CASSATION PARTIELLE sur le pourvoi formé par :
- l'administration des Douanes, partie poursuivante,
contre l'arrêt de la cour d'appel de Montpellier, 3e chambre, en date du 3 mai 1995, qui l'a déboutée de l'ensemble de ses demandes après mise hors de cause d'André Y... et de la société Philippe Rey et renvoi d'André Z... et de la société Codefa des fins de la poursuite du chef d'importation sans déclaration de marchandises prohibées.
LA COUR,
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que, du 17 octobre 1989 au 28 février 1990, la société Philippe Rey, commissionnaire en douane, a procédé aux bureaux des Douanes du Boulou et de Perpignan, pour le compte de la société Codefa, commissionnaire à la vente au marché d'intérêt national de Perpignan, à l'importation de 45 chargements de légumes en provenance de la société espagnole
X...
;
Attendu qu'un contrôle douanier a permis de constater que, si le poids total des marchandises correspondait aux documents d'accompagnement communautaires, les déclarations omettaient de mentionner les colis de concombres, dont l'importation était alors soumise à l'acquittement de taxes compensatoires ou de montants correcteurs ;
Attendu qu'ainsi les fausses déclarations sur l'espèce, concernant 266 520 kg de concombres, ont conduit à éluder 1 171 848 francs de taxes de cette nature, 220 341 francs de droits de douane et 148 092 francs de TVA ;
En cet état ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 399, 336, 414, 435, 426-3 du Code des douanes, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré la société Rey hors de cause ;
" aux motifs qu'il ressort du procès-verbal du conseil d'administration qu'André Y... n'a été nommé président-directeur général de la société Rey qu'à compter du 14 juin 1990 ; qu'il n'était donc pas président-directeur général de la société Rey à l'époque des faits poursuivis ; que la poursuite est donc mal dirigée et partant irrecevable à l'encontre d'André Y... ; que ce dernier ne peut donc qu'être mis hors de cause et par voie de conséquence aucune demande ne peut prospérer à l'encontre de la société Rey qui ne peut être déclarée civilement responsable d'un préposé qui, à la date des faits, n'était pas dans l'exercice des fonctions pour lesquelles il a été cité ;
" alors qu'il résulte des conclusions d'appel de la demanderesse que la société Rey, André Y... et José X... avaient été cités en tant que pénalement responsables pour avoir importé sans déclaration des marchandises prohibées ; que la société Rey n'était donc pas poursuivie en tant que " civilement responsable " ; qu'en déclarant dès lors qu'aucune demande ne peut prospérer contre la société Rey qui ne peut être déclarée " civilement responsable " d'un préposé, André Y..., qui n'était pas le président-directeur général de celle-ci au moment des faits délictueux, la cour d'appel a violé l'article 593 du Code de procédure pénale " ;
Attendu que, contrairement aux allégations de la demanderesse, il résulte des pièces de procédure que la société Philippe Rey était citée par l'administration des Douanes, non en tant que prévenue solidairement responsable, mais en qualité de " civilement responsable " de son président André Y... ;
D'où il suit que le moyen, qui manque en fait, ne peut qu'être écarté ;
Mais sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 336, 399, 414, 415, 426-3 du Code des douanes, 593 du Code de procédure pénale :
" en ce que l'arrêt attaqué a relaxé André Z... et la société Codefa des fins de la poursuite ;
" aux motifs que la société Codefa n'est jamais devenue propriétaire des marchandises ; que l'intégralité des frais liés au dédouanement était réglée par la société Codefa au commissionnaire en douane mais en imputait aussitôt le montant sur les sommes dont elle était redevable à José X..., qui supportait l'incidence de ces frais liés au dédouanement et notamment des éventuels taxes compensatoires ou montants correcteurs ; que la société Codefa récupérait sur le Trésor public la TVA qui ne constituait pas pour elle une charge effective ; qu'elle déterminait elle-même, en fonction du cours du marché, le prix auquel elle estimait opportun de vendre la marchandise à elle confiée ; que sa commission, déterminée à 8 %, dépendait exclusivement du prix auquel elle avait pu vendre la marchandise ; qu'il n'est pas démontré que cette société ait commercialisé les concombres incriminés à un coût inférieur à ceux pratiqués par les concurrents ; qu'elle n'avait pas un intérêt direct à la fraude ; que l'Administration n'a pas soutenu ni allégué qu'il ait pu exister un plan de fraude entre José X... et André Z... ; que la société Codefa ne faisait que recevoir la marchandise après le dédouanement et donc après la fraude ; qu'il n'existe aucun acte visant à couvrir les agissements de l'auteur de la fraude ; qu'André Z... souligne qu'il n'a jamais été informé des irrégularités relevées par l'enquête douanière ; qu'à l'arrivée chez le destinataire, le magasinier de la société Codefa était chargé de vérifier la conformité entre le chargement et la marchandise effectivement reçue ; qu'aucune disparité n'a été constatée ; que l'examen des pièces saisies ne permet pas de savoir si la société Codefa avait en main la déclaration d'exportation ; qu'il aurait fallu un hasard certain pour que le magasinier de la société Codefa s'aperçoive de la disparité entre la marchandise reçue et la liste de l'attestation de dédouanement à laquelle il n'avait aucune raison de se référer alors qu'il disposait du détail de la marchandise attendue, tel qu'il était établi à partir des télex adressés par l'expéditeur espagnol ; que le fait que les attestations aient été agrafées aux fiches établies lors de l'examen du détail du chargement n'établit pas qu'elles aient effectivement donné lieu à une étude détaillée ; que si la société Codefa avait eu une intention de fraude, elle n'aurait pas conservé les attestations de dédouanement et le détail des chargements, facilitant ainsi la comparaison entre ces documents dont les disparités ont permis de constater l'existence des infractions ; qu'André Z... n'est pas intervenu dans ces opérations matérielles et il n'est pas établi qu'il aurait été averti d'une anomalie à cet égard ;
" alors que, si dans ses conclusions d'appel, la demanderesse avait fait valoir que " André Z... ne peut sérieusement nier qu'il participait à un vaste plan de fraude, il ressort du dossier que, durant les périodes où les concombres d'Espagne n'étaient soumis ni à montants correcteurs ni à taxes compensatoires, la société Codefa commercialisait régulièrement ce type de marchandises en provenance de José X... ; que les télex adressés par l'exportateur espagnol donnaient la composition exacte des chargements expédiés au destinataire français, mentionnant par conséquent la présence des concombres litigieux " ; qu'elle ajoutait que " la société Codefa avait en main tous les éléments permettant de constater l'omission des concombres " et que le fait qu'elle n'ait à aucun moment tenté de régulariser la situation est significatif de sa " complaisance active " ; qu'en déclarant que la demanderesse n'aurait ni allégué ni établi l'existence d'un plan de fraude entre André Z... et José X..., la cour d'appel a méconnu les écritures de la demanderesse et violé l'article 593 du Code de procédure pénale " ;
Vu lesdits articles ;
Attendu que selon l'article 399-2 du Code des douanes, en cas de coopération d'une manière quelconque à un plan de fraude, l'intérêt à la fraude est légalement présumé ; que, si le prévenu doit avoir eu conscience de coopérer à une opération irrégulière, il n'est pas nécessaire d'établir contre lui la connaissance des modalités du plan de fraude, ni l'existence d'un concert frauduleux avec l'auteur principal, ni un profit personnel retiré de l'opération ;
Attendu qu'il est reproché à André Z..., président de la société Codefa, d'avoir participé, comme intéressé à la fraude, au délit d'importation sans déclaration définitivement retenu à la charge de José X..., lequel avait d'ailleurs reconnu les faits ; que la SA Codefa a été citée comme " civilement responsable " ;
Attendu qu'après avoir relevé que la société Codefa, mandataire de José X..., réglait pour le compte de ce dernier au commissionnaire en douane l'intégralité des frais, droits et taxes liés au dédouanement, l'arrêt attaqué énonce, au soutien de sa décision de relaxe, que la société Codefa, rémunérée par un pourcentage fixe sur les ventes, et son dirigeant André Z..., ne faisant que recevoir la marchandise après le dédouanement, et donc après la fraude, n'avaient pas un intérêt direct à celle-ci ; que la cour d'appel retient encore qu'il n'est pas démontré ni soutenu par l'Administration qu'il ait pu exister un plan de fraude arrêté en commun entre José X... et André Z... ; que celui-ci n'est jamais intervenu directement dans les opérations purement matérielles de réception des fruits et légumes et qu'il n'est pas établi qu'il ait couvert les agissements de l'auteur de la fraude, ou même qu'il ait été informé d'irrégularités des déclarations douanières, le contrôle de son magasinier se bornant à vérifier la conformité de la marchandise reçue avec les bons d'expédition et non avec les attestations de dédouanement ; que le fait que ces dernières aient été agrafées aux fiches d'inventaire et conservées par la société Codefa, apparaît au contraire comme un élément de bonne foi ;
Mais attendu qu'en prononçant ainsi, sans répondre aux conclusions de la partie poursuivante qui soutenait la participation consciente de la société Codefa à un " vaste plan de fraude " et sa " complaisance active " dans l'écoulement des produits litigieux, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée des textes susvisés ;
D'où il suit que la cassation est encourue ;
Et sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 369-4, 377 bis du Code des douanes, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale :
" en ce que la cour d'appel a refusé de condamner les prévenus au paiement des droits éludés ;
" alors qu'il résulte des dispositions combinées des articles 369-4 et 377 bis du Code des douanes que la juridiction répressive, lorsqu'elle est saisie d'une demande de l'administration des Douanes, ne peut, même en cas de relaxe, dispenser le redevable du paiement des sommes fraudées ou indûment obtenues ; que la demanderesse avait demandé la condamnation des prévenus au paiement des droits et taxes éludés ; que la cour d'appel, tout en constatant que les disparités avaient permis à la demanderesse de constater l'existence des infractions, a refusé de condamner les prévenus au montant des droits éludés, motif pris de leur relaxe ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés " ;
Vu lesdits articles ;
Attendu qu'il résulte des dispositions combinées des articles 369-4 et 377 bis du Code des douanes, dans sa rédaction issue de l'article 36 de la loi de finances rectificative du 30 décembre 1991, que la juridiction répressive, lorsqu'elle est saisie d'une demande de l'administration des Douanes, ne peut, même en cas de relaxe, dispenser le redevable du paiement des sommes qu'elle reconnaît fraudées ou indûment obtenues ;
Attendu que l'arrêt attaqué, après avoir renvoyé les prévenus des fins de la poursuite, ne s'est pas prononcé sur la demande de l'administration des Douanes tendant à leur condamnation solidaire au paiement de la somme de 1 540 281 francs représentant les droits et taxes éludés ;
Mais attendu qu'en statuant ainsi, sans égard aux dispositions précitées, applicables immédiatement aux instances en cours depuis l'entrée en vigueur de la loi de finances rectificative du 30 décembre 1991, s'agissant d'une loi de compétence, la cour d'appel a méconnu les textes visés au moyen ;
D'où il suit que la cassation est derechef encourue ;
Par ces motifs :
CASSE ET ANNULE l'arrêt de la cour d'appel de Montpellier du 3 mai 1995, en ce qu'il a renvoyé des fins de la poursuite André Z... et la SA Codefa et a omis de les condamner au paiement des droits fraudés ;
Et, pour qu'il soit jugé à nouveau conformément à la loi, dans la limite de la cassation ainsi prononcée :
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Toulouse.