Joint les pourvois n°s 94-11.351 et 94-11.428 qui attaquent le même jugement ;
Attendu, selon le jugement attaqué, que la Société de participations industrielles et commerciales a acquitté, le 21 janvier 1982, des droits d'enregistrement de 1,20 % pour la fusion-absorption de la société Chaussures André décidée le 22 décembre 1981, en application de l'article 816-1.2° du Code général des impôts alors en vigueur ; que cette société, devenue entre-temps la société Chaussures André, a acquitté le 30 juillet 1987 de nouveaux droits d'enregistrement de 1,20 % pour l'absorption de la société Cuuf réalisée le 23 juillet 1987 ; qu'enfin, elle a acquitté, le 7 novembre 1990, des droits d'enregistrement à 1,20 % pour la fusion-absorption, le 30 août 1990, des sociétés SAG Chaussures, compagnie nouvelle des Halles aux Chaussures, Gervais et Malory ; que, par réclamation du 15 novembre 1991, elle a sollicité la restitution des droits d'enregistrement ainsi acquittés ; qu'en l'absence de réponse de l'administration des Impôts, la société, dont la dénomination est devenue entre-temps " Groupe André ", a assigné le Directeur général des Impôts devant le tribunal de grande instance ; que celui-ci a déclaré irrecevable sa demande pour les droits acquittés en 1982, mais l'a accueillie pour le surplus ;
Sur le premier moyen du pourvoi n° 94-11.428, pris en ses deux branches :
Attendu que le Directeur général des Impôts fait grief au jugement d'avoir déclaré recevable la demande en ce qui concerne les droits acquittés en 1987, alors, selon le pourvoi, d'une part, que le juge doit en toutes circonstances faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ; qu'en relevant d'office le moyen tiré de la mise en oeuvre de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 sans mettre les parties à même de présenter leurs observations le Tribunal a violé l'article 16 du nouveau Code de procédure civile ; et alors, d'autre part, qu'il résulte des termes de l'article L. 190, alinéa 2, du Livre des procédures fiscales que sont instruites et jugées selon les règles propres au contentieux fiscal les actions tendant à la décharge ou à la réduction d'une imposition fondée sur la non-conformité de la règle de droit dont il a été fait application à la règle de droit supérieure ; que ce texte, qui s'applique aux litiges engagés par des réclamations présentées, comme en l'espèce, après son entrée en vigueur, exclut la mise en oeuvre des dispositions de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 ; qu'il s'ensuit que la recevabilité de la réclamation formulée le 15 novembre 1991 doit être appréciée au regard du délai mentionné à l'article R. 196-1, alinéa 1er, b, du Livre des procédures fiscales ; qu'en décidant néanmoins de faire application de la déchéance quadriennale prévue par la loi du 31 décembre 1968 le Tribunal a violé les textes susvisés ;
Mais attendu que, dans un arrêt du 25 juillet 1991 (Emmott), la Cour de justice des Communautés européennes a dit pour droit que le droit communautaire s'oppose à ce que les autorités compétentes d'un Etat membre invoquent les règles de procédure nationales relatives aux délais de recours dans le cadre d'une action engagée à leur encontre par un particulier devant les juridictions nationales, en vue de la protection des droits directement conférés par une directive, aussi longtemps que cet Etat membre n'a pas transposé correctement les dispositions de cette directive dans son ordre juridique interne ; que les dispositions de la directive 85-303 du Conseil, du 10 juin 1985, exonérant de tout droit d'apport les opérations de fusion à compter du 1er janvier 1986, précises et inconditionnelles, n'ont été introduites en droit français que par la loi n° 93-1352 du 30 décembre 1993 ; que c'est donc à compter de l'entrée en vigueur de cette loi que court le délai de réclamation de l'article R. 196-1 du Livre des procédures fiscales ; que, par ce motif de pur droit, abstraction faite des motifs erronés du tribunal, le jugement se trouve justifié ; que le moyen ne peut être accueilli en aucune de ses branches ;
Sur le second moyen du pourvoi n° 94-11.428, pris en ses deux branches :
Attendu que le Directeur général des Impôts fait grief au jugement d'avoir accueilli la demande du Groupe André pour les années 1987 et 1990 alors, selon le pourvoi, d'une part, que le droit visé à l'article 816-1.2°, ancien, du Code général des impôts est un substitut d'impôt de distribution perçu selon les techniques des droits d'enregistrement ; que, comme l'Administration l'a soutenu devant les juges du fond, il n'est pas visé par les directives européennes susvisées qui ne concernent que le droit d'apport ordinaire perçu sur les apports effectués à titre pur et simple ; qu'en énonçant le contraire, le Tribunal a violé l'article 816-1.2° précité ainsi que l'article 7-1 de la directive n° 69-335/CEE du 17 juillet 1969, modifiée (directive n° 85/030/CEE du 10 juin 1985) ; et alors, d'autre part, que subsidiairement, à supposer que ce droit entre dans le champ d'application de la directive précitée, l'article 9 de la directive prévoit que " certaines catégories d'opérations ou de sociétés de capitaux peuvent faire l'objet d'exonérations, de réductions ou de majorations de taux pour des motifs d'équité fiscale ou d'ordre social ou pour mettre un Etat membre en mesure de faire face à des situations particulières " ; qu'en application de cet article la France s'est vu reconnaître le droit d'appliquer une majoration de taux qu'il prévoit ; qu'ainsi le Tribunal a violé l'article 9 de la directive n° 69-335/CEE du 17 juillet 1969, modifiée ;
Mais attendu, d'une part, que, par arrêt du 13 février 1996 (société Bautiaa), la Cour de justice des Communautés européennes a dit pour droit que l'article 7, § 1, de la directive n° 69-335 du Conseil, du 17 juillet 1969, concernant les impôts indirects frappant les rassemblements de capitaux, tel qu'il a été modifié par la directive n° 73-80 du Conseil, du 9 avril 1973, concernant la fixation des taux communs du droit d'apport, applicable au 1er janvier 1976, puis par la directive n° 85-303 du Conseil, du 10 juin 1985, applicable au 1er janvier 1986, s'oppose à l'application d'une législation nationale maintenant à 1,20 % le taux du droit d'enregistrement sur les apports mobiliers effectués dans le cadre d'une fusion ; que c'est donc à bon droit que le Tribunal a jugé que l'article 816-1.2° du Code général des Impôts, alors en vigueur, était incompatible avec les directives n°s 73-80 et 85-303 ;
Attendu, d'autre part, que, dans l'arrêt précité, la Cour de justice des Communautés européennes a relevé que la dérogation dont se prévaut le Gouvernement français ne porte pas sur le taux du droit frappant les opérations visées à l'article 4, § 1 sous c) et à l'article 7, § 1 sous b) de la directive qui comprennent les opérations de fusion ; que, par ce motif de pur droit, le jugement se trouve justifié ;
Que le moyen, qui n'est pas fondé en sa première branche, ne peut être accueilli en sa seconde branche ;
Mais sur le deuxième moyen du pourvoi n° 94-11.351 :
Vu l'article 189 du Traité instituant la Communauté européenne ;
Attendu que, pour déclarer irrecevable la demande du Groupe André en restitution des droits d'enregistrement acquittés en 1982, le jugement retient que la réclamation n'a pas été présentée dans le délai de déchéance quadriennale de la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;
Attendu qu'en statuant ainsi, alors que les dispositions de la directive n° 73-80 du Conseil, du 9 avril 1973, fixant à un taux maximal de 0,50 % le droit d'apport des opérations de fusion à compter du 1er janvier 1976, précises et inconditionnelles, n'ont été introduites en droit français que par la loi n° 93-1352 du 30 décembre 1993, que c'est donc à compter de l'entrée en vigueur de cette loi que court le délai de réclamation de l'article R. 196-1 du Livre des procédures fiscales, seule disposition applicable en l'espèce, le Tribunal a violé le texte susvisé ;
Et sur le troisième moyen du pourvoi n° 94-11.351 :
Vu l'article L. 190, deuxième et troisième alinéas, du Livre des procédures fiscales ;
Attendu que, pour statuer comme il a fait, le jugement retient que le délai de 4 années institué par le texte susvisé est applicable en l'espèce ;
Attendu qu'en statuant ainsi, alors que l'article L. 190, troisième alinéa, du Livre des procédures fiscales dispose que, lorsque la non-conformité de la règle de droit dont il a été fait application à une règle de droit supérieure a été révélée par une décision juridictionnelle, l'action en restitution des sommes versées ne peut porter que sur la période postérieure au 1er janvier de la quatrième année précédant celle où la décision révélant la non-conformité est intervenue, ne concerne que les actions exercées postérieurement à l'intervention de la décision révélant la non-conformité à la règle de droit supérieure ; que l'article 816-1.2° du Code général des impôts a été déclaré incompatible avec les directives précitées par arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes du 13 février 1996, que la réclamation du 15 novembre 1991 du Groupe André n'était donc pas fondée sur l'intervention de cette décision et que l'article L. 190, troisième alinéa, précité était dès lors inapplicable, le Tribunal a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi n° 94-11.351 :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a déclaré irrecevable la demande en restitution des droits d'enregistrement acquittés en 1982 par le Groupe André, le jugement rendu le 12 novembre 1993, entre les parties, par le tribunal de grande instance de Paris ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit jugement et, pour être fait droit, les renvoie devant le tribunal de grande instance de Nanterre.