cour d'appel a violé les articles 5, point 1, et 2 de la convention de Bruxelles par fausse application et l'article 5, point 3, de cette même convention par refus d'application ; et alors, d'autre part, à titre subsidiaire, qu'à l'appui de leur contredit les assureurs avaient fait valoir que les trois codéfendeurs avaient participé, à tout le moins pour la partie maritime, à la même opération de transport ; que le tribunal de commerce de Créteil s'étant reconnu compétent pour statuer sur la demande dirigée à l'encontre de la société RCC, il ne pouvait ensuite accueillir l'exception d'incompétence soulevée par les deux autres codéfendeurs dès lors que le litige présentait un caractère indivisible ; qu'en ne répondant pas à ce moyen, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
Attendu que la solution du présent litige soulève une difficulté sérieuse d'interprétation de la convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 touchant aux diverses questions qui sont formulées au dispositif ci-après, compte tenu notamment du caractère autonome de la notion de matière contractuelle visée par la Convention ; qu'il y a lieu de surseoir à statuer jusqu'à ce que la Cour de justice se soit prononcée sur ces points ;
PAR CES MOTIFS :
RENVOIE à la Cour de justice des Communautés européennes aux fins de dire, en vue de l'application de la convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale : 1o a) si l'action par laquelle le destinataire de marchandises reconnues avariées à l'issue d'un transport maritime puis terrestre, ou son assureur subrogé dans ses droits pour l'avoir indemnisé, réclame réparation de son préjudice, en se fondant sur le connaissement couvrant le transport maritime, non pas à l'encontre de celui qui a émis ce document à son en-tête, mais à l'encontre de la personne que le demandeur tient pour être le transporteur maritime réel, a pour base le contrat de transport et relève, à ce titre ou à un autre, de la matière contractuelle au sens de l'article 5, point 1, de la Convention ; b) si, en cas de réponse négative à la question précédente, la matière est délictuelle ou quasi délictuelle au sens de l'article 5, point 3, de la Convention ou s'il y a lieu de revenir à la règle de compétence de principe en faveur des juridictions de l'Etat sur le territoire duquel le défendeur est domicilié, fixée à l'article 2 de la Convention ; c) si, dans l'hypothèse où la matière doit être considérée comme délictuelle ou quasi délictuelle, le lieu où le destinataire, après l'exécution du transport maritime puis du transport terrestre final, n'a fait que constater l'existence des avaries aux marchandises qui lui ont été livrées, peut, et à quelles conditions, constituer le lieu de survenance du dommage que l'arrêt CJCE 30 novembre 1976 (Bier c/Mines des potasses d'Alsace, 21/76), Recueil, p. 1735, a visé comme pouvant être celui " où le fait dommageable s'est produit " au sens de l'article 5, point 3, de la Convention : 2o si un défendeur domicilié sur le territoire d'un Etat contractant peut être attrait dans un autre Etat contractant devant la juridiction saisie d'une demande dirigée à l'encontre d'un codéfendeur domicilié en dehors du territoire de tout Etat contractant, au motif que le litige présenterait un caractère indivisible, et pas seulement connexe ;
SURSEOIT A STATUER sur le pourvoi jusqu'à décision de la Cour de justice des Communautés européennes.