AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par la société Technogram, société anonyme, dont le siège est ...,
en cassation d'un arrêt rendu le 27 mai 1993 par la cour d'appel de Paris (18e chambre), au profit de M. Richard X..., demeurant ...,
défendeur à la cassation ;
LA COUR, en l'audience publique du 9 octobre 1996, où étaient présents : M. Gélineau-Larrivet, président, Mme Bourgeot, conseiller référendaire rapporteur, MM. Monboisse, Finance, Texier, Chagny, conseillers, MM. Boinot, Richard de la Tour, conseillers référendaires, M. de Caigny, avocat général, Mme Molle-de Hédouville, greffier de chambre;
Sur le rapport de Mme Bourgeot, conseiller référendaire, les conclusions de M. de Caigny, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi;
Attendu que M. X... a été engagé, le 1er octobre 1974 par la société Eurogram en qualité de secrétaire administratif; que, promu directeur administratif le 1er juin 1975, il a été transféré en cette qualité à la société Technogram le 1er janvier 1977; qu'à la suite de la rupture des relations contractuelles le 12 décembre 1985 il a saisi la juridiction prud'homale de diverses demandes en indemnités de rupture, en rappel de salaires, de congés payés, de primes par application de la convention collective des bureaux d'études techniques, de cabinets d'ingénieurs-conseils;
Sur le premier moyen :
Attendu que la société Technogram fait grief à l'arrêt attaqué (Paris, 27 mai 1993) de l'avoir condamnée à payer diverses sommes à M. X..., alors, selon le moyen, qu'ayant constaté que M. X..., jusqu'à la dernière audience, ajoutait à son dossier des pièces jamais communiquées ni évoquées, la cour d'appel s'est bornée à autoriser M. X... à procéder à une nouvelle communication de pièces et note, alors qu'il devait justifier de la communication de leur totalité;
Mais attendu qu'il résulte des énonciations de l'arrêt que la cour d'appel, pour mettre un terme à la polémique sur la communication des pièces, a autorisé les parties à procéder en cours de délibéré à une nouvelle communication des pièces pour vérification et à déposer éventuellement des notes uniquement sur ce point; que le moyen n'est pas fondé;
Sur le deuxième moyen :
Attendu que l'employeur fait encore grief à l'arrêt d'avoir statué comme il l'a fait, alors, selon le moyen, qu'ayant reconnu que les sociétés rémunérant l'activité de M. X... à divers titres, formaient un groupe économique, c'est-à-dire dont les membres, bien qu'entités juridiques distinctes ne sont pas pour certains tiers, contractants universellement et totalement indépendants, la cour d'appel n'a pas ensuite recherché, en l'espèce, la délimitation de cette indépendance, ni en quoi pouvaient rester sans relation entre elles, les diverses formes de rémunération d'activités versées au même bénéficiaire par différents membres du même groupe ;
qu'ayant reconnu que M. X... était mandataire et associé de certaines sociétés du groupe, dont il connaissait donc les articulations, et constaté le niveau élevé du total des rémunérations de M. X..., la cour d'appel n'a pas recherché si M. X..., en encaissant sa part de travailleur indépendant, acceptait de facto la répartition de ses rémunérations, et donc la délimitation de la partie salaires, acceptations successives renouvelées mois après mois, pendant plus de dix années, après coup et non sur droits futurs;
Mais attendu que la cour d'appel, après avoir constaté que la société Technogram faisait partie d'un groupe au sens économique du terme, a souverainement estimé que même si M. X... avait collaboré en qualité de mandataire non salarié ou d'associé, à l'activité d'autres organismes, la société Technogram, entité juridique distincte, était la seule à avoir employé et rémunéré l'intéressé dans le cadre d'un contrat de travail impliquant un lien de subordination, ce dont il résultait qu'il avait droit au paiement de salaires malgré ses autres sources de rémunérations;
Sur le troisième moyen :
Attendu que la société Technogram fait grief à l'arrêt d'avoir dit applicable la convention collective des bureaux d'études techniques, cabinets d'ingénieurs-conseils, sociétés de conseil, alors, selon le moyen, qu'après avoir admis que M. X... était directeur administratif, effectif et responsable, la cour d'appel n'a pas recherché si M. X..., écartant pendant dix ans l'application d'une convention qu'elle considère obligatoire, n'a pas commis une faute le rendant irrecevable à en demander le bénéfice ;
qu'ayant constaté que la sécurité sociale et le ministère de la recherche avaient vérifié sur place la classification en recherche de l'activité de Technogram, la cour d'appel n'a pas explicité en quoi ces avis auraient été insuffisants; que critiquant la classification de recherche non marchande attribuée par l'INSEE à Technogram au motif que les services étaient vendus, la cour d'appel a contredit les règles de classement de la nomenclature NAP 1973 du décret 73-1036 du 9 novembre 1973, qui classe en non marchands (introduction 11-2-14) les services rémunérés par des ressources transférées d'administrations publiques, activité essentielle de Technogram; que critiquant le critère "non marchand", mais non celui de recherche, la cour d'appel n'a pas recherché s'il existait une classification "recherche, service marchands" : que c'est le code 8301; que l'article 3 du décret susvisé n'a pas été respecté; que la cour d'appel n'a pas explicité en quoi un critère de "services marchands" ferait relever Technogram de la convention collective des bureaux d'études techniques; qu'étudiant l'extension du 20 avril 1973 de la convention au champ d'application défini, non par une description, mais par des numéros rendus caducs par le décret du 9 novembre 1973, la cour d'appel, précisant que l'avenant de rectification du 24 mars 1977 n'avait jamais été étendu (toute la convention ayant été refondue en 1988, après la période contestée), l'a appliqué sans base légale; que si cet avenant avait été opposable, la cour d'appel aurait dû rechercher si le personnel de réalisation ne dépassait pas 20% du total, ce qui faisait sortir Technogram du champ d'application (article 1-2);
Mais attendu que la cour d'appel, après avoir exactement énoncé que l'application d'une convention collective dépend de l'activité principale et réellement exercée avec une certaine stabilité par l'entreprise, a, appréciant les éléments de fait et de preuve qui lui étaient soumis et sans encourir les griefs du moyen, pu retenir que la société Technogram relevait de la convention collective des bureaux d'études, techniques, cabinets d'ingénieurs-conseils, sociétés de conseil; que le moyen n'est pas fondé;
Sur le quatrième moyen :
Attendu que la société Technogram fait grief à l'arrêt d'avoir qualifié en licenciement la rupture du contrat de travail de M. X..., alors, selon le moyen, que, fixant une autorisation tacite de licenciement au 12 décembre 1985, la cour d'appel ne s'est pas interrogée si une autorisation explicite n'avait pas eu lieu le 3 décembre, ni par ailleurs explicité en quoi toute autorisation doit être nécessairement utilisée ;
qu'énonçant que l'accord du 27 novembre 1985 n'était pas signé par l'employeur, la cour d'appel n'a pas recherché combien de documents originaux avaient été établis pour 4 signatures ni combien avaient été communiqués et par quelles parties; qu'énonçant que les concessions réciproques de l'accord n'étaient pas réelles, la cour d'appel ne les a pas analysées, ni recherché l'importance pour M. X... d'obtenir de Technogram et du groupe une renonciation, de facto, aux poursuites pénales pour abus de blanc seing sur les chèques présignés par son épouse de l'époque, d'une part, pour tentative de mise en cessation de paiement de la société qu'elle dirigeait, d'autre part, pour détournement d'allocations de sécurité sociale subrogées, enfin, ni les torts que s'épargnait M. X... dans la procédure de divorce qu'il venait de décider; que retenant comme preuve unique du licenciement le remboursement du fonds commun de placement à M. X..., la cour d'appel n'a pas indiqué sur quels documents elle se fondait, ni recherché s'ils avaient été communiqués, ni si la "déclaration" supposée avait pu être antérieure à l'accord des parties pour renoncer au licenciement, ni si la loi de finances pour 1984, reprise à l'article L. 471-2 du Code du travail, faisait une différence quant au droit à remboursement, entre licenciement et départ volontaire; que de même que la cour d'appel n'a pas recherché, quant aux rémunérations, en quoi l'individualisation juridique de chaque société du groupe impliquait leur indépendance contractuelle, elle n'a pas recherché si l'activité de M. X... dans la société de copropriété du groupe n'était pas ancienne et essentielle et si sa démission sans préavis ni concertation n'impliquait pas renonciation aux contreparties des autres entités du groupe, dont Technogram;
Mais attendu que la cour d'appel, appréciant les éléments de fait et de preuve qui lui étaient soumis a constaté, sans encourir les griefs du moyen que M. X... avait fait l'objet d'un licenciement économique régulièrement autorisé; que le moyen n'est pas fondé;
Sur les cinquième et sixième moyens réunis :
Attendu que la société Technogram fait grief à l'arrêt d'avoir reconnu à M. X... la qualité de cadre et de l'avoir condamnée au paiement d'un rappel de salaires, alors, selon les moyens, d'une part, qu'en classant l'intéressé en catégorie "cadres" mais en constatant qu'il ne justifie d'aucune formation supérieure reconnue par la loi ou de niveau équivalent, la cour d'appel contredit la convention collective (annexe ingénieurs, assimilés et cadres, "définition") qu'elle retient; d'autre part, qu'en sélectionnant pour M. X... un des postes de la convention collective, la cour d'appel n'a pas recherché si la définition du poste pouvait s'appliquer à une position qui permettait l'exercice simultané d'une deuxième activité, constante et rémunérée par ailleurs près du double;
Mais attendu que la cour d'appel a exactement décidé, compte-tenu, d'une part, des responsabilités confiées à M. X... qui avait une certaine autonomie de décision dans son travail et, d'autre part, de son niveau d'études, d'expérience professionnelle et de sa pratique dans le poste occupé, que celui-ci relevait de la catégorie des cadres niveau 2-3 coefficient 150, telle que prévue à la convention collective applicable et déterminant le salaire auquel il avait droit; que les moyens ne sont pas fondés;
Sur le septième moyen :
Attendu que la société Technogram fait grief à l'arrêt de l'avoir condamnée au paiement de dommages-intérêts pour non remise de documents conformes, alors, selon le moyen, qu'en décidant une telle indemnisation la cour d'appel n'a pas expliqué pourquoi elle admettait que le certificat de travail n'avait pas été remis; qu'elle n'a pas vérifié la date du 1er janvier 1978; qu'ayant noté que M. X..., cinq ans après son départ, ne s'était jamais inscrit comme demandeur d'emploi (droit ouvert même sur démission) n'a pas recherché si, dans la réglementation de l'époque, le formulaire Assedic pouvait être obtenu sans inscription et, dans ce cas, par un tiers autre que le salarié;
Mais attendu que la cour d'appel, appréciant les éléments de fait et de preuve qui lui étaient soumis, a relevé que la société Technogram n'avait remis au salarié qu'un certificat de travail erroné quant à la date de son engagement, et qu'il ne lui avait été délivré ni lettre de licenciement ni attestation Assedic, ce dont il était résulté pour l'intéressé un préjudice dont elle a souverainement évalué le montant; que le moyen n'est pas fondé;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Technogram aux dépens ;
Condamne la société Technogram à une amende civile de 10 000 francs envers le Trésor public;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre sociale, et prononcé par M. le président en son audience publique du vingt novembre mil neuf cent quatre-vingt-seize.