AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par M. le directeur général des Impôts, demeurant ministère du Budget, ...,
en cassation d'un jugement rendu le 1er juillet 1994 par le tribunal de grande instance de Privas (1ère chambre), au profit de la société Clairgel, société anonyme, dont le siège social est sis ...,
défenderesse à la cassation ;
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt;
LA COUR, en l'audience publique du 5 juin 1996, où étaient présents : M. Bézard, président, M. Huglo, conseiller référendaire rapporteur, MM. Nicot, Vigneron, Leclercq, Dumas, Gomez, Léonnet, Poullain, Canivet, conseillers, Mmes Geerssen, Mouillard, conseillers référendaires, M. Lafortune, avocat général, Mme Arnoux, greffier de chambre;
Sur le rapport de M. le conseiller référendaire Huglo, les observations de Me Goutet, avocat de M. le directeur général des Impôts, de la SCP Célice et Blancpain, avocat de la société Clairgel, les conclusions de M. Lafortune, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi;
Sur le moyen unique, pris en ses trois branches :
Attendu, selon le jugement déféré, (tribunal de grande instance de Privas, 1er juillet 1994), que, le 26 décembre 1991, la société à responsabilité limitée l'Alhambra a procédé à une augmentation de son capital par incorporation de réserves; qu'elle a acquitté à ce titre un droit d'enregistrement de 3 % sur le fondement de l'article 812 du Code général des Impôts, dans sa rédaction antérieure à la loi du 30 décembre 1993 ;
que, la société Clairgel, venant aux droits de la société l'Alhambra, a réclamé, le 11 janvier 1993, la restitution de la totalité des droits acquittés ;
qu'après le rejet de sa réclamation, elle a assigné le directeur des services fiscaux de l'Ardèche devant le Tribunal;
Attendu que le directeur général des Impôts fait grief au jugement d'avoir accueilli la demande de la société Clairgel, alors, selon le pourvoi, d'une part, que le droit visé à l'article 812-I.1° ancien, du Code général des Impôts est un substitut d'impôt de distribution perçu selon les techniques des droits d'enregistrement; que, comme l'administration l'a soutenu devant les juges du fond, il n'est pas visé par les directives européennes susvisées qui ne concernent que le droit d'apport ordinaire perçu sur les apports effectués à titre pur et simple; qu'en énonçant le contraire le Tribunal a violé l'article 812-I.1° précité ainsi que l'article 7-1 de la directive 69/335/CEE du 17 juillet 1969, modifiée; et alors, d'autre part, que subsidiairement, à supposer que ce droit entre dans le champ d'application de la directive précitée, l'article 9 de la directive prévoit que "certaines catégories d'opérations ou de sociétés de capitaux peuvent faire l'objet d'exonérations, de réductions ou de majorations de taux pour des motifs d'équité fiscale ou d'ordre social ou pour mettre un Etat membre en mesure de faire face à des situations particulières"; qu'en application de cet article, la France s'est vue reconnaître le droit d'appliquer une majoration de taux qu'il prévoit; qu'ainsi le Tribunal a violé l'article 9 de la directive 69/335/CEE du 17 juillet 1969 modifiée; et alors, enfin, que très subsidiairement et en tout état de cause, l'article 1er-2 de la directive 85/303/CEE du 10 juin 1985 a autorisé une taxation des opérations désignées à l'article 7-1 de la directive 69/335/CEE du 17 juillet 1962 à un taux égal à 1 %, à compter du 1er janvier 1986; qu'en l'espèce, la décision d'augmentation de capital par incorporation de réserves ayant été enregistré le 20 février 1992, l'administration était, de toute manière, fondée à procéder à une imposition au taux de 1 %; qu'en ordonnant la restitution totale de la taxation établie au taux de 3 %, le Tribunal a violé l'article 1er-2 de la directive 85/303/CEE du 10 juin 1985, en vigueur au moment des faits;
Mais attendu, d'une part, que, par arrêt du 13 février 1996 (société Bautiaa), la Cour de justice des communautés européennes a jugé que les opérations qui sont soumises ou qui peuvent être soumises par les Etats membres au droit d'apport harmonisé, sont définies à l'article 4 de la directive de manière objective et uniforme pour tous les Etats membres, sans référence aux spécificités éventuelles des droits nationaux ou à l'organisation des régimes fiscaux nationaux, et que l'article 7, paragraphe 2, de la directive, tel que modifié par l'article 1er de la directive 85/303 du Conseil, du 10 juin 1985, dispose que peuvent continuer à être soumises au droit d'apport dans la mesure où elles sont taxées au taux de 1 % les opérations d'augmentation du capital social d'une société de capitaux par incorporation de bénéfices, réserves ou provisions; que c'est donc à bon droit que le Tribunal a jugé la directive applicable à ce droit d'apport;
Attendu, d'autre part, que dans l'arrêt précité du 13 février 1996, la Cour de justice des communautés européennes a constaté que le gouvernement français n'a pu fournir d'informations sur l'éventuelle inscription de la déclaration dont il fait état au procès-verbal de la session du Conseil, que la procédure de l'article 9 de la directive, qui renvoie expressément à celle de l'article 102 du Traité, n'a pas été suivie en l'espèce; qu'en outre, il résulte de la jurisprudence de cette Cour (arrêt du 26 février 1991, Antonissen) que les déclarations inscrites à un procès-verbal du conseil lors de travaux préparatoires aboutissant à l'adoption d'une directive ne sauraient être retenues pour son interprétation lorsque le contenu de la déclaration ne trouve aucune expression dans le texte de la disposition en cause et n'a, dès lors, pas de portée juridique ;
que, par ce motif de pur droit, le jugement se trouve justifié;
Attendu, enfin, qu'il ne résulte ni du jugement ni des conclusions présentées devant le Tribunal que l'administration des impôts ait fait valoir le grief visé par la troisième branche du moyen; que ce grief qui implique l'examen de l'assiette, du taux et des modalités de recouvrement du droit d'enregistrement dû en l'espèce, donc de circonstances de fait que le Tribunal n'a pas connues, est irrecevable devant la Cour de Cassation;
Que le moyen ne peut être accueilli en aucune de ses branches;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne le directeur général des impôts aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette la demande de la société Clairgel;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par M. le président en son audience publique du neuf juillet mil neuf cent quatre-vingt-seize.