AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par M. le directeur général des Impôts, domicilié ministère du Budget, ...,
en cassation d'un jugement rendu le 20 mai 1994 par le tribunal de grande instance de Poitiers, au profit de la société Etablissements Touillet, société anonyme, dont le siège est ...,
défenderesse à la cassation ;
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt;
LA COUR, en l'audience publique du 18 juin 1996, où étaient présents : M. Bézard, président, M. Huglo, conseiller référendaire rapporteur, MM. Nicot, Vigneron, Leclercq, Dumas, Gomez, Léonnet, Poullain, Canivet, conseillers, Mme Geerssen, Mme Mouillard, conseillers référendaires, M. de Gouttes, avocat général, Mme Moratille, greffier de chambre;
Sur le rapport de M. le conseiller référendaire Huglo, les observations de Me Goutet, avocat de M. le directeur général des Impôts, de la SCP Delaporte et Briard, avocat de la société Etablissements Touillet, les conclusions de M. de Gouttes, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi;
Sur le moyen unique, pris en ses trois branches :
Attendu, selon le jugement déféré, (tribunal de grande instance de Poitiers, 20 mai 1994), que, le 15 avril 1987, la société anonyme Etablissements Touillet a procédé à l'augmentation du capital social par incorporation de réserves; qu'elle a, de nouveau, procédé le 30 juin 1990, à une augmentation de son capital social, également par incorporation de réserves; qu'elle a acquitté des droits d'enregistrement de 3 % en application de l'article 812 du Code général des impôts, dans sa rédaction antérieure à la loi du 30 décembre 1993; qu'elle a, le 5 avril 1993, réclamé à l'administration des Impôts la restitution de la totalité des droits acquittés ;
qu'après le rejet de sa réclamation, elle a assigné le directeur des services fiscaux de la Vienne devant le Tribunal;
Attendu que le directeur général des Impôts fait grief au jugement d'avoir annulé la demande de la société Touillet, alors, selon le pourvoi, d'une part, qu'aux termes de l'article R. 196-1, alinéa 1, b, du Livre des procédures fiscales, les réclamations doivent être présentées à l'administration au plus tard le 31 décembre de la deuxième année suivant celle du versement de l'impôt acquitté spontanément; qu'en l'espèce, ainsi qu'il ressort des faits constatés expressément par le juge, la réclamation du 5 avril 1993 relative aux droits payés le 27 avril 1987 et le 26 juillet 1990 était irrecevable, comme tardive; qu'ainsi le Tribunal a violé l'article R. 196-1, alinéa 1, b, précité; et alors que, d'autre part, que le droit visé à l'article 812-I.1° ancien, du Code général des impôts est un substitut d'impôt de distribution perçu selon les techniques des droits d'enregistrement; que, comme l'administration l'a soutenu devant les juges du fond, il n'est pas visé par les directives européennes susvisées qui ne concernent que le droit d'apport ordinaire perçu sur les apports effectués à titre pur et simple; qu'en énonçant le contraire le Tribunal a violé l'article 812-I.1° précité ainsi que l'article 7-1 de la directive 69/335/CEE du 17 juillet 1969, modifiée;
et alors, qu'enfin, subsidiairement, à supposer que ce droit entre dans le champ d'application de la directive précitée, l'article 9 de la directive prévoit que "certaines catégories d'opérations ou de sociétés de capitaux peuvent faire l'objet d'exonérations, de réductions ou de majorations de taux pour des motifs d'équité fiscale ou d'ordre social ou pour mettre un Etat membre en mesure de faire face à des situations particulières"; qu'en application de cet article, la France s'est vue reconnaître le droit d'appliquer une majoration de taux qu'il prévoit; qu'ainsi le Tribunal a violé l'article 9 de la directive 69/335/CEE du 17 juillet 1969 modifiée;
Mais attendu, d'une part, que dans un arrêt du 25 juillet 1991 (Emmott), la Cour de justice des Communautés européennes a dit pour droit que le droit communautaire s'oppose à ce que les autorités compétentes d'un Etat membre invoquent les règles de procédure nationale relatives aux délais de recours dans le cadre d'une action engagée à leur encontre par un particulier devant les juridictions nationales, en vue de la protection des droits directement conférés par une directive, aussi longtemps que cet Etat membre n'a pas transposé correctement les dispositions de cette directive dans son ordre juridique interne; que les dispositions de la directive 85/303 du Conseil, du 10 juin 1985, permettant soit de taxer à 1 % soit d' exonérer de tout droit d'apport les opérations d'augmentation du capital social par incorporation de réserves, bénéfices ou provisions, à compter du 1er janvier 1986, précises et inconditionnelles, n'ont été introduites en droit français que par la loi n° 93-1352 du 30 décembre 1993; que c'est donc à compter de l'entrée en vigueur de cette loi que court le délai de réclamation de l'article R. 196-1 du Livre des procédures fiscales; que, par ce motif de pur droit, le jugement se trouve justifié;
Attendu, d'autre part, que, par arrêt du 13 février 1996 (société Bautiaa), la Cour de justice des Communautés européennes a jugé que les opérations qui sont soumises ou qui peuvent être soumises par les Etats membres au droit d'apport harmonisé, sont définies à l'article 4 de la directive de manière objective et uniforme pour tous les Etats membres, sans référence aux spécificités éventuelles des droits nationaux ou à l'organisation des régimes fiscaux nationaux, et que l'article 7, paragraphe 2, de la directive, tel que modifié par l'article 1er de la directive 85/303 du Conseil, du 10 juin 1985, dispose que peuvent continuer à être soumises au droit d'apport dans la mesure où elles sont taxées au taux de 1 % les opérations d'augmentation du capital social d'une société de capitaux par incorporation de bénéfices, réserves ou provisions; que c'est donc à bon droit que le Tribunal a jugé la directive applicable à ce droit d'apport;
Attendu, enfin, que dans l'arrêt précité du 13 février 1996, la Cour de justice des Communautés européennes a constaté que le Gouvernement français n'a pu fournir d'informations sur l'éventuelle inscription de la déclaration dont il fait état au procès-verbal de la session du Conseil, que la procédure de l'article 9 de la directive, qui renvoie expressément à celle de l'article 102 du traité, n'a pas été suivie en l'espèce; qu'en outre, il résulte de la jurisprudence de cette Cour (arrêt du 26 février 1991, Antonissen) que les déclarations inscrites à un procès-verbal du Conseil lors de travaux préparatoires aboutissant à l'adoption d'une directive ne sauraient être retenues pour son interprétation lorsque le contenu de la déclaration ne trouve aucune expression dans le texte de la disposition en cause et n'a, dès lors, pas de portée juridique ;
que, par ce motif de pur droit, le jugement se trouve justifié;
Que le moyen, qui n'est pas fondé en sa deuxième branche, ne peut être accueilli pour le surplus;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne le directeur général des Impôts, aux dépens et aux frais d'exécution du présent arrêt;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette la demande de la société Etablissements Touillet;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par M. le président en son audience publique du neuf juillet mil neuf cent quatre-vingt-seize.