AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par la société Hertel, dont le siège est ...,
en cassation d'un arrêt rendu le 18 février 1994 par la cour d'appel de Paris (15e chambre, section B), au profit :
1°/ de la Banque populaire de Saône-et-Loire et de l'Ain, dont le siège est 106, rue du Km 400, 71009 Macon Cedex,
2°/ de M. Baudouin X..., demeurant ..., pris en sa qualité d'administrateur judiciaire et de commissaire à l'exécution du plan du redressement judiciaire de la société Pierre et Pasquet,
3°/ de la société Pierre et Pasquet, dont le siège est ...,
défendeurs à la cassation ;
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt;
LA COUR, composée selon l'article L. 131-6, alinéa 2, du Code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 6 mai 1996, où étaient présents : M. Nicot, conseiller doyen faisant fonctions de président, M. Leclercq, conseiller rapporteur, M. Vigneron, conseiller, M. Raynaud, avocat général, Mme Moratille, greffier de chambre;
Sur le rapport de M. le conseiller Leclercq, les observations de la SCP Rouvière et Boutet, avocat de la société Hertel, de Me Bertrand, avocat de M. X..., de la SCP de Chaisemartin et Courjon, avocat de la Banque populaire de Saône-et-Loire et de l'Ain, les conclusions de M. Raynaud, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi;
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 18 février 1994), que la Banque populaire de Saône-et-Loire et de l'Ain (la banque) a assigné en paiement la société Hertel en invoquant une cession de créance sur le fondement de la loi du 2 janvier 1981, qu'elle lui avait notifiée; que la société Hertel lui a opposé à la fois une exception d'inexécution de la part de la société cédante et la compensation avec les créances résultant de pénalités de retard qu'elle prétendait avoir sur cette société cédante; que celle-ci, la société Pierre et Pasquet, a été mise en redressement judiciaire avant la poursuite de la banque contre la société Hertel et que celle-ci n'a pas déclaré de créances dans la procédure collective; que le paiement du solde du prix des travaux exécutés par la société Pierre et Pasquet, après déduction de la créance cédée à la banque, a été réclamé par l'administrateur du redressement judiciaire à la société Hertel;
Sur le premier moyen, pris en ses six branches :
Attendu que la société Hertel fait grief à l'arrêt du rejet de ses exceptions de compensation et d'inexécution, telles qu'opposées à la banque, alors, selon le pourvoi, d'une part, que l'arrêt ne tire pas les conséquences légales de ses propres constatations; que dans la mesure où la société Hertel n'a accepté de régler par lettre de change qu'une somme de 214 475 francs, seule tenue pour due après vérification du maître d'oeuvre, malgré une demande globale de paiement d'une somme de 340 000 francs, elle ne pouvait être tenue pour se reconnaissant débitrice de la différence soit 125 524 francs; que l'arrêt manque de base légale, au regard des articles 1315 et suivants, des articles 1354 et suivants du Code civil, ainsi que de l'article 6 de la loi "Dailly"; alors, d'autre part, que la cassation qui interviendra sur le second moyen du pourvoi démontrant la qualité de lourdement débitrice de la société Pierre et Pasquet justifiera le bien-fondé de l'exception d'inexécution opposée à la banque, ce par application de l'article 625 du nouveau Code de procédure civile; alors, en outre, qu'en toute hypothèse, l'arrêt ne pouvait refuser de tenir compte de l'inexécution en temps utile de ses obligations par la société Pierre et Pasquet, notamment de 203 jours de retard, impliquant une retenue de 1 930 500 francs au titre de pénalités contractuelles en se plaçant à la date de la cession, là où l'exception de non-exécution est recevable même si l'inexécution est apparue postérieurement à la notification de la cession, et en s'abstenant de toute analyse "des pièces versées au dossier"; que l'arrêt viole ainsi les articles 5 et 6 de la loi n° 81-1 du 2 janvier 1981, ainsi que l'article 455 du nouveau Code de procédure civile; alors, de surcroît, qu'il dénature, les rapports d'expert : le premier constatant la réalité des retards sanctionnés par des clauses contractuelles, retards antérieurs au prononcé du règlement judiciaire de la société Pierre et Pasquet, et antérieurs à la cession litigieuse, l'expert laissant simplement au tribunal le soin de les chiffrer, car ils lui paraissaient "résulter d'une clause ayant le caractère de clause pénale", le second spécifiant que " le chiffre de 706 600 F fixé par le jugement du tribunal de commerce du 23 juin 1991 me paraît devoir être maintenu"; que de telles données loin de traduire une exécution parfaite en temps utile, caractérisent tout au contraire l'inexécution invoquée par voie d'exception; que cette dénaturation des rapports d'expertise des 23 août 1990 et 23 juin 1992 constitue une violation de l'article 4 du nouveau Code de procédure civile et de l'article 1134 du Code civil; alors, encore, que la société Hertel n'avait pas à déclarer sa créance pour se prévaloir d'une exception d'inexécution, voire de compensation, à l'égard de la banque quant à elle in bonis; que l'arrêt viole à cet égard par voie de fausse application les articles 41, 50 et 53 de la loi du 25 janvier 1985, ainsi que les articles 1134, 1184 du Code civil, et l'article 6 de la loi du 2 janvier 1981; et alors, enfin, que l'arrêt ne pouvait exclure la fraude et moins
encore la faute de la banque sans répondre aux conclusions spécifiques et pertinentes de la société Hertel faisant valoir que la situation n° 12, support de la cession Dailly litigieuse ne comportait aucune mention de vérification de la part de l'architecte, maître d'oeuvre de l'opération immobilière en cause; que l'acceptation d'une unique créance non vérifiée, en période suspecte, soit 13 jours avant la mise en redressement judiciaire de la société Pierre et Pasquet était d'autant plus frauduleuse qu'elle a été sciemment faite auprès d'une banque ayant son siège à Macon, soit à plusieurs centaines de kilomètres et du siège de la société Pierre et Pasquet situé à Valenton (94) et du lieu d'exécution du contrat situé à Meudon(92) ;
que la décision est entachée d'un défaut de réponse à conclusions, contraire aux exigences de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile;
Mais attendu, en premier lieu, que la cour d'appel a décidé à bon droit qu'en l'absence de déclaration de la créance prétendument constituée par des indemnités contractuelles de retard, dans la procédure de redressement judiciaire concernant la société débitrice, elle ne pouvait être invoquée ensuite comme un élément d'une compensation, y compris dans les relations avec la banque cessionnaire, en l'absence de toute dette personnelle de celle-ci;
Attendu, en second lieu, que c'est souverainement, et sans dénaturer le rapport de l'expert, que la cour d'appel a décidé que l'inexécution invoquée n'était pas établie, des retards auraient-ils été constatés dans la réalisation du chantier, circonstances ne pouvant contractuellement que donner lieu à des pénalités;
Attendu, en troisième lieu, que c'est après avoir relevé que la société Hertel avait réglé une partie du prix des travaux réalisés par la société Pierre et Pasquet, et fait apparaître que pour le surplus, elle se bornait à demander sa compensation avec des pénalités de retard, que la cour d'appel a retenu l'exigibilité du solde, justifiant ainsi légalement sa décision;
Attendu, en quatrième lieu, que c'est surabondamment que la cour d'appel a relevé que l'inexécution n'avait pas été constatée antérieurement à la cession de créance au profit de la banque;
Attendu, en cinquième lieu, que la cour d'appel a répondu aux conclusions invoquées en considérant que la proximité chronologique entre l'escompte de la créance et le prononcé du redressement judiciaire n'était pas suffisante pour caractériser une faute de la banque, sans avoir à entrer dans le détail de l'argumentation soutenue par la société Hertel;
Attendu, enfin, qu'il n'y a pas lieu à cassation par voie de conséquence;
D'où il suit que le moyen ne peut être accueilli en aucune de ses branches;
Sur le second moyen, pris en ses trois branches :
Attendu que la société Hertel fait grief à l'arrêt du rejet de ses exceptions de compensation et d'inexécution, telles qu'opposées au syndic au règlement judiciaire de la société Pierre et Pasquet, alors, selon le pourvoi, d'une part, que l'arrêt ne pouvait nier l'inexécution de ses obligations contractuelles par la société Pierre et Pasquet, sans répondre aux conclusions de la société Hertel qui, rapports d'expertise à l'appui, invoquait un retard global et incontesté de 203 jours dans la livraison des immeubles et parkings, ce qui justifiait, selon les clauses du contrat souscrit, le règlement de 1 930 500 francs de pénalités, le fait que le créancier les ait amiablement réduites à 600 000 francs hors taxes ne pouvant en exclure l'existence et le recouvrement, lors de l'apurement des comptes, fût-ce en l'absence de toute déclaration; que la décision est entachée d'un défaut de réponse à conclusions, contraire aux exigences de l'article 455 du nouveau
Code de procédure civile; alors, d'autre part, que, de toute façon, l'arrêt totalement infirmatif sur la question majeure des pénalités et qui se borne à une simple dénégation n'est pas légalement motivé en violation de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile; et alors, enfin, que fût-ce dans le cadre d'une compensation, la société Hertel était en droit d'opposer aux demandes de règlement d'un solde de marché qu'il fut tenu compte des pénalités de retard dont la société Pierre et Pasquet était débitrice, peu important que leur décompte définitif n'ait été établi que postérieurement au redressement judiciaire, dès lors que le retard, dénoncé dès 1985, était lui-même largement antérieur audit redressement; que la décision est ainsi entachée d'une violation des articles 50 de la loi du 25 janvier 1985, ainsi que des articles 1289 et suivants du Code civil;
Mais attendu, en premier lieu, que la cour d'appel a, à bon droit, écarté la demande de compensation, dès lors que la société Hertel invoquait une créance qu'elle n'avait pas déclarée dans la procédure de redressement judiciaire concernant la société prétendument débitrice ;
qu'elle n'avait, dès lors, pas à rechercher si les circonstances pouvant donner naissance à cette créance étaient réalisées; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches;
Sur la demande présentée au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile :
Attendu que la banque sollicite, sur le fondement de ce texte, l'allocation d'une somme de 9 000 francs;
Mais attendu qu'il n'y a pas lieu d'accueillir cette demande ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Hertel, envers les défendeurs, aux dépens et aux frais d'exécution du présent arrêt;
Rejette la demande présentée au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par M. le conseiller doyen faisant fonctions de président en son audience publique du dix-huit juin mil neuf cent quatre-vingt-seize.