AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par la société Transports Bousquet père et fils, société à responsabilité limitée, dont le siège social est ...,
en cassation d'un arrêt rendu le 1er juin 1993 par la cour d'appel de Paris (22e Chambre, Section C), au profit de M. Joseph X..., demeurant ...,
défendeur à la cassation ;
LA COUR, en l'audience publique du 28 octobre 1996, où étaient présents : M. Merlin, conseiller le plus ancien faisant fonctions de président et rapporteur, MM. Boubli, Ransac, Texier, Chagny, conseillers, Mmes Pams-Tatu, Girard-Thuilier, conseillers référendaires, M. Martin, avocat général, Mme Ferré, greffier de chambre;
Sur le rapport de M. Merlin, conseiller le plus ancien faisant fonctions de président, les observations de la SCP Tiffreau et Thouin-Palat, avocat de la société Transports Bousquet père et fils, les conclusions de M. Martin, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi;
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 1er juin 1993), que M. X..., engagé le 28 octobre 1988 en qualité de chauffeur manutentionnaire spécialisé par la société Transports Bousquet père et fils, demandait à son employeur l'autorisation de partir en congé du 16 au 27 mai 1991; que, n'ayant pas de réponse, il informait le 10 mai son employeur de son intention de partir en congé et s'absentait à partir du 16 mai; que, par lettre du 24 mai 1991, l'employeur lui reprochait son absence injustifiée et le considérait comme démissionnaire;
Attendu que l'employeur fait grief à l'arrêt de l'avoir condamné à payer au salarié des indemnités de préavis et de licenciement ainsi que des dommages-intérêts pour non-respect de la procédure de licenciement, alors, selon le moyen, d'une part, que, hors le cas d'une absence autorisée par l'employeur ou justifiée par une maladie ou un accident du travail, il incombe au salarié qui abandonne délibérément et pendant une durée significative son poste de travail contre la volonté déclarée de l'employeur de rapporter la preuve que ce dernier a entendu prendre l'initiative de la rupture du contrat de travail et s'analyse en un licenciement; qu'en l'espèce, il résultait des propres constatations de fait opérées par la cour d'appel, d'une part, que le salarié avait évoqué sa démission au moins éventuelle au cas où il n'obtiendrait pas de l'employeur l'autorisation sollicitée, d'autre part, qu'après un refus verbal, l'employeur lui avait confirmé par lettre recommandée que son départ serait donc considéré comme une démission, en outre, qu'il était passé outre ce refus et avait abandonné son travail pendant deux semaines, enfin, qu'à réception de la seconde lettre recommandée par laquelle l'employeur avait constaté sa démission, il ne s'était pas représenté à son poste de travail et avait immédiatement saisi le conseil de prud'hommes avant de s'inscrire à l'ANPE comme demandeur d'emploi; que ces constatations de fait excluaient que le salarié eût rapporté la preuve d'une rupture initiée par l'employeur; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé les articles L. 122-4 du Code du travail et 1134 du Code civil; alors, d'autre part, et au surplus, qu'en écartant la faute grave, après avoir cependant constaté l'existence d'une insubordination préjudiciable au fonctionnement de l'entreprise et caractérisée par la décision de passer outre le refus exprès opposé par l'employeur à une demande de prise de congés en dehors des périodes d'usage convenues avec l'ensemble du personnel pour la fermeture de l'entreprise, la cour d'appel a violé les articles L. 122-8 et L. 122-9 du Code du travail et 1134 du Code civil;
Mais attendu, d'abord, que la cour d'appel a pu décider que la simple absence du salarié pour prendre des congés ne constituait pas une manifestation claire et non-équivoque de la volonté du salarié de démissionner;
Attendu, ensuite, qu'elle a pu décider que le comportement du salarié n'était pas de nature à rendre impossible le maintien de ce dernier dans l'entreprise pendant la durée du préavis et ne constituait pas une faute grave;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Transports Bousquet père et fils aux dépens;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du onze décembre mil neuf cent quatre-vingt-seize.